“Les chemins à suivre sont tortueux et escarpés, inimaginables.” Cette phrase qu’un ami m’a écrit pour me remonter le moral un soir d’angoisse parce que la journée ne s’était pas passée comme je l’aurais voulu, une histoire banale de conso, un truc qui m’est arrivé mille fois. Mais un truc qui m’arrive de moins en moins souvent, d’une part parce que je me juge moins qu’avant (eh oui j’ai compris que ma valeur ne se mesurait pas en milligrammes et en l’écart entre la dose souhaitée et la dose réelle) et aussi parce que je suis moins tyrannique avec moi-même : je me mets moins de règles. Sûrement que je consomme plus qu’avant, et encore, ce n’est pas certain, je suis moins erratique, et je suis convaincue qu’en terme de santé (si toutefois c’était l’enjeu) il est bien plus sain pour moi de consommer plus en étant en paix et sereine que de consommer moins en me triturant la cervelle au sujet de la moindre dizaine de milligrammes qui dépasse le cadre établi.
C’est assise au milieu d’un rond de Sorcière, comme à mon habitude, échevelée et dégoulinante de sueur, qu’il y a presque une an jour pour jour, je me répétais sa phrase comme un mantra : “Les chemins à suivre sont tortueux et escarpés, inimaginables.” “Les chemins à suivre sont tortueux et escarpés, inimaginables.”“Les chemins à suivre sont tortueux et escarpés, inimaginables.”“Les chemins à suivre sont tortueux et escarpés, inimaginables.” Puis ses mots s’étaient imprégnés en moi et je les avais absorbés, ils avaient comblé le vide creusé par la culpabilité et le remords, par l’exigence et la raideur que je cultivais rien que pour moi ; épargnant, soignant les autres, frôlant parfois l’imbécilité dans l’indulgence que je leur portais pour, lorsqu’il s’agissait d’évaluer mes actes à moi, déployer une sévérité impitoyable, déverser sur mon petit être penaud les flammes du dragon monstrueux que je devenais pour l’occasion. Les larmes s’étaient faites plus rares. Le lynchage avait cessé et j’avais cédé. Je me laissais enfin caresser par la douce justesse des mots de mon ami. Quand des mots résonnent ainsi au fond de mon être, je suis envahie de l’élan irrépressible de leur fournir moi-même un écho. Je me souviens précisément de l’endroit où le cercle s’était formé, de la lumière dans la pièce. Je me souviens de la musique qui me berçait. Du crayon dont je m’étais emparée pour tracer ces quelques mots : “Je sais cela et parfois, même seule, j’ai cette certitude que je suis sur le chemin, sur mon Itinéraire. Et qu’il est effectivement tortueux. Et surtout inimaginable. Je ressens parfois l’évidence que, sans savoir comment, et même plus, en étant terrifiée par la perspective de l’abîme, les choses se déroulent dans une forme de logique dont je ne peux pas prédire le dénouement, car déjà le dénouement n’existe pas, mais qu’elles sont porteuses d’un sens que je ne comprends pas pour l’instant mais que je comprendrais plus tard. Avoir confiance en l’avenir. Confiance en moi. Confiance en mes forces et en mes ressources. Confiance en mes choix. M’autoriser à ne pas être parfaite (mais parfaite selon quel critères d’ailleurs ?), et même à être imparfaite et laxiste. M’autoriser le plaisir. Assumer mes choix étant donné que je les fais malgré tout, malgré l’angoisse, la peur, les conventions, la morale, l’éducation, le rabâchage incessant dont je suis la victime et dont je peine tant à m’extirper bien qu’il soit à l’encontre de mes valeurs et de mes convictions…”
Ces mots ont réapparu ce soir comme une main tendue dont je n’ai pas besoin et que j’ai regardée interloquée alors que la nostalgie m’envahissait. Je n’ai pas eu à comprendre car ils se sont frayé chemin sans que je ne fasse rien pour les y aider. Une main tendue qui s’est faite mienne et que je me suis vue diriger vers la lourdeur orageuse d’une année entière qui s’était écoulée à tâtons. Ma main tendue dans le vide qui n’a d’autre endroit où s’accrocher que les rayons dorés d’une petite étoile perdue au milieu d’une humanité absurde qu’elle s’efforce de singer, juste pour me faire rire, pour me faire oublier l’empreinte glacée sur mes doigts.