Bonjour,
Je voudrais partager avec vous ma prise d’hier qui s’est soldée par un terrifiant
bad trip à la
changa.
Le contexte est important. Je prends de la
changa de façon régulière, à raison de plus ou moins une fois par mois depuis trois ans. Cette expérience m’a permis de développer une relation profonde avec le produit, en confiance. Les doses que je prends sont très puissantes (en moyenne 215mg en une fois, parfois deux sessions l’une derrière l’autre). J’y ajoute aussi souvent de 15 à 20mg de
DMT freebase que j’ai extraite moi-même de racines de mimosa hostilis. Le mode de consommation est un grand bong et je fume généralement l’ensemble de la matière en 4 ou 5 cinq tafs. Ensuite, alors que je suis déjà en pleine dissociation, je me couche et part en voyage. Je précise qu’à ces doses l’ego lost est systématique (c’est aussi ce que je recherche). J’écoute toujours de la musique et j’ai pu remarquer combien les trips sont différents selon la musique écoutée : chants d’ayahuasca ou psytrance old school le plus souvent.
J’ai un rapport aux drogues qui mêle un immense intérêt pour les états de conscience modifiée (avec ou sans substances, étant donné ma pratique du rêve lucide et de la retraite obscure) et une grande volonté de contrôle (j’ai peur des addictions, limite fort ma consommation d’alcool et ne fume ni
tabac ni
cannabis). Je m’autorise deux prises de
MDMA/an, à plusieurs mois d’intervalle, et trois sessions de
cocaïne/an (max trois traces par session) – essentiellement quand j’écris. Je gère assez bien les
descentes, très conscient avant de ce que ce serait un passage obligé. Dans la plupart des cas, je consomme seul et chez moi (à part pour la
MDMA en soirée psytrance), un setting qui me correspond bien et me rassure (je n’ai pas l’impression de devoir « gérer » mon état face à quelqu’un d’autre).
Mon expérience de
bad trip est, quant à elle, plutôt faible. Adolescent, j’ai eu un ou deux
bad trips très désagréables au
cannabis et ils ont participé à mon aversion pour ce produit aujourd’hui. J’ai aussi, historiquement, consommé par deux fois de la
mescaline (cactus
San Pedro). La première fois, sur un trip d’une douzaine d’heures, j’ai vécu à peu près 2h un peu « dark » mais tout à fait gérables (la
mescaline autorisant d’être « encore là », sans perte d’égo). La
changa m’a toujours bien accueilli sur la quarantaine de sessions que j’ai dû faire. J’ai dû gérer une ou deux fois des « entités » plus sombres, mais c’était d’ordre informatif sans que l’angoisse ne me happe de façon ingérable. Je pense que c’est le résultat d’une attention toujours grande au setting.
Autant dire que mon expérience d’hier a été un choc – pour ne pas dire un traumatisme.
J’avais mangé léger (ce qui est conseillé pour la
changa) et je ne pense pas avoir à déplorer des interactions problématiques (ma dernière prise d’une autre substance est deux traces de c il y a deux semaines). J’ai pris 223mg de
changa, ce qui est un peu plus que ce que je prends d’habitude, mais sans ajouter de
DMT.
Il y a pourtant plusieurs différences avec mes settings habituels. D’abord, j’ai consommé à 18h. Il faisait très clair dans ma chambre et je pense que ces stimulis visuels ont augmenté mon niveau d’angoisse. D’autre part, je n’ai pas mis de musique. Il me semble que le silence m’a laissé perdu au milieu du trip alors que j’avais besoin d’accompagnement. Enfin, l’élément principal est une angoisse latente que j’avais avant le trip et qui a été centuplée pendant.
En effet, depuis quelques mois (mais la récurrence augmente), je fais des cauchemars lors desquels j’étouffe – mon cerveau ne comprend plus « comment il doit faire pour respirer ». Je me réveille alors extrêmement angoissé et en respirant rapidement et profondément. Je suis persuadé que ces cauchemars sont le reflet de la réalité et qu’en effet je cesse de respirer pendant un certain temps, tout en dormant. Je précise que je suis de corpulence mince, avec une bonne hygiène de vie. Les apnées du sommeil dites obstructives sont très peu probables dès lors et il s’agirait bien plus sûrement d’apnées dites « centrales », dont la cause est neurologique. Il me semble avoir déjà été en apnée du sommeil sous
changa il y a quelques temps, sans que la conscientisation de ce fait ne m’ait particulièrement inquiété. J’ai pris rdv il y a quelques jours pour un test du sommeil mais cette histoire d’apnées est restée comme une angoisse, en toile de fond, s’agissant de ma consommation de
changa. Est-il possible que cet hallucinogène ait produit, renforcé ou constitue un bon terreau pour les apnées centrales du sommeil (ACS) ? Est-il possible qu’étant sujet aux ACS la consommation de
changa avec ego lost soit dangereuse car modifiant mes réflexes respiratoires sans possibilité de me « réveiller consciemment » pour reprendre une respiration normale ? Je me suis adressé ces questions, sans pouvoir y répondre. J’ai voulu, en partie pour me rassurer, faire une session
changa pour me prouver qu’il n’y avait pas à lier trip et ACS. Mal m’en a pris.
À ce stade, je voudrais dire combien il est important d’être à notre écoute. Si on ne le sent pas, on ne le fait pas – quelle que soit la substance impliquée.
J’ai donc fumé les 216mg. Je me suis couché et j’ai sans doute perdu connaissance un très court instant (en tout cas je n’ai pas de souvenirs). Je me suis soudain « réveillé », en plein pic du trip, bouleversé par l’immense angoisse de ne pas respirer. Il me semble qu’au contraire, à ce moment, j’étais en train d’hyperventiler par peur de ne pas avoir assez d’air. Les visions étaient nourries par l’angoisse et les nourrissaient en retour. J’étais absolument perdu et désorienté, incapable de réfléchir puisque, en ego lost, il n’y avait plus de « je » capable de formuler des pensées. Le temps lui-même avait disparu, la dissociation immense. Une voix disait, un peu plus tard : « Tu as pris quelque chose, ça va passer », mais une multitude d’autres voix répondaient que tout cela ne changeait rien, que le temps ayant été aboli, la notion même « un peu plus tard » était insensée. Il va de soi que je reformule ici ce qui était pré ou post-réflexif à cet instant. « Je » n’existait plus, seule subsistait une abyssale terreur.
Les hallus prenaient la forme de ma terreur. Les mêmes entités ressemblant peu ou prou à des totems anciens, multicolores et en fractales, avec une tonalité blanche dominante, s’effondraient sur eux-mêmes comme des châteaux de carte. Des formes serpentines m’accompagnaient, comme une multitude de rubans eux aussi colorés, me piégeant tout en confondant en eux ma propre identité. J’essayais de trouver du secours dans le réel mais il était trop déformé, mouvant, horrifique pour que je puisse m’y appuyer. Ma couette elle-même était vivante, faite d’une multitude de couche que je pouvais parfaitement observer et comprendre. Des visions qui m’auraient en temps normal enchanté mais qui prenait ici un tour absolument abominable…persuadé de ne plus pouvoir respirer et de mourir.
Je me suis levé mais je me souviens seulement me retrouver dans mon salon. J’ai ouvert la baie vitrée menant vers le jardin (j’habite un rez-de-chaussée) mais me suis ravisé par un éclair de lucidité et ne suis pas sorti. Je ne me souviens pas du trajet de la chambre au salon. Je suis resté prostré dans ma cuisine, les yeux à nouveau fermés et me concentrant sur le fait que je revenais petit à petit à moi. Il semble que je me parlais à haute voix pendant ce temps-là mais je n’en suis pas sûr. Je ne me souviens plus des visions. Je devenais animal, ne pouvais m’empêcher de faire des grimaces. Je me suis vu dans le miroir, mes pupilles étaient bien entendu extrêmement dilatées – je croyais voir une entité indépendante de moi-même. Je marchais replié sur moi-même, mi-animal mi-démon. Je me souviens m’être dit que j’aurais sans doute fait extrêmement peur si on m’avait vu. Tout en revenant à moi, j’ai pleuré plusieurs fois de peur, puis la
changa me reprenait dans ses bras et je repartais dans de nouvelles visions. Je suis petit à petit revenu à moi.
À la réflexion, je remercie le destin d’habiter un rez-de-chaussée. J’étais persuadé ne pas avoir les capacités physiques de me mouvoir sous
changa, ce qui est apparemment faux. Dans une telle terreur et sans conscience de soi, il n’est pas impossible de faire une énorme bêtise – telle que se défenestrer. Je sais aussi que la présence de quelqu’un d’autre m’aurait encore plus angoissé ; je reste donc convaincu que, pour quelqu’un d’expérimenté, un sitter aurait été un problème plus qu’une solution (du moins dans un environnement sécurisé).
Voilà. C'était fort long et j'en suis désolé. Pour ceux et celles qui seraient arrivés jusque-là, merci. Je suis stupéfait par ce qui est arrivé. Je ne suis pas sûr que ce
TR rende bien compte de la terreur qui fut la mienne. Je serais curieux de savoir ce que vous en pensez.
IL.