IDÉES
LSD, MDMA, psilocybine… Bientôt des psychédélo-thérapies ?
Ces psychotropes interdits pourraient être utilisés pour soulager certaines formes d’anxiété et de dépression. Des études ont été publiées et des essais cliniques sont en cours voire approuvés aux Etats-Unis.
Par Frédéric Joignot Publié le 18 novembre 2018 à 08h00 - Mis à jour le 18 novembre 2018 à 22h25
Des pilules de
MDMA saisies par les douanes philippines, à Manille en 2016. NOEL CELIS / AFP
Rapport d’étonnement. Après la libéralisation de l’usage thérapeutique et récréatif du
cannabis dans plusieurs pays et Etats américains, cette tolérance va-t-elle s’élargir aux plantes et aux produits psychédéliques – qui, selon leur étymologie, « rendent visible » (deloun) « l’esprit » (psyche) ? Ce n’est pas impossible. Si ces
psychotropes sont interdits par la Convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances
psychotropes de 1988, leur consommation perdure autour du monde et, depuis plusieurs années, les recherches sur leurs possibles effets psycho-thérapeutiques se multiplient.
C’est ainsi que, le 2 novembre, la revue Frontiers in Pharmacology a publié les résultats d’une étude menée par onze chercheurs anglo-saxons pour qualifier l’apport de l’expérience psychédélique à ses usagers et les risques de réaction négative.
Ils ont mené des entretiens auprès de quelque 650 personnes ayant décidé de « prendre de leur propre initiative » un produit psychédélique :
ayahuasca – liane cérémonielle des curanderos (« guérisseurs ») latino-américains –,
psilocybine (champignon hallucinogène très répandu),
Salvia divinorum (sauge divinatoire des Indiens mazatèques),
mescaline (sur laquelle Henri Michaux a beaucoup écrit), diéthylamide de l’acide lysergique (LSD) et
diméthyltryptamine (DMT).
Selon l’étude, le fait d’avoir « une intention claire » et « positive » de la prise psychédélique et d’en attendre un bouleversement psychique réduit la probabilité de vivre une expérience difficile – un
bad trip. Et quand les « psychonautes » éprouvent des « effets visuels puissants », des réminiscences intenses, et vivent une expérience « de type mystique », les chercheurs ont constaté chez eux un « bien-être subjectif » qui se poursuit « plusieurs semaines »…
Chimie, botanique et sciences humainesLa recherche sur les « états modifiés de conscience » et les effets thérapeutiques des psychédéliques dans le monde occidental remonte aux années 1940, après que, le 16 avril 1943, le chimiste Albert Hofmann absorbe, par inadvertance puis volontairement, en laboratoire le 25e alcaloïde de l’ergot du seigle – le
LSD 25 – et tombe « sous le charme d’images d’une plasticité extraordinaire, sans cesse renouvelées, au jeu de couleurs d’une richesse kaléidoscopique ».
Dans les années qui suivent, le
LSD est utilisé à titre expérimental avec un certain succès chez des personnes dépressives et alcooliques. En même temps, Albert Hofmann et l’ethnobotaniste Gordon Wasson découvrent l’importance des psychédéliques dans de nombreux rituels sacrés (les Mystères d’Eleusis, en Grèce), les religions de la nature, le chamanisme et le polythéisme : un nouveau champ de recherche s’ouvre à la croisée de la chimie, de la botanique et des sciences humaines – Wasson forge la notion d’« enthéogène » (du grec theos, « dieu ») pour qualifier les
psychotropes utilisés à des fins mystiques et procurant « un sentiment divin ».
Au milieu des années 1960, le
LSD cesse d’être expérimental pour devenir une des drogues favorites de la Beat Generation, du Swingin’ London et des hippies. Les Beatles le chantent, le poète Allen Ginsberg et le psychologue de Harvard Timothy Leary prônent son usage pour ouvrir les portes de la perception, le
LSD circule librement dans les concerts et les communautés. A la suite de plusieurs actes délirants et accidents psychotiques, la drogue est classée au tableau 1 par la Convention sur les
psychotropes de l’ONU de 1971. Les recherches sur la thérapie psychédélique s’arrêtent à peu près complètement.
Substance euphorisante et « amourogène »Elles sont donc reparties depuis les années 2000. Le 8 septembre, les résultats encourageants d’une nouvelle expérimentation sur l’utilisation du
MDMA, l’ingrédient actif de l’ecstasy, pour traiter l’anxiété d’autistes adultes ont été publiés aux Etats-Unis dans la revue Psychopharmacology. Ces essais sont actuellement en phase finale d’approbation par la Food and Drug Administration (FDA, organisme qui autorise notamment la commercialisation des médicaments aux Etats-Unis) : s’ils réussissent, la substance euphorisante et « amourogène » des amateurs de techno des années 1990 deviendra un médicament antistress.
En août, la FDA a encore approuvé les essais cliniques des laboratoires Compath Pathways sur l’utilisation de la
psilocybine dans le traitement de la dépression. En septembre, des chercheurs de la Beckley Foundation et de l’Imperium College of London ont lancé une vaste étude sur les effets psychiques des microdoses de
LSD, à la suite d’expérimentations individuelles faites dans la Silicon Valley témoignant d’effets psychotoniques importants.
Interviewé par Le Monde alors qu’il fêtait ses 100 ans, Albert Hofmann avait confié qu’il avait pris une microdose de
LSD à 97 ans, toujours en quête d’un usage thérapeutique de son « enfant terrible », expliquant : « Je voulais tester une faible dose, elle pourrait peut-être donner un antidépresseur… A notre époque où l’humanité devient tout urbaine, l’homme perd le contact avec la nature (…). Il n’éprouve plus son unité avec le vivant, il ne voit plus la splendeur de l’Univers, alors il désespère… »
Frédéric Joignot
Source :
lemonde.fr
Dernière modification par filousky (21 novembre 2018 à 13:13)