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Although disrupted for a while, the traffic of cannabis quickly reinvented itself and cannabis users did not ultimately suffer from a shortage, surveys note. Authorising self-production and legalising cannabis would nonetheless be a solution for the “world after” Covid-19.
Mots clés : Covid-19, cannabis thérapeutique, confinement, trafic, autoproduction
Keywords: Covid-19, medical cannabis, confinement, drug trafficking, self-production
Introduction
L’association Principes Actifs milite pour la reconnaissance légale de l’usage thérapeutique du cannabis en France depuis sa création en 2009. Nous fournissons conseils et informations aux personnes atteintes d’affections diverses qui nous contactent. En 2014, nous avons mis en place des « ateliers de réduction des risques canna- bis » à destination des structures d’addictologie, des professionnels de santé et des associations de patients, afin de présenter l’usage thérapeutique dans toutes ses spécificités. L’association participe depuis fin 2019 au comité de pilotage instauré par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) pour l’expérimentation du cannabis à visée thérapeutique, qui débutera en janvier 2021 pour une durée de deux ans maximum et concernera seulement 3 000 patients.
Mais en France, le nombre de personnes faisant un usage thé- rapeutique du cannabis est évalué à 300 000 par l’ANSM et même à 700 000, voire 1 million, par les associations de patients1.
Déjà soumis aux effets de la prohibition, ces usagers ont subi aussi les conséquences de l’épidémie de SARS-CoV-2. Comment ont- ils assuré leur approvisionnement pendant une telle crise sanitaire ?
[small]1- Sans compter les cas où l’usage récréatif est en réalité une automédication qui s’ignore, comme le souligne Nicolas Authier, pharmacologue au CHU de Clermont-Ferrand et président du comité d’expérimentation du cannabis. Voir à ce sujet la vidéo https://www.principesactifs.org/le-cann … -authier/..[/small]
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Impacts du confinement sur les modes d’approvisionnement
Notre association a décidé, dès l’annonce de l’instauration du confinement en Italie fin février, de faire le point sur les traitements à disposition des adhérents (cannabis à vaporiser, gélules, teinture-mère…) pour aborder sereinement la période à venir. Seuls trois membres ont eu besoin d’être aidés et nous nous sommes organisés avant la fermeture des bureaux de Poste. Bertrand Rambaud, fondateur de l’Union francophone pour les cannabinoïdes en médecine (UFCM-I- Care), nous a signalé avoir procédé de la même façon au sein de son association.
Nous aidons et conseillons nos adhérents pour qu’ils s’investissent, dans la mesure de leurs capacités, dans l’autoproduction raisonnée. Une solution qui séduit bien au-delà des associations, lorsqu’on remarque l’engouement croissant pour la culture personnelle de cannabis en France depuis ces dix dernières années. Selon le Baromètre santé 2017 de Santé publique France, environ 7 % des usagers de cannabis auraient eu recours à l’autoproduction, soit entre 150 000 et 200 000 personnes, et vraisemblablement plus aujourd’hui comme le laissent à penser l’augmentation du nombre de boutiques spécialisées en ligne, des sites et forums d’entraide, ainsi que l’essor du secteur commercial de la culture de plante indoor : de 2005 à 2016, le nombre de growshops est passé d’une soixantaine à plus de 3002.
Mais la culture personnelle n’est pas incompatible avec le recours au marché noir, parce que l’autoproduction ne permet effectivement pas de subvenir entièrement aux besoins individuels de la plupart des cannabiculteurs : selon le Baromètre santé 2017, moins de la moitié y parviendraient, ce qui expliquerait chez beaucoup d’usagers quotidiens et réguliers la coexistence de la culture et de l’achat comme modes d’approvisionnement privilégiés3.
L’entraide
Certains patients ont ainsi la possibilité de se fournir chez des auto- producteurs qui cultivent à des fins récréatives. Lorsque la relation
2 – « Les mutations du marché du cannabis en »rance”, OFDT (2019), URL : https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/epfxmgz7.pdf.
3 – Ibid.
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de confiance entre acheteur et vendeur est bien établie, les planteurs acceptent souvent de cultiver les variétés spécifiques souhaitées par les patients.
Bien évidemment, quand il faut une attestation de déplacement dérogatoire avec une raison valable de sortir de chez soi4, tout devient plus compliqué, mais de nombreux patients ont anticipé en faisant des réserves.
Lieux de vente en extérieur
Un grand nombre de patients se fournissent sur le marché clandestin français. Or celui-ci a été bouleversé par le confinement, qui a d’abord provoqué une importante désorganisation, voire une « sidération » chez les trafiquants, selon l’office anti-stupéfiants (OFAST, ex-OCRTIS), qui estime une baisse des trafics de 30 à 40 %. Dix jours de stocks ont ainsi précédé une « pénurie » qui s’est traduite par une augmentation « massive » des prix (en gros comme au détail), de 30 à 60 % pour le cannabis5.
À Paris, la police note que « le niveau des commandes s’effondre de -90 % ». La plupart des consommateurs ont diminué leurs achats en raison de l’obligation de rester chez soi, ainsi que « de la baisse de leur vie sociale […] et de la fermeture des établissements de nuit »6.
Mais les usagers de cannabis, thérapeutique ou récréatif, habitués à vivre dans l’illégalité, sont généralement prévoyants et organisés. Dès la veille du confinement, nous avons pu ainsi observer de longues files d’attente sur certains lieux de vente en Seine-Saint- Denis (93). Et pendant le confinement, nous avons constaté la persistance de la vente illégale de cannabis dans ces lieux, ce qui nous a été
4 – Un usager audacieux n’a pas hésité à prétexter, devant les gendarmes, « un besoin impérieux d’aller chercher sa dose de cannabis » (« Attestation de dépla- cement : ces drôles de motifs invoqués auprès des gendarmes », La Commère 43, 4/4/20, URL : https://www.lacommere43.fr/actualites/i … 9-attesta- tion-de-deplacement-ces-droles-de-motifs-invoques-aupres-des-gendarmes. html).
5 – « En France, le trafic de drogues a baissé entre 30 et 40 % pendant le confi- nement », AFP, 15/5/20, URL : https://laminute.info/2020/05/15/en-france-le- trafic-de-drogues-a-baisse-entre-30-et-40-pendant-le-confinement/.
6 – « Confinement : le marché de la drogue est en “pénurie”, les prix bondissent », Le Figaro, 11/4/20, URL : https://www.lefigaro.fr/actualite-france/confine- ment-le-marche-de-la-drogue-est-en-penurie-les-prix-bondissent-20200411.
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confirmé par de nombreux usagers récréatifs ; surtout dans les sites d’approvisionnement (spots) très structurés et organisés, proches des grossistes, qui ont eux-mêmes continué la vente et assuré la livraison. Inversement, les nombreux petits revendeurs, beaucoup moins structurés, plus isolés, ont été très rapidement en rupture de stock. L’OFAST explique en effet que les trafiquants disposant de contacts directs à l’étranger et d’une capacité de stockage en France « sont aujourd’hui en position de force », capables d’acheter en gros ou semi- gros et prendre les parts de marché des groupes isolés et revendeurs indépendants7. Car toute la logistique des trafics s’est rapidement réinventée face à la crise et la police reconnaît la grande ingéniosité des trafiquants pour garantir approvisionnement et vente : « Face aux difficultés d’acheminement du cannabis de l’étranger par voie terrestre, nombre de trafiquants se réorientaient vers la culture indoor sur le territoire national », observe Samuel Vuelta-Simon, chef adjoint de l’OFAST8. Et au plus près des zones urbaines de consommation, pour diminuer les risques et les coûts liés à la logistique du transport. L’OFAST constate ainsi une augmentation de l’autoproduction (saisies en 2019) tant au niveau des particuliers que des « cannabis factories », plantations de centaines ou de milliers de pieds9.
Pour maintenir les ventes, vive l’« ubérisation » du cannabis !
Internet et réseaux sociaux
Entravé dans le monde réel à cause du confinement, le commerce de cannabis s’est donc reporté logiquement et inévitablement sur Internet, où les usagers habitués aux réseaux sociaux ont vu fleurir bon nombre d’annonces de vendeurs, aux pseudos explicites : « Uber Shit 22 »10, « UberSheat »… qu’il suffit de contacter via les messageries Telegram ou Snapchat pour préciser la quantité désirée, le prix et
7 - Ibid.
8 – Cité dans « Circuits courts, distribution facile : la production française en plein essor », Le Figaro, 13/8/20, URL : https://www.lefigaro.fr/actualite-france/ circuits-courts-distribution-facile-la-production-francaise-de-cannabis-en- plein-essor-20200812.
9 – Selon Stéphanie Cherbonnier, contrôleuse générale de l’OFAST, auditionnée par la mission parlementaire.
10 – « Le lucratif business du shit “livré à domicile” », Ouest-France, 28/7/20, URL : https://www.ouest-france.fr/bretagne/re … le-trafic- de-stups-aurait-genere-200-000-eu-en-deux-mois-6917734.
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le rendez-vous de livraison, à domicile ou dans des lieux « neutres » (parkings de supermarché, magasins…), avec souvent la garantie annoncée d’une livraison, quasiment dans l’heure, de produits de qualité. Mais pas forcément appropriés aux besoins spécifiques du patient.
Certains utilisent donc le Darknet. Contrairement aux rumeurs, cette « face obscure » d’Internet n’est pas nécessairement synonyme d’arnaque aux produits frelatés ou impropres à la consommation. Les acheteurs peuvent évaluer les vendeurs et donc repérer les plus fiables. En outre, et c’est là un avantage non négligeable sur le marché de rue, la gamme de cannabis proposée, en termes de variétés, est assez large pour que le patient puisse choisir plus précisément celle(s) qui lui correspond(ent) le mieux.
Les effets du confinement sur l’usage de cannabis
Deux études se sont penchées sur les répercussions du confinement sur les usages, les pratiques et la santé des consommateurs réguliers de cannabis, et fournissent des résultats préliminaires globalement concordants. La Global Drug Survey (GDS) spéciale Covid-1911 rapporte ainsi que 36 % des usagers n’ont pas changé leurs habitudes, 37 % ont augmenté le nombre de jours de consommation, et 27 % ont diminué. L’étude remarque qu’un quart des usagers de canna- bis déclarent avoir augmenté leur consommation pour gérer le stress relatif à la pandémie, mais ils ne semblent pas avoir été confrontés à une pénurie.
Les premiers résultats de l’enquête Cannavid12, pilotée par les associations marseillaises Bus 31/32 et Plus Belle La Nuit, en partenariat avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), lancée fin avril, révèlent que 29 % des usagers ont main- tenu une consommation identique, 35 % l’ont augmentée, 28 % l’ont diminuée et seulement 7 % l’ont arrêtée pendant le confinement.
11 – La Global Drug Survey a pour objectif d’« examiner l’offre, les comportements, l’expérience des drogues et les politiques publiques », Libération, 3/6/20, URL : https://www.liberation.fr/france/2020/0 … -a-pousse- les-francais-a-consommer-plus-d-alcool-et-de-psychotropes_1790097.
12 – CANNAVID, Résultats préliminaires : caractéristiques sociales, URL : http:// fr.ap-hm.fr/site/corevih-poc/actu/enquete-cannavid.
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Les usagers sont bien prévoyants puisque 46 % ont déclaré avoir constitué un stock de cannabis depuis le début du confinement. Si 30 % déclarent un usage récréatif exclusif, 40 % pratiquent une « automédication au moins occasionnelle et non exclusive » et 10 % une automédication exclusivement (20 % sans réponse), soit une proportion remarquable de 50 % d’usagers aux motivations très largement thérapeutiques ou d’automédication liée au stress, aux insomnies, à la douleur. Consommé sensiblement plus par certains, le cannabis est parvenu à soulager ceux qui ont vécu le confinement comme une épreuve difficile.
Des initiatives plus ou moins appropriées
Dès le début du confinement, des addictologues ont suggéré13 aux usagers de cannabis de profiter de cette période pour entreprendre un « sevrage accompagné », expression sans doute moins agressive qu’« abstinence ». Ce discours maladroit, amalgamant usage récréatif et thérapeutique, nous a grandement irrités car en matière d’usage médical, et surtout dans un tel contexte, il ne s’agit pas d’un problème d’addiction mais de suivi d’approvisionnement du traitement, ce qui est fort différent. Certains patients, isolés ou loin de lieux de vente, ont été malheureusement obligés de reprendre des traitements qu’ils avaient arrêtés, très souvent des opiacés, des morphiniques, etc.
Une autre initiative décrète qu’« il y a urgence à prescrire du cannabis dans les Ehpad »14, ce qui part d’une bonne intention puisqu’on y prescrit beaucoup de benzodiazépines, d’antidépresseurs et d’opioïdes capables d’entraîner « des pharmacodépendances sévères » aux « conséquences lourdes ».
Cependant, outre qu’une autorisation si restreinte serait difficile à justifier, il ne s’agit pas là d’une priorité. Les personnes âgées, pour le moment, n’ont rien demandé, même si cela se pratique déjà en Europe : en Suisse, des maisons de retraite donnent du cannabis à
13 – « Addiction au cannabis, confinement et détention » par Jean-Michel Delile, président de la Fédération Addiction.
14 – Tribune de Jean-Yves Nau et William Lowenstein, Slate, 16/4/20, URL : http:// www.slate.fr/story/189561/confinement-u … ees-ehpad.
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leurs pensionnaires âgés, pour lutter contre le stress, calmer des douleurs chroniques ou atténuer les effets de la démence15.
Notons enfin une tribune16 intitulée « Après la crise du Covid-19, il faut légaliser le cannabis, vite ! », signée par le député F.-M. Lambert (LREM, Bouches-du-Rhône) et une soixantaine d’élus de tous bords (LREM, EELV, UDI, LFI, LR) ainsi que des médecins. Ils estiment à juste titre que la légalisation du cannabis est une des solutions du « monde d’après » Covid-19.
Conclusion
Le coup d’arrêt du trafic et de l’approvisionnement en début de confi- nement avait fait dire à certains oiseaux de malheur, sur les réseaux sociaux et dans une certaine presse, que les banlieues allaient se révolter et les prisons s’embraser. Rien de tout cela n’est finalement arrivé.
En définitive, la logistique des trafics s’est réinventée pour faire face à la crise, et ni la prohibition ni le confinement n’ont eu d’effets véritablement significatifs sur la grande majorité des usagers de cannabis récréatif ou thérapeutique, qui ont pu éviter la pénurie, mais pas toujours les prix élevés. Les patients très isolés ont rencontré des difficultés pour s’en procurer, mais certains ont pu se lancer dans l’autoproduction.
Le vrai problème n’est donc pas le confinement mais le manque de courage de nos politiques pour légaliser le cannabis, qu’il soit à visée thérapeutique ou récréative. Qu’il soit donc mis fin aux poursuites pénales pour autoproduction et usage et que l’accès à tous les traitements à base de cannabis, y compris sous sa forme naturelle, soit autorisé sous conditions. Et que l’expérimentation mise en place
15 – Voir par exemple Aurélie Revol, « Prescription de cannabis à usage théra- peutique pour les personnes âgées atteintes de démence : l’engouement des proches aidants », Psychotropes, 2019/2, vol. 25, p. 129-149, URL : https:// www.cairn.info/revue-psychotropes-2019-2-page-s129.htm. doi: 10.3917/ psyt.252.0129
16 – L’Obs, 18/6/20, URL : https://www.nouvelobs.com/societe/20200618. OBS30192/tribune-apres-la-crise-du-covid-19-il-faut-legaliser-le-cannabis- vite.html.
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s’ouvre enfin, et aussi, aux autres pathologies pour lesquelles le cannabis est indiqué.
Un secteur « pour lequel le coronavirus est une bénédiction, c’est bien celui de l’herbe », rapporte le Los Angeles Times17. Dès l’annonce du confinement en Californie, la demande s’est envolée, et le gouverneur a classé le cannabis dans les produits de consommation essentiels. Logique.
17 – Courrier international, 20/4/20, URL : https://www.courrierinternational. com/article/etats-unis-en-californie-le-confinement-fait-les-affaires-des-pro- ducteurs-de-cannabis.
Raphaël Carrez, Fabienne Lopez
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Source : Principes Actifs et Psychotropes
Dernière modification par filousky (09 décembre 2020 à 17:44)
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