L’Internet et les objets connectés bouleversent les rapports aux savoirs bien au-delà du seul développement des outils de «e-teaching».
Communautés de passionnés d’astronomie ou d’ornithologie, groupes d’entraide entre malades chroniques ou usagers de drogues, équipes d’infirmier/e/s en butte à des problèmes techniques, voilà autant de contextes dans lesquels se développent des formes d’apprentissages qualifiées ici de «e-learning informel».
En explorant de telles situations d’appropriation non intentionnelle de savoirs, cet ouvrage affirme qu’il ne faudrait pas que les recherches en e-formation se limitent au «mieux faire apprendre»: l’Internet et les objets connectés bouleversent les rapports aux savoirs bien au-delà du seul développement des outils de «e-teaching» que sont les MOOCs ou les serious games.
Ce «e-learning informel» concerne par exemple les contextes dits de «sciences participatives», de loisirs technoscientifiques, ou de résolution de problèmes chroniques liés à la santé ou plus généralement au monde du travail. En fait, toutes ces situations dessinent les contours d’un régime de «Do it yourself» collectif, élargi à toutes les situations où l’on apprend, non pas dans le cadre d’un projet de formation, mais en conséquence d’une volonté d’exercer son pouvoir d’agir... en faisant, en participant ou en cherchant ensemble.
Quand au chapitre sur Psychoactif, je l'ai co-écrit avec les chercheurs Emmanuelle Jouet et Aurélien Troisoeuf. Ce chapitre s'intitule "Addictions et apprentissages informels en ligne" et décrit Psychoactif comme un lieu ou l'on apprend et ou on se transforme.
Il montre comment Psychoactif est un espace dans lesquels les individus mettent en commun leurs savoirs expérientiels et produisent une «pharmacologie profane » sur la drogue.
Il montre aussi qu' à travers Psychoactif, les usagers produisent un discours identitaire et font en sorte de résister à une identité déviante, pathologique
issue du modèle médical, approche qui ne limite plus le savoir à la seule expérience de la drogue ou d’une maladie, mais aussi à celle d’être un utilisateur d’Internet.
Voici l'introduction du chapitre :
1.1 la participation des usagers de drogues
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Depuis 1986, la participation des citoyens aux services de santé qui les concernent est inscrite dans la Charte d’Ottawa. Celle-ci pose l’accès à l’information et aux services à la santé et aux soins, ainsi que l’influence sur les politiques sanitaires et sociales comme un droit dévolu à l’ensemble des citoyens. Cette disposition concerne également les usagers de drogues et les utilisateurs des services en addictologie. L’approche de la réduction des risques s’est développée en mettant en avant ce principe de développement de la participation des usagers de drogues vus comme des citoyens actifs à part entière. Ils ont alors exprimé leur désir, devenu volonté politique, d’être partie prenante de la collaboration avec les professionnels, de la production de messages pertinents de prévention et de leur diffusion aux publics-cibles les plus concernés.
Le spectre d’action de cette participation, déterminée au niveau mondial par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), s’est instauré, graduellement, aux niveaux national et local car l’exigence de déploiement de ce principe au plus près des usagers de drogue s’est imposée comme garant de la démocratie et d’une réelle implication des personnes.
Les champs d’action concernés par cette participation sont les suivants :
- les politiques, où les usagers sont consultés pour donner leurs avis et contributions sur des sujets multiples comme l’amélioration de la qualité des services sanitaires (The International Network of People who Use Drugs, INPUD), les forums de la société civile au sujet des drogues (EU Civil Society Forum on Drugs), les traitements (Commission nationale des usagers en France, les consultations locales). Politiquement ces consultations vont du niveau le plus large, international, au plus local, quartiers et cantons.
- les organisations et les services sanitaires qui impliquent les usagers, non seulement en leur demandant leur avis sur tels ou tels dispositifs, soins, ou pratiques, mais également en les embauchant au sein de leur organisation afin de marquer celles-ci de leur expérience et compétences spécifiques d’usagers de drogues et utilisateurs de services.
Selon le rapport européen Empowerment and Self-organisations of Drug Users – Experiences and lessons learnt (2008) et le document de présentation de la conférence « 6th EXASS Net meeting » intitulé « Drug user participation and European cities » (2009), l’histoire de la participation des usagers est marquée par une forte consultation à ses prémices, et par une faible implication lors de sa généralisation. L’hétérogénéité s’avère également caractéristique de cette participation en raison des spécificités de la culture locale, du poids des États selon les contextes politiques et de l’ensemble des indicateurs sociaux, culturels et politiques des régions concernées.
1.2 L’usage des drogues sur Internet
Depuis quelques années, des membres de ces groupes se sont emparés des opportunités que pouvaient représenter les développements des nouvelles techniques de l’information et de la communication (NTIC). Ces dernières se sont imposées, en effet, dans la plupart des activités quotidiennes des individus et notamment dans les champs de la santé et de la maladie. Ce qu’on dénomme aujourd’hui la e-santé recouvre trois domaines particuliers : la télémédecine, le quantified-self et la Mobile Health (Oh et al. 2005). Or, si la circulation des informations liées à la santé et à la médecine fait l’objet d’une attention de plus en plus importante de la part des acteurs politiques, médicaux et de la recherche, force est de constater à ce jour la quasi absence de travaux sur la thématique « usage de drogue et Internet », dans le paysage de la recherche française (Thoer, 2015).
Au niveau international, il existe plusieurs travaux qui ont été conduits autour de l’articulation site de discussion et usagers de drogues (Duff, 2005 ; Duff et al., 2007 ; Murguia, Tackett-Gibson et Willard, 2007). La plupart des recherches ont montré que les usagers de drogues utilisaient Internet pour récupérer des informations sur la drogue en tant que telle, pour apprendre à la consommer ou encore pour s’en procurer. Parmi ces recherches, il est mis en avant les aspects positifs des échanges Internet entre usagers. On note par exemple que l’entraide développée sur Internet semble favoriser la réduction des risques dans les pratiques (Kjellgren, Henningsson, et Soussan, 2013 ; Soussan et Kjellgren, 2014).
Un pan concerne également la réduction des risques avec des sites internet institutionnels de soins ou bien d’associations : ceux-ci proposent des programmes de réduction de la consommation de drogues au travers des programmes psycho-comportementaux ou bien d’éducation thérapeutique en ligne.
Enfin, un grand nombre de sites conduits par des usagers de drogues se développent dans une hétérogénéité de formes, de contenus, et d’objectifs comme les informations, les échanges, l’auto-support (Simmat-Durand, 2010 ; Barratt, 2011a ; Barratt, 2011b ; Barratt, Lenton et Allen, 2012 ; Chiauzzi et al. 2013)).
Catégorie : Actualités - 12 octobre 2017 à 20:28
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