Set and Settings incorporés au récit :
Il est 7 heure lorsque je me lève, il fait encore nuit. Cela fait bien 45 minutes que je n’arrive pas à m’endormir, je suis trop excité par la journée à venir. Je me suis déjà rasé la veille, comme lorsque je vais à un évènement qui compte pour moi, après ma douche je vais dans le salon pour me faire un thé. Le variateur me permet de mettre les appliques au minimum, les ampoules reçoivent à peine ce qu’il faut de courant et la lumière vacille tendrement.
Je suis dans la pénombre et l’aube se déploie alors que je regarde l’horizon se révéler au travers des larges baies vitrées. Les montagnes sont dégagées, violet, mauve, bleu pale, tandis que le soleil poursuit sa course. La vallée est belle, des arbres à perte de vue, un clocher, un château d’eau, une ferme au loin, pas de poteaux électriques.
Au printemps j’ai semé de la jachère fleurie, le jardin devant la terrasse est habillé d’innombrables cosmos, soucis et pensées, vestiges de ce que les moineaux ont bien voulu nous laisser. Devant moi seulement la nature et quelques traces de l’homme. Assis dans le fauteuil à siroter mon thé je profite du spectacle et de la chance que j’ai, je me sens serein, ni projections, ni souvenirs, présent.
Il est 9 heures lorsque mon gardien me rejoint pour prendre son petit déjeuner, les derniers détails ont été réglés la veille, nous n’avons pas besoin d’en rajouter. Imperturbable le soleil progresse, la journée est splendide. Je me mets à table et je sors la balance, je pèse, 0.2, 0.3, 0.5.... 1,04g, je m’arrête là, 1m88, 105/110kg ça suffira. C’est la première fois pour moi. Ils sèchent depuis 10 jours, je les ai trouvés dans la nature en me documentant et en marchant pendant les trois semaines avant ce jour.
Quelle chance que l’état “préserve” la nature, la documente, l’étudie et fasse des rapports, zones humides, tourbières, landes à molinie, à bruyères, bassins versants etc etc. J’imagine qu’avoir passé une bonne partie de ma vie à ramasser des cèpes, des girolles, des pieds de moutons, parfois les vendre pour arrondir les fins de mois, m’ont été d’une petite aide pour écarter les indésirables, lorsqu’il y a un doute ce n’en est pas, quand on les trouve, on sait.
Dernier rituel avant l’ingestion, j’allume un bâton de feuille de sauge, et avec la fumée, je me nettoie, la tête pour ce que je pense, les bras pour ce que je fais et mes actions, le cœur pour ce que je ressens, le dos pour ce que je porte, les jambes pour le chemin que j’ai parcouru et que je parcoure, les pieds pour me rappeler d’où je viens et ou je vais.
Il est 9h26, sans transition, j’attrape le contenu du bol et commence à mâcher, assis sur le rebord du canapé en regardant la vallée, le goût ressemble à du miso pendant 10 secondes puis c’est rapidement visqueux et fongique, j’avale rapidement une première fois, il en reste c’est terrible, deux haut le cœur, j’attrape un verre d’eau sur la table basse et j’ingurgite le reste avec. J’aime l’amertume de l’Iboga que je micro dose par intermittence mais la consistance des champignons c’est à part. La playlist est lancée, The Doors pour 30 minutes, Time des Floyd, Baby de Sweet Smoke puis un melting-pot entre flutes amérindiennes, Sade, Medwyn Goodall, Enigma, quelques morceaux choisis de Jazz, des chants pygmées et du Mougongo.
J’attrape mon instrument et je pose des sons par-dessus les Doors, harmoniquement incorrect mais qui s’en soucie, je m’écoute jouer, je la repose 10 minutes plus tard. Toujours assis, je regarde mon environnement et j’écoute la musique. Après un certain temps, je me demande si c’est en train de monter, je me sens bien, apaisé et les dessins de la volige du salon semblent s’animer, c’est imperceptible mais je jurerai voir les rayons ligneux bouger, ceux orientés vers le bas semblent descendre et ceux du haut semblent monter, un clignement de paupières plus rien, puis une des plantes du salon parait soumise à un léger courant d’air, je pense demander s’il y a un courant d’air mais je sais que les baies vitrées sont fermées, c’est absurde, je ris en expliquant ce qu’il se passe. Un reflet de lumière forme un losange sur le mur, lui aussi semble se mouvoir, je ne sais pas si je dois me fier à ce que je vois.
Mes seules expériences passées était un abus inconsidéré d’herbe pendant 10 ans, trop jeune, au point qu’aujourd’hui je ne peux plus fumer, je pars en blanc à la première taff et c’est la boucle négative garantie, de la
cocaïne à l’occasion de quelques soirées dont une fut adjuvée d’un demi
buvard qui devait n’en porter que le nom et une prise inconsciente, un peu, un peu, un peu...de racine fraiche d’iboga que je ramenais alors d'Afrique centrale.
sur cette dernière j’ai toujours pensé être passé à rien de me faire embarquer dans un voyage que je ne cherchais pas, mydriase totale et gros coup de panique en me voyant dans le miroir ou plutôt le gorille qui m’y remplaça au point que j’appelai ma mère qui vint apaiser mon trouble. C’était il y fort longtemps.
Je suis toujours sur le canapé il est 10h, je me sens tellement bien, légèrement euphorique, je me rapproche de ma compagne qui est allongée près de moi et me colle à elle, c’est tendre, j’entends la musique, je ferme les yeux et des formes géométriques apparaissent, un kaléidoscope au loin. Sur les côtés de l’écran de mes paupières closent, du rose, du rouge, de la framboise, des mauves, des violettes et du bleu gonflent et changent aléatoirement au rythme de la musique alors que le fond se rapproche, se dissolvant dans les couleurs en arrivant près des marges de l’écran pour qu’un nouveau kaléidoscope apparaisse et suive la même route, sa main sur mon bras est délicieuse et lorsqu’elle le caresse une couleur apparait en bas de l’écran et suis son mouvement, tout est délicat, j’ouvre les yeux et me redresse.
Visuellement j’en suis au même point et même si les murs, la plante et un tableau semblent respirer, je suis parfaitement là, je regarde dehors et les arbres du voisin semblent également bouger, tout cela est tellement imperceptible et fugace que je ne sais pas si c’est réel ou l’envie que ça le soit. Bref ça fait 1h30 que ça monte et je me dis que ça ne partira pas plus loin, je me lève pour ajouter 4/5 spécimens sur les quinze qu’il reste, ivre je chancèle jusqu’à la cuisine, plonge la main dans le sac, je me sens très conscient lorsque ma compagne me prive d’un re-drop que je sens approprié, analyse rapide : si j’insiste, elle refusera, y’a moyen que ça m’énerve, je suis peut-être toujours en train de monter, ce n’est pas le moment de faire une scène et de s’embrouiller en plein trip, fin de l’analyse, je me range à son jugement “t’avais dit 1g, 1g c’est 1g”. Qu’elle soit ici remerciée chaudement pour sa présence d’esprit et son amour tandis qu’elle cache le sac. J’esquisse néanmoins une moue d’enfant déçu parce que c’est plus amusant comme ça.
Tandis que je retourne à ma place et qu’elle ouvre en grand les baies vitrées, d’un coup je bloque sur l’extérieur, je porte des lunettes polarisantes alors qu’elles sont posées sur la table, tout est profondément coloré et le cadre de la baie vitrée dramatise d’autant plus la vue, un tableau vivant, le ciel est d’un bleu comme on en voit que sur les photos retouchées, les fleurs et la forêt suivent le mouvement, quelqu’un a bloqué le curseur saturation au maximum, je suis ému aux larmes devant tant de beauté, c'est très vibrant, il y a comme un halo fin autour de chaque choses.
Ma compagne va se poser sur le trampoline de la terrasse, je la rejoins, les yeux rivés au ciel je regarde quelques cirrus perdus dans l’immensité, la musique est agréable c’est Smooth Opérator, on chante ensemble en faisant rebondir le trampoline, on rit, elle lance tellement d’idées drôles que je me demande si elle est étanche à mon état, les nuages coulent du ciel par intermittence comme une cascade céleste.
J’ai des fourmis très agréable dans les pieds, comme s'ils étaient douloureux et massés, j’ai l’impression qu’on me fait une séance de réflexologie plantaire, c’est divin.
Elle retourne sur le canapé alors que je m’installe confortablement sur un fauteuil, au bord la terrasse, j’embrasse l’horizon du regard et je me perds dans les montagnes, la forêt dans la vallée toute proche et le jardin fleuris, alors que la beauté du monde me saisit et m'étreint, mes émotions m’envahissent et je glisse dans une torpeur contemplative et béate, le monde s’anime, les nuages sont roses et jaunes pâles par flash, les montagnes sont découpées au lointain, je m’engouffre encore plus, les yeux ouvert, les arbres de la forêt respirent, tous, nimbés d’une lumière éclatante, semblables à des cœurs rayonnant, vivant, du centre vers l’extérieur, leur houppier se contracte et se relâche, les couleurs sont extrêmes, chaque feuille à la teinte de la suivante en son sein.
Tout est précis, détaillé, doté d’une grande vibration et tellement englobé à la fois, tout danse, lentement, jusqu’à l’horizon, je sombre encore en moi-même alors que mes yeux sont embués de bonheur et que mes lèvres désespérées articule “c’est beau” sans un son. Je reste encore là loin en moi-même, pénétré par le monde devant moi si calme, si intense, de longues minutes s’écoulent et je reprends pied comme si je me réveillais à moi. Je suis heureux, qui ne saurait l’être face à tout cela.
Alors que je m’extirpe de ma torpeur et me lève, ma compagne, propose de manger, et j’ai faim, je suis à jeun depuis la veille au soir. Je commence ma
descente, il est 12h30 et le repas m’aide à la poursuivre. J’ai trouvé la
descente agréable, l’ivresse s’estompe mais ma sensibilité s’accroit, nous avons dansé un peu, la playlist continue son chemin et je me rends compte que j’aurais dû faire arriver le mougongo et les chant pygmés deux heures plus tôt.
Il fait chaud dans le salon, nous allons dans la chambre plus fraiche nous poser sur le lit, les yeux ouverts sur le placo peint en blanc je vois les dessins que j’avais les paupières closes se former sur les murs, il n’y a plus de couleurs c’est très amusant. Je me sens l’esprit affuté mais j’ai la tête lourde et je continue la
descente, j’ai envie de bouger, visuellement je suis sensible mais les couleurs et les formes ont repris leurs places, je propose d’aller faire des courses parce que j’ai envie de sentir des humains dans mon périmètre, il est 15h, j’aurais la sensation d’avoir la peau émotive et le retour à la normalité se fera en douceur malgré une fatigue intense.
Pour résumé, j’ai vécu un grand moment de connexion, reconnexion avec ma compagne, qui est mon ilot de sécurité dans un océan d’incertitude, c’était d’une grande complicité, simple et la nature m’en a donnée plein le cœur. Sur la forme, je pense qu'avoir longuement évoqué le sujet avec ma compagne qui n'avait jamais fait ça, avoir expliqué, imaginer de mauvais scénario et la réponse à apporter ainsi qu'une certaine ritualisation m'ont permis d'aborder le voyage de la meilleure des façons pour moi par rapport à mon vécu
Pour le terre-à-terre : côté montée, aucune sensation désagréable, petit nuage, tout le long, ni nausées, ni crampes, ascenseur bien réglé. Plateaux supers agréables et intenses émotionnellement, boucles de pensées faciles à gérer, pour moi à 1g c’était plus facile qu’avec une taff d’herbe, c’est plus malléable qu’avec un pétard depuis mon ressenti, j’ai eu 5 ou 6 occasions de boucler négatif mais c’était “visible” dans ma tête et écarté tout aussi vite. Côté
descente, plutôt interminable mais agréable avec une sensibilité accrue aux sons et aux émotions jusqu’au couché.
Physiquement la tête lourde/pleine jusqu’au soir, épuisé mais pas fatigué et courbaturé le lendemain.
Merci pour votre temps.
Dernière modification par ICI (23 octobre 2022 à 18:52)