Merci Cusco
. Je mets ci-dessous le copié-collé de l'e-dito:
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Revue Le Flyer
E-dito n°26 (novembre 2019)Baclofène, qui a obtenu l’AMM de Baclocur© ?
Comment évaluer l’efficacité du médicament ?
Pr Christophe LANÇON, Marseille, Dr Véronique VOSGIEN, St-André lez Lille, Dr Hélène DONNADIEU RIGOLE, Montpellier, Dr Thierry VENTRE, La Seyne-sur-mer,« Ethypharm a obtenu l’AMM pour la spécialité Baclocur© et devrait commercialiser son médicament en 2020… ». C’est ce genre d’annonce que nous devrions voir prochainement.
La réalité est toute autre ! En effet, ceux qui comme nous ont suivi depuis des années le fastidieux processus d’évaluation de Baclocur© pour son éventuel mise sur le marché savent que ce sont d’abord les patients puis les Sociétés Savantes qui ont obtenu, à l’arraché, cette Autorisation de Mise sur le Marché et peut-être son remboursement (évaluation en cours – HAS).
En effet, en juin 2018, l’affaire semblait bel et bien pliée. Après des années d’utilisation du
baclofène hors AMM puis dans le cadre d’une RTU, le dépôt d’un dossier de demande d’AMM plutôt fragile était accompagné d’un avis négatif du CSST créé pour l’occasion. Négatif en termes de rapport bénéfice/risque. En règle générale, ce genre d’avis suffit pour rejeter une demande d’AMM.
https://www.doctissimo.fr/medicaments/n … -baclofeneMalgré cela, en octobre de la même année, l’ANSM accordait une AMM à Ethypharm pour sa spécialité Baclocur©. Entre temps, début juillet, une journée d’audition de tous ceux qui avaient à s’exprimer sur le sujet a certainement pesé dans la balance. Fédération Addiction, MG Addiction, SFA, AFEF, CUNEA, CNPP, AFPBN, associations de patients et experts de tout bord ont pour la plupart défendu l’idée qu’il serait difficile de faire sans
baclofène, tant le médicament s’était imposé malgré les polémiques dans le paysage de l’addictologie, voire à sa périphérie.
https://www.baclofene.org/wp-content/up … -07-03.pdfHormis quelques positions un peu extrêmes, (on se souviendra de la virulence du représentant du collectif de Baclohelp d’un côté et de celles des représentants de la SFPT de l’autre), les débats étaient plutôt constructifs et faisaient globalement état de la nécessité de mettre à disposition de tous les médecins investis dans le champ de l’addiction, généralistes y compris, la spécialité en cours d’examen, avec un encadrement adéquat. Et ce, malgré l’hétérogénéité des résultats publiés à ce jour.
Le sentiment général, à l’issue de cette journée d’audition, est que la commission a entendu l’avis des cliniciens et l’expérience clinique acquise ses dernières années. Le Directeur de l’ANSM, Dominique Martin, a tranché en faveur d’une autorisation de mise sur le marché à l’automne 2018. Fin de la première saison de la saga Baclocur©, elle-même prolongement de la saga
Baclofène.
Résultat en demi-teinteEn effet, l’annonce de l’octroi d’une AMM pour Baclocur©, à une posologie plafonnée à 80 mg, sur la
base de l’étude CNAM-Inserm-ANSM, a jeté un froid notamment auprès des cliniciens utilisateurs. Ils constatent que, sans doute pour une majorité de leurs patients, le recours à une posologie supérieure à ce seuil, fixé arbitrairement, est souvent nécessaire.
Fixé arbitrairement, car l’étude CNAM-Inserm-ANSM collecte des données de remboursement, couvrant une période où la pratique du
baclofène était balbutiante, 2009 à 2015, surtout en début de période
https://www.ansm.sante.fr/S-informer/Co … CommuniquePar ailleurs, s’agissant de données de remboursement sans aucune information clinique, il ne peut y avoir de réelle imputabilté avec les évènements mesurés (hospitalisations, décès, intoxications…). Au mieux une co-occurrence… Et on sait qu’en matière de comorbidités psychiatriques, sociales, somatiques pouvant justifier une hospitalisation ou entrainer un décès, les patients en difficulté avec l’alcool sont particulièrement exposés. Ceux avec les plus fortes posologies sont aussi potentiellement ceux qui ont une addiction la plus sévère, avec donc des co-occurences plus fréquentes.
Il est d’ailleurs surprenant de constater que si les critiques sur la méthodologie des études cliniques sont allées bon train, très peu de critiques sur l’étude CNAMTS-Inserm-ANSM ont été formulées. Même la Revue Prescrire, connue pourtant pour son sens aigu de l’analyse des dossiers des médicaments, s’est contentée de reprendre les conclusions de cette étude telle quelle.
Au final, elle a conclu toutefois par un « éventuellement utile », supérieur à l’avis « n’apporte rien de nouveau », accordé à
Selincro©, quelques années auparavant, dans un contexte certes différent. Mais toutes les options thérapeutiques sont nécessaires. C’est la réponse individuelle au traitement qui doit prévaloir en la matière.
https://www.prescrire.org/fr/3/31/57636 … tails.aspxPosologie fixe, plafonnée ou adaptée ?Cela a déjà été largement exprimé. Une AMM de
baclofène avec une posologie plafonnée à 80 mg/jour, c’est un peu comme si on plafonnait la posologie de
méthadone à 30 mg/jour ou celle de
buprénorphine haut dosage à 4 mg/jour.
Cela suffira pour certains, mais sera très insuffisant pour la majorité.
Le point commun entre les MSO (méthadone et
buprénorphine) et le
baclofène est qu’ils sont des agonistes des récepteurs (respectivement
opioïdes et Gaba), et que contrairement aux antagonistes (naltrexone ou
nalméfène), leur efficacité est souvent corrélée avec la posologie, variable pour chacun. Tous les cliniciens addictologues le perçoivent au quotidien.
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6186794/La prescription de Baclocur© dans le cadre d’un protocole soins (ALD non exonérante) est inscrite de facto dans la loi (L 324-1). Elle pourrait permettre la prescription à une posologie réellement adaptée au patient. Le Dr Nicolas Authier qui présidait le CSST chargé d’évaluer le dossier exprimait dès fin 2018 cette possibilité.
https://www.nouvelobs.com/sante/2018111 … -dose.htmlLe problème est que l’application de ce type de mesure est caisse-dépendante et la mise en œuvre des protocoles de soins dépend de l’avis du médecin-conseil. Au final, il se pourrait que selon son affiliation à telle ou telle CPAM, la prescription à une posologie efficace puisse de faire, ou non, créant une inégalité géographique.
Une autre solution, dans le cas où le médicament Baclocur© devait être commercialisé à cette posologie plafonnée, serait d’autoriser, au moins les services spécialisés (CSAPA, service hospitaliers), à outrepasser cette règle. Cette mesure aurait par ailleurs l’énorme avantage de créer du lien et du réseau entre les médecins de ville et les services spécialisés. En effet, les médecins de ville pourraient adresser leurs patients aux services spécialisés, pour des ajustements de posologie supérieurs à 80 mg. Patients qui leur seraient ré-adresser après adaptation de la posologie.
Ce travail en réseau permettrait par ailleurs une prise en soins plus globale, souvent nécessaire pour certains de nos patients, la molécule et sa prescription ne pouvant être considérée comme ‘magique’.
Etude à menerIl est probablement urgent de mettre en place une évaluation de l’efficacité du
baclofène, en sortant du dogme du recueil des consommations quotidiennes, rapportées par le patient lui-même, qui semble constituer l’alpha et l’oméga de l’étude clinique en alcoologie.
Tous les cliniciens savent que les patients en difficulté avec l’alcool expriment un sentiment de culpabilité vis-à-vis de la consommation d’alcool qu’ils ne contrôlent pas, à l’inverse de la grande majorité de leurs contemporains. D’autres sont dans le déni, sous-estimant systématiquement leur niveau de consommation. D’autres enfin expriment un sentiment de défiance vis-à-vis des thérapeutiques mises en œuvre, tant il leur parait impossible de contrôler un jour leur consommation.
Pas étonnant donc que l’évaluation en double aveugle, avec pour critère principal la consommation auto-rapportée par les patients eux-mêmes, peine à mettre en évidence par rapport au placebo un effet significatif que les utilisateurs observent au quotidien. Dans le cadre d’une étude, de surcroît, le patient n’a envie de décevoir le chercheur chargé d’évaluer le ‘nouveau’ médicament, qu’il soit sous placebo ou traitement actif.
Pas étonnant donc que l’écart avec le placebo soit si faible, quel que soit le médicament étudié.
Pire encore, la focalisation des patients ‘étudiés’ sur la consommation d’alcool est un non-sens et probablement contre-productif, quand on sait que l’objectif d’un traitement par le
baclofène est justement une distanciation des patients, pour ne pas dire ‘indifférence’, par rapport à l’alcool.
Donc entre ceux qui vont vouloir que le traitement marche à tout prix, ceux qui ne voudront pas décevoir le clinicien, a fortiori dans le cadre d’une étude, ceux qui ressentiront les effets du
baclofène alors qu’ils sont sous placebo, d’autres qui pensent que leur addiction est plus forte que tout, tous ces sujets étant équitablement répartis dans les 2 groupes, pas étonnant que les études cliniques en double aveugle ne fassent pas apparaître l’efficacité d'un traitement, quel qu'il soit.
De là à penser que ce modèle d’étude, horizon semble-t-il indépassable en alcoologie est obsolète, il n’y a qu’un pas qui a déjà été franchi.
Alors que faire ?Depuis maintenant plusieurs années, le concept de «
Réduction des Risques et des Dommages » s’est imposé comme une philosophie du soin en addictologie. Pour l’alcool comme pour les drogues illicites, pour le
tabac (avec la vape !) comme pour les addictions comportementales, l’objectif est plutôt de réduire les dommages et les risques que de focaliser les patients sur leurs consommations.
En théorie, parce qu’en pratique, ce n’est pas toujours le cas même si la tendance va dans ce sens.
Il serait donc primordial que cette approche «
Réduction des Risques et des Dommages » s’impose également dans l’évaluation des médicaments.
En alcoologie, plutôt que de se concentrer sur les niveaux de consommation pas toujours faciles à déclarer objectivement et fastidieux au quotidien (avec beaucoup de données manquantes), pourquoi ne pas utiliser des critères biologiques modifiés avec la consommation d’alcool.
On pourrait facilement évaluer l’impact d’une diminution de la consommation d’alcool par des critères biologiques, comme les CDT, les GGT et autres ALAT et ASAT, VGM, triglycérides et uricémie. Même s’ils ne sont pas tous spécifiques (à l’exception des CDT, très spécifiques), une amélioration du bilan biologique des patients sur 1 an (à une fréquence trimestrielle) signerait une réduction des dommages causés par l’alcool sur les populations étudiées, avec le traitement versus placebo. Nous faisons la même chose avec la mesure du CO expiré pour les patients fumeurs pris en soin pour mesurer le bénéfice de la réduction/arrêt de la consommation, très utile ailleurs pour renforcer leur motivation.
Associé à une échelle de qualité de vie et une évaluation du
craving (au cours de la dernière semaine par exemple) au moment de l’évaluation, nous aurions plus sûrement qu’avec les auto-reports de consommation, la possibilité d’évaluer l’efficacité de traitements,
baclofène ou autre médicaments. Le tout, sans focaliser nos patients sur le nombre de verre ‘standard’ qu’ils consomment chaque jour. Ce qui est un comble, compte-tenu de l’objectif de toute pharmacothérapie dans les troubles liés à l’usage de substances, qui est de prendre des distances les substances elles-mêmes.
Pour conclureIl a fallu du temps pour que la
réduction des risques et des dommages s’impose dans le paysage de l’addictologie. Il a fallu aussi de l’énergie pour abandonner l’impératif d’abstinence, peu engageant pour les patients et épuisants pour les professionnels qui les accompagnent, même s’il doit rester une option pour les patients qui veulent s’en emparer et ceux qui n’ont pas le choix pour des raisons médicales.
Soyons pragmatiques et transformons l’essai en évaluant les médicaments sur des
bases qui correspondent à la clinique et non plus sur des dogmes éculés qui ont fait la preuve de leur inefficacité. Avec Baclocur©, à défaut
Baclofène, comme avec les médicaments futurs. Plutôt que de conduire la énième étude avec les mêmes erreurs, qui conduira assurément à la même conclusion et creusera encore un peu plus le fossé qui sépare la clinique de l’évaluation.
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