L’AFFIRMATION: «J’ai lu quelque part que les “premiers de classe” sont plus vulnérables aux addictions que ceux qui ont des difficultés d’apprentissage? Et j’ai personnellement vu beaucoup de jeunes qui avaient tout pour réussir, des “bollés” comme on dit, mais qui sont tombés dans la consommation de drogues et qui ont détruit leur vie. Alors est-ce que c’est vrai?» demande Michel St-Amant, de Rawdon.
LES FAITS
«C’est une question qui a l’air très simple à première vue, mais en fait elle est très complexe», dit d’emblée Claude Rouillard, chercheur et spécialiste des dépendances à l’Université Laval. Les capacités mentales et les succès scolaires sont liés à une foule d’autres facteurs, notamment socio-économiques, qui vont à leur tour influencer les habitudes de consommation. Dans ce genre de cas, il est toujours très difficile de départager le rôle que chaque facteur joue individuellement.
Il y a tout de même quelques travaux qui s’y sont attaqués. Trois études britanniques (bit.ly/2GarwHN, bit.ly/2TlCkqa, bit.ly/2CQg40N) suivant des cohortes nées en 1946, 1958 et 1970 ont trouvé que les gens qui montraient de fortes capacités cognitives pendant l’enfance ou l’adolescence avaient ensuite plus de problèmes d’alcool à l’âge adulte — à 30 , 42 ou 53 ans, ces études ne faisaient pas leurs suivis aux mêmes âges. Une autre étude britannique a trouvé le même genre d’association entre le QI à 11 ans et l’usage de drogues illégales à 42 ans.
Maintenant, la question est : qu’est-ce qui cause quoi, ici? Est-ce vraiment un QI élevé qui mène aux abus de substances? M. Rouillard et son collègue Jacob Suissa, thérapeute et sociologue des addictions rattaché à l’UQAM et à l’UdM, en doutent fort. Peut-être que les gens qui ont de fortes capacités cognitives finissent plus souvent que la moyenne des ours par occuper des postes haut placés qui génèrent beaucoup de stress, et ce serait alors ce stress qui serait la cause, suppute M. Rouillard. Peut-être que les meilleurs salaires (en moyenne) des gens au QI élevé enlèvent une barrière financière aux abus de substance. On peut aussi imaginer, dit M. Suissa, qu’il y a possiblement plus de perfectionnistes chez les premiers de classe, ce qui peut s’accompagner d’autres problèmes. Par exemple, illustre-t-il, les jeunes filles anorexiques sont connues pour être perfectionnistes et elles ont en moyenne de bons résultats académiques.
Bref, on peut imaginer des mécanismes qui pourraient lier les performances scolaires à la consommation de drogues à l’âge adulte, mais on n’a pas vraiment de raison de penser que l’une cause l’autre. En fait, dit M. Suissa, «sincèrement je ne vois pas du tout en quoi être premier de classe ou non va avoir un effet direct sur la consommation. Ça ne tient pas la route».
En outre, il existe aussi des études qui ont tenté de démêler tout cela et qui ont conclu que, lorsque l’on annule statistiquement l’effet de facteurs comme l’impulsivité, alors le QI n’est plus lié à l’abus de drogue. Le blogueur du magazine Psychology Today Satoshi Kanazawa a quant à lui trouvé que, dans une cohorte américaine, le QI pendant l’adolescence n’était pas associé à la consommation de drogue 7 ans plus tard — en tout cas, pas quand on neutralisait l’effet des facteurs sociaux et démographiques. Mais il concluait tout de même que «les gens brillants aussi font des bêtises»...
LE VERDICT
Pas clair du tout. Certaines études suggèrent bien un «lien» entre le QI et l’abus d’alcool ou de drogue, mais elles ne prouvent pas que le premier «cause» le second — et elles sont contredites par d’autres résultats et expertises.
source jfcliche@lesoleil.com