Salut,
Dur de faire des généralités sur le sujet, donc je me contenterai de te parler de mon expérience personnelle. C’est peut-être égocentrique mais on m’a bien appris qu’il fallait jamais parler qu’en son nom propre... chacun voit midi à sa porte après tout.
Donc... J’ai testé pour la première fois la
cc alors que j’étais en Afrique à l’âge de 22 ans, on m’a juste proposé un trait, je savais pas à quoi m’attendre, j’ai rien senti, on m’en a pas proposé plus, et c’en est resté là.
J’ai par la suite consommé beaucoup d’autres choses et suis notamment devenu dépendant aux
opiacés jusqu’à ce que je sois substitué, mais je n’ai pas recroisé la route de la
cc jusqu’à mes 27 ans, lorsqu’un ami - fraîchement veuf - m’a demandé si je préférais qu’il aille se cacher dans mes chiottes pour taper, je trouvais ça absurde donc je l’ai invité à taper devant moi et lui ai demandé un trait, alors encore convaincu que ma némésis c’était les downers. Je n’ai toujours rien senti en prenant un trait, mais le pote avait de la réserve, je me suis donc mis en tête de taper jusqu’à ce que je sente quelque chose de différent, et c’est là la première barrière que j’ai franchie: quand j’ai véritablement pu sentir ce que ça faisait (volubilité, temps qui passe sans que je m’en rende compte), j’ai pu dire que ça me plaisait.
Il y a des addictos qui disent que la dépendance à un produit commence lorsque l’on sait ce que l’on y recherche; ça se discute comme conception des choses, mais me concernant, ma consommation n’a plus connu d’arrêt pendant un an et demi, jusqu’à ce que j’aille en cure.
La deuxième barrière qui a été franchie, c’est celle de l’effet durable que ça a eu: dès le lendemain j’étais miraculeusement sorti de 2 ans de dépression, je re bougeais de mon lit, j’entreprenais des choses, j’avais moins faim, et j’ai donc cherché à entretenir cet état de grâce en reconsommant, toujours avec le même pote.
La troisième barrière qui a été franchie, c’est celle de l’achat: bien vite ce pote est arrivé à cours des quelques jours de consommations qu’il avait sur lui, et il a fallu s’en procurer. Pour la première fois de ma vie j’ai mis les pieds sur un point de deal, qui en plus était juste à côté de chez moi. À partir du moment où j’ai su où je pouvais m’en procurer, je n’avais plus besoin de ce pote là pour consommer.
Alors je me suis mis une limite: ne jamais consommer seul. C’était pas con, après tout l’intérêt que j’y trouvais était surtout d’être plus à l’aise en public, mais c’était l’été, des amis défilaient non stop chez moi, et plus ça allait, plus je me faisais de nouveaux amis, du coup j’avais presque tous les jours l’occasion de consommer, et je consommais en leur présence et avec leur aide tout ce que j’avais avant qu’ils ne partent (quitte à chercher à prolonger indéfiniment leur présence chez moi), donc quand la soirée se terminait, j’avais plus rien, je me couchais, et ça s’arrêtait là. Jusqu’au jour où il m’en est resté un peu et je me suis dit que j’allais faire un dernier trait avant de me coucher. C’était anodin, mais ça y était, la limite était transgressée, et quand ça arrive une fois, ça sert d’excuse à la suivante, et ainsi de suite. C’est la quatrième barrière que j’ai franchi: j’ai commencé à consommer seul.
À partir du moment où j’ai commencé à consommer seul (fin de l’été, soit deux mois après le tout début de ma phase de consommation), j’ai franchi une cinquième barrière: je me suis créé le besoin de consommer. Parce que tout était plus agréable lorsque je consommais, de fait j’ai appris à ne plus faire certaines choses sans (sortir boire un verre entre amis, faire de la route, les soirées etc), jusqu’à oublier que j’étais capable de les faire sans, et donc avoir besoin du produit pour les faire. Pour TOUT faire, in fine, parce qu’il y avait toujours une bonne excuse pour consommer.
Arrivé là, j’étais déjà indiscutablement dépendant du produit. Tout ne tournait plus qu’autour de ça, mes journées étaient rythmées par les AR à la téc’ d’à côté de chez moi pour me fournir, je ne fréquentais plus que des gens qui consommaient aussi (les autres s’étant petit à petit détourné de moi), et j’ai franchi une sixième barrière: l’absence de pauses. Alors oui il y avait toujours un ou deux jours par semaine où je consommais pas, mais c’étaient des journées où je faisais rien d’autre que somnoler dans mon lit, et là où avant il y avait fréquemment plusieurs jours d’intervalle entre mes consommations, là il devenait exceptionnel que je ne consomme pas.
J’ai franchi une septième barrière lorsque je suis arrivé au bout des sous que j’avais sur mon compte principal: j’ai donc tapé dans mes économies. J’ai craqué mon PEL, aux alentours d’octobre, et comme je suis généreux de nature (et un peu con) je faisais jamais participer les potes, je rinçais systématiquement tout le monde, les 5000€ que j’avais mis 10 ans à épargner et que j’ai sortis à ce moment là j’ai régulièrement prélevé mes consommations dessus parce que mes revenus ne suffisaient plus à les financer, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien.
J’aurais pu franchir encore une étape à ce moment là en me mettant à baser, un pote m’ayant appris comment faire et fumer le
caillou, c’est la suite logique pour nombre de toxicomanes. Mais ça ne m’attirait pas. Par contre......
Pas de chance j’ai de
base une formation médicale qui m’a appris à trouver les veines. Comment s’y prendre pour shooter, je ne le savais pas vraiment et j’ai un peu tâtonné parce que j’essayais à tout prix d’être stérile dans chaque étape, mais bon, on a tous vus des films la dessus, le reste avec un peu de logique et les couilles de risquer de gâcher de la marchandise, ça se fait tout seul. La huitième étape que j’ai franchie, c’était celle de se piquer. J’avais à l’époque aucun injecteur dans mes connaissances, donc aucune idée de quelle quantité mettre, j’ai fait ça au jugé, et personne pour me mettre le trocart dans le bras, j’ai du affronter cette réticence tout seul, et la première fois je me suis chié en beauté, j’ai tout foutu à côté, parce que j’avais même pas la notion de la tirette, je m’étais jamais franchement renseigné, tout ce que je savais c’était qu’IV=flash, et ça ça faisait déjà des années que ça me trottait en tête, et puis quelques vagues notions cinématographiques que tout le monde a, par contre je pensais que le jour où je l’essayerais ce serait avec de l’héro. Sauf que c’est pas facile à trouver dans le sud et j’avais connaissance qu’elle était toujours de très mauvaise qualité. Et tout ce temps là, je ne savais pas non plus qu’on pouvait avoir un flash avec la
cc. Mais bon... j’ai fini par l’apprendre quand même...
Deux semaines se sont écoulées avant d’avoir l’occasion de recommencer. Par occasion, j’entends par la que cette fois ci j’étais bien renseigné sur comment m’y prendre, quelle quantité mettre, quelles pompes prendre et découvrir que je pouvais parfaitement les demander en pharmacie, j’avais de la
cc de qualité, de la
ké en plus, je sortais d’un concert, et j’étais avec un ami de confiance qui pouvait tolérer que je fasse ça, entendre par là qu’il préférait toujours être là et pouvoir appeler les secours que me laisser faire mon OD tout seul dans mon coin et pleurer mon décès comme celui de sa femme quelques mois auparavant. La deuxième fois aura été la bonne, avec un gros Calvin Klein, et c’est là la dernière étape que j’ai franchie: j’ai connu le flash. C’est à mon sens un point de non-retour, parce que c’est comparable à rien d’autre à part à un orgasme sauf que c’est sans commune mesure niveau plaisir et qu’il y a en plus à chaque fois la grande inconnue de si l’on va y rester ou non, ce qui pour quelqu’un qui a des pulsions suicidaires depuis déjà une dizaine d’année, est au moins aussi addictif que l’effet du produit lui-même. Là s’est alors produit la catastrophe: je suis non seulement devenu dépendant au geste, parce qu’il était associé au plaisir, mais en plus je n’ai plus trouvé d’intérêt à autre chose qu’à prendre ce plaisir là, même bouffer, même baiser (a quoi bon, c’est moins bon... c’est pas que c’est mieux d’injecter, c’est juste que chimiquement dans le cerveau rien ne peut déclencher naturellement la même puissance de plaisir). Et là pour se sortir de ça c’est une drôle de galère, c’est un deuil à faire, et il faut réapprendre à prendre du plaisir dans des activités normales, indiscutablement moins plaisantes (mais qui sont au final meilleures et plus saines... je sais pas si je me fais bien comprendre, mais il faut intégrer qu’il n’y a pas que la puissance et la durée qui rentrent en jeu dans le plaisir, mais aussi le désir de le ressentir, l’attente, la pression sociale positive, la valeur sentimentale et objective qu’on lui donne, etc. Autant de choses qui me font maintenant nettement préférer tirer un coup avec une personne que j’aime que me mettre un taquet... mais pendant une longue année ça n’était clairement pas le cas...).
Bref je m’éterniserai pas plus sur l’injection ça n’est pas le sujet, ni sur toutes les conséquences désastreuses que ça a eu sur ma vie et que tu peux facilement imaginer si tu te dis que j’ai passé dans mes veines plus de 7 grammes (soit plus de 500€) rien qu’entre le 24 et le 25 décembre (que j’ai donc passé tout seul à me piquer plutôt qu’en famille... un Noël à mettre au rang des pertes et profits... sauf que ce sont des moments qu’on peut pas rattraper) et que je n’ai véritablement arrêté qu’un an plus tard grâce à une cure et surtout « grâce » au fait que j’ai absolument plus aucune veine encore en état pour m’adonner à ce genre d’activités...
Mais si je dois résumer tout ce que j’aurais à mon sens du faire pour ne pas en arriver là, je dirais qu’il faut:
- D’abord ne pas chercher à consommer jusqu’à en ressentir un effet (plus exactement je dirais plutôt qu’il ne faut jamais s’obstiner et toujours savoir s’arrêter à une mauvaise expérience)
- Ne pas se servir de sa conso comme d’un moyen thérapeutique pour quoi que ce soit (donc n’avoir que des consommations plaisir/festives, parce que comme me le disait mon ancien addicto: « par définition, on fait pas la fête tous les jours, sinon c’est plus la fête »)
- Eviter autant que faire se peut d’acheter soi-même (et surtout pas comme moi aller habiter à côté d’un point de deal... ça devrait couler de source pour un addict mais j’ai préféré faire la sourde oreille à ces réticences que j’avais moi même dès le départ avant d’emménager là); ça n’implique pas pour autant qu’on ne peut et doit pas être renseigné sur ce qu’on consomme, et par contre si tu dois acheter de manière autonome, évite d’acheter de grosses quantités, parce que plus t’en as plus t’as tendance à en consommer (pour la plupart des consommateurs, plus ils avancent dans leur consommation plus ils ont de mal à se restreindre quand y’en a)
- Ne jamais consommer seul (mais le corolaire c’est aussi qu’il faut pas s’entourer que de consommateurs, en tout cas fréquenter aussi des gens qui ne consomment pas ou plus ça peut grandement aider à se remettre les yeux en face des trous quand on déconne)
- Ne pas associer la consommation à la moindre activité (et parallèlement ne jamais oublier qu’on savait faire les mêmes choses avant sans consommer, donc qu’on en est toujours capable)
- Ne pas consommer tous les jours, et si possible faire des pauses prolongées sans produit
- Ne jamais taper dans ses économies pour financer sa conso, ne jamais la laisser dépasser un certain seuil qui t’est propre, et ne pas profiter de la moindre rentrée d’argent pour consommer; et au contraire essayer de mettre tout le temps un peu de côté auquel on ne touche pas pour se payer de la
cc (tout ça ce sont des règles de gestion de budget qui sont très individuellement variables, ca se discute, mais ce qui est sûr c’est qu’on finit par complètement les perdre quand on perd le contrôle de sa consommation)
- Se contenter de taper (ne pas baser, et encore moins injecter; et si jamais tu dois le faire, renseigne toi bien à fond avant de faire n’importe quoi, suis bien les démarches de
RDR. On pourrait être tenté de penser que le moins on en sait le moins on risque d’en faire, mais c’est des conneries, si t’as la pulsion au fond de toi tu feras quand même, tu te mettras juste beaucoup plus en danger. L’ignorance n’a jamais sauvé personne de la transgression, à partir du moment où tu as ne serait-ce que la notion d’un interdit tu es déjà à risque de le franchir, donc autant le faire en toute sécurité si ça doit arriver)
- Ne jamais franchir la saine réticence qu’on a tous (au moins initialement) à se foutre une aiguille dans le bras (et ne pas plus le laisser faire a quelqu’un d’autre). Ça c’est essentiel particulièrement vis à vis de la
cc, parce que c’est un gouffre financier bien pire encore que l’héro (il faut des quantités plus grosses et plus chères pour obtenir un flash), et en plus c’est associé à un plus grand risque de nécroses cutanées (je le savais pas, je l’ai expérimenté j’ai des cicatrices partout maintenant, et j’en ai eu la confirmation en le lisant il y a peu; je sais pas exactement à quoi c’est du mais je pense que c’est lié au fait que l’on a beaucoup plus tendance à shooter à côté de la veine et à la laisser s’épancher ensuite dans le tissu alentour parce que c’est indolore du fait que la
cc est anesthésiante, contrairement à d’autres produits qui font souffrir le martyr à la moindre gouttelette qui passe dehors... et vu que c’est anesthésiant on a tendance à s’acharner beaucoup plus à chercher une veine qu’on ne trouvera plus après le premier taquet parce que la
cc est vasoconstrictrice; ça m’est couramment arrivé de voir le soleil se lever et se recoucher en n’ayant pas fait un break dans la recherche de veine sans même le moindre flash supplémentaire)
- Et en dernier lieu, si ça devait se produire pour x ou y raison, n’injecter qu’une petite quantité de produit, d’une part parce que ça minimise le risque d’OD, et d’autre part parce que si la dose est insuffisante pour atteindre le flash, tu seras peut-être moins retenté de réitérer l’expérience (alors que je connais personne qui se soit contenté d’un flash dans sa vie, mis à part ceux dont ça a immédiatement causé le décès).
Et pour ce qui est de ta dernière question... ben j’ai jamais eu la moindre fois de
descente de
cc, même en injectant. Quand je shootais j’éprouvais le besoin irrépressible de continuer jusqu’à ce que j’ai épuisé la totalité de mon réseau veineux, dussé-je y passer 48h sans dormir. Et quand je tapais, je tapais tout ce que j’avais jusqu’à ce que je m’endorme, ce qui arrivait généralement tard dans la nuit mais assez rapidement quand même, et le lendemain matin était un jour nouveau. Donc je peux pas te répondre, d’expérience j’ai toujours pu lier les gens qui faisaient de mauvaises
descentes aux mauvais produits qu’ils tapaient, qui puaient le
speed à deux bornes, la
descente de
speed étant notoirement mal réputée et la
cc fréquemment coupée aux
amphets ici (je sais pas si c’est partout le cas mais au delà même de l’odeur, le
bruxisme les trahissait). Mais étant de longue date sous antidep et sous
neuroleptiques........ voilà voilà.......
Courage à toi en tout cas, et je terminerai juste en te disant que l’important c’est que tu connaisses tes propres limites. C’est pas forcément celles des autres, c’est propre à chacun (donc fais ton affaire avec tout ce que je t’ai dit, c’est aucunement l’unique vérité existante), l’important étant que tu te les fixes (quitte à te faire un contrat par écrit, ça m’a déjà été conseillé par un addicto bien après l’avoir fait sous l’impulsion de mon ex) et que tu ne les franchisses sous aucun prétexte. Ne perds jamais de vue qu’une exception à la règle aujourd’hui, c’est la meilleure des raisons d’en faire une autre demain... jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de règle du tout. Et on en vit pas plus heureux. Le comportement dont j’ai le plus honte dans l’affaire rétrospectivement, c’est de m’être donné des excuses pour justifier tous les écarts possibles et imaginables jusqu’à ce que je perde une à une toutes les choses qui comptaient pour moi.
De manière générale, ne transgresse jamais à chaud les interdits que tu t’es mis à froid, et en cas de doute temporise et remets ta décision à plus tard, je peux pas mieux te dire, si je m’étais donné 24h à chaque fois que j’ai fait une erreur dans les décisions que j’ai prises, j’aurai aucun regret à l’heure actuelle.
PS: ça vaut ce que ça vaut, j’ai jamais que 30 piges, je suis pas complètement abstinent, et j’ai toujours pas appris à avoir une attitude bienveillante et patiente envers moi-même. C’est beaucoup plus facile de donner un conseil avisé que de l’appliquer soi-même. Les conseilleurs sont les mauvais payeurs tmtc
Dernière modification par Jonasculine (07 janvier 2021 à 07:42)