Bonjour,
Je fréquente Psychoactif quasiment depuis sa création, étant un ancien de psychonaut à l'époque ou ça bougeait beaucoup.
Je profite d'un même topic pour aligner présentation succincte, expériences et questions.
Je suis un homme, j'ai 30 ans.
Je prend du
TRAMADOL depuis maintenant plus de 2 ans, avec plusieurs
sevrages à mon actif dont un en secteur fermé sur contrainte par demande d'un tier (mon père) et un réalisé home-made avec de la NALAXONE, l'antidote des
opiacés (ça vient remplacer en un temps très court les molécules présentes sur les récepteurs aux
opiacés sans les activer, les effets commencent à se sentir en quelques dizaines de secondes, classiquement utilisé pour les OD et quand les secours trouvent un patient inconscient sans cause clair, dans le doute). Je déconseille très très vivement cette approche qui si elle permet un
sevrage physique complet en 6 à 12 heures, concentre tous les effets du
sevrage physique sur cette durée et présente des risques psychiques mais également physique graves (je m'étais organisé pour être seul mais c'était un remix de l'Exorciste).
[Je sais que beaucoup d'entre vous connaissez la NALAXONE]
J'ai aussi réalisé 2
sevrages classiques tout seul, en ne quittant pas mon lit de la semaine.
Je confirme ce qui a été dis ailleurs : chaque
sevrage suivi d'une reprise rend le
sevrage suivant plus difficile. On pense tout le temps au produit, on sent (ou croit ressentir) les premiers effets du
sevrage 4 heures après la dernière prise même en LP.
Je précise que je suis psychiatre avec un orientation très neuro-bio/TCC (ça ne m'empêche pas d'avoir un suivi par un psychanalyste) et il m'arrive encore de faire du "somatique" où avec toute l'humilité dont je suis capable, je me débrouille. Ceci explique le
sevrage que me suis fait à la NALAXONE mais ne le justifie pas : même si j'avais pris mes dispositions pour que ça se passe le mieux possible ça reste très très con et j'avais trop confiance en mes capacités.
Je me répète au cas ou certains seraient tentés mais surtout le ne faites pas ! Il y a un vrai risque léthal.Petit fun fact : le
TRAMADOL est l'opiacé le plus utilisé par les médecins parce que son effet sérotoninergique permet de continuer à bosser et à paraitre "normal".
Pour rebondir sur ce que disaient toutes les personnes parlant de
sevrage sous sédation complète : cela se fait rarement en France (sevrage extrêmement dur, psy compatissant et relation étroite avec un service de réanimation ou d'anesthésie). En fait, je n'ai jamais eu de patient ou de collègue qui avait vu ça.
Blinder de cacheton type benzo ou
neuroleptiques ça par contre les psys savent faire, on peut parler de sédation partielle mais personnellement je crois que ça soulage plus le personnel que le patient (les
neuroleptiques en particulier : tu souffres autant mais t'es coincé dans ta tête). Après il ne faut pas généraliser, on a tous un cerveau différent et certains sont vraiment aidés, mais mon sentiment et que c'est une minorité.
Quelque chose de plus radical qui se fait mais pas en France, c'est l'utilisation de la NALAXONE sous anesthésie général. Uniquement en clinique qui vendent du rêve aux gens comme nous en leur disant qu'ils entrent à la clinique très dépendant et en ressortent le lendemain complètement sevré. Alors oui ça marche sur la dépendance physique, mais ça n'a pas plus d'avantage en terme de réussite que 7/14 jours en milieu hospitalier et ça rajoute les risques de l'anesthésie. Alors pour des raisons de balance bénéfices/risques (et on va pas se mentir, financier) le législateur à dit "NOP" en France. Il faut aller voir en Suisse ou en Belgique pour ça.
Reste que la dépendance psychique, comme le dit très bien Syam, ne part pas en 7/14 jours (et à fortiori 6/12h). Il est bien établi maintenant que le meilleurs moyen d'éviter une rechute est un
sevrage LONG, avec ou sans
TSO. Ce qui l'est moins par contre, parce que les études veulent toujours aller dans le sens qui les arranges, c'est le ratio réussite du suivi de la cure de 7 jour versus observance du patient de plusieurs années de diminution. En valeur absolu, si 100 patients tentent la méthode A et 100 la méthode B, combien sont abstinent à 10 ans ? L'étude a peut être déjà été faite mais je n'en ai pas connaissance.
Fun fact (pas si fun) que certains connaissent : si le
sevrage physique est plus hard avec la plupart des
opiacés qu'avec le
TRAMADOL, la dépendance psychique elle, est considéré comme supérieur pour ce dernier (du fait du mécanisme séroto).
Maintenant ma petite histoire :
J'ai commencé le
TRAMADOL pour une raison médicale mais qui aurait dû être temporaire, je me le suis prescris moi même (on nous met en garde contre ça mais je suis con). A l'époque, je souffrais d'un épisode dépressif caractérisé d'intensité (très) sévère ( de multiples causes concomitantes) avec déjà une hospit, volontaire, à mon actif. J'étais dans l'incapacité totale de travailler : sortir du lit pour aller aux toilettes (à 10 mètres) était ma pire hantise et je passais mon temps à penser au moment ou je devrais le faire… Je buvais et surtout mangeais le moins possible, non seulement parce que je n'avais pas d'appétit, mais pour limiter le nombre de fois ou je devrais me lever. J'étais sur ma quatrième ligne d'antidépresseur. Bref, le paradis.
Le
TRAMADOL à tout changé : du jour au lendemain je sortais dans la rue, je me faisais des courses plaisirs, je bouquinais et puis surtout j'ai pu retourner travailler. Etant un minimum sensibilisé à la chose je me suis vite rendu compte que je courais vers la dépendance. Environ un mois après ma première prise, j'ai demandé l'aide d'une collègue plus au fait que moi sur ce sujet pour obtenir un schéma de décroissance (et j'étais encore dans les doses thérapeutiques) . Grosse erreur : non seulement elle ne m'a pas répondu (ni aidé du coup, ce qu'elle aurait pu faire et qui aurait tout changé) mais elle en a aussi parlé à la chefferie et j'ai été remercié, sans explication (à l'oral; l'univers médical comme vous l'avez sans doute remarqué se contrefiche royalement des diverses législations).
Dans ces conditions, pas possible d'arrêter évidemment, et voilà comment j'en suis venu à poursuivre le
TRAMADOL jusqu'à aujourd'hui. Un an plus tard je passais quelques temps sous contrainte avec un premier temps en isolement, avec le pyjama et tout le reste (suite à une rupture du
TRAMADOL mal négocié, vu que d'habitude je m'en prescris j'ai eu plusieurs jours sans et j'ai fait une tentative de suicide). Ceux d'entre vous qui ont connu ça attesteront, je pense, de la violence de cette situation. Ce n'était pas spécialement une surprise, ayant déjà travaillé en unité fermé (et en prison..."mur par mur, pierre par pierre...") et de par mon intérêt pour ces questions (j'ai lu surveiller et punir de Foucault la semaine qui a précédé mon arrivé à Fresne) : de plus, toutes les études montrent que les mesures de contraintes (incluant pyjama, privation du téléphone et toute l'infantilisation qui va avec) sont délétères chez la majorité des patients (les autres étant des patients avec psychose active et quelques "personnalités anti-sociales" terme du DSM qui si brasse trop largement : je parle ici de ceux qu'on appelait avant les psychopathes cliniques). J'ai pu sortir rapidement, connaissant les codes et les pièges du milieu (une pensée pour mes camarades de galère qui sont restés sur place). Puis quelques semaines plus tard je replongeais.
Mon expérience du
sevrage n'est pas tant physique que psychologique : franchement la sueur froide c'est pas ouf, les tremblements non plus, la nausée idem. Le plus chiant des symptômes physiques reste la diarrhée parce que je dois sortir de mon lit. Mais le premier truc qui arrive et le dernier qui part, c'est vraiment un mal être monstrueux qui me donnerait envie de me jeter par la fenêtre si ça n'impliquait pas de sortir du lit. Et ça arrive chez moi, au vu de la longue demi vie du
TRAMADOL LP, 24 heures avant les symptômes physiques. Je n'ai pas vraiment testé d'autres
opiacés (si on excepte la
codéine extraite à l'eau froide, la
morphine et l'
héroïne :p mais dans des contextes particuliers qui n'ont pas donnés lieux à répétitions). Je me demandais si les symptômes psychiques étaient similaires où si ils étaient spécifique au
TRAMADOL du fait de son effet seroto.
Alors je prend tout ce que j'ai sous la main :
Paracétamol, AINS (ibuprofène, aspirine, etc...) et si par miracle j'en trouve de la
pregabaline (je précise que ça me demande un effort monstrueux pour aller dans la salle de bain également à 10 mètres pour récupérer ça). Disclaimer : ne prenez pas de
pregabaline sans avis médical au risque de faire une crise épileptique ou de développer une insuffisance cardiaque.
Ce n'est pas une douleur physique que je cherche à calmer mais morale (et les études, quoi que de faible niveau de preuve, tendent à montrer un léger effet antidépressif au
paracétamol [pas plus d'un tous les 6 heures, les hépatites fulminantes avec greffes et traitement à vie sous immunosuppresseur ça se voit même pour ces doses là] et aux anti-inflammatoires [à ne pas prendre sans avis médical au risque de vous trouer l'estomac ou de faire flamber une infection]. Dans le premier cas parce que les réseaux qui gèrent la douleur physique et psychique sont croisés au niveau du cerveau, le second parce qu'on sait que chez certains patients au moins on a une augmentation de l'inflammation dans certaines zones du cerveau dans la dépressions (et d'autres pathologies; mais c'est l'œuf et la poule).
Deux jours (ou un) après la dernière prise je suis incapable de sortir de mon lit et pendant les 2 minutes ok de la journée je supplie un pote de m'en apporter. Pathétique.
Bref, d'une part je voulais mettre en garde ceux qui seraient tenté par le produit (si comme je l'étais tu fais une dépression ultra sévère y a d'autres moyens, c'est juste que la plupart des médecins ont arrêtés d'apprendre une fois sortie de la faculté et/ou ont des pensées réac par rapport aux substances non classiques et/ou sont psychophobes. J'ai tendance à penser que les personnes les plus psychophobes se trouvent d'ailleurs chez certains psychiatres).
Je raconte mon histoire avec la NALAXONE pour me la péter mais encore une fois il ne faut vraiment vraiment pas le faire.
D'autres parts, chers psychonautes et autre transfuges de la réalité, je cherche des solutions auxquelles je n'aurai pas pensé pour mieux vivre l'aspect dépressogène de l'arrêt. Auriez vous des idées ?
En vous remerciant d'avoir lu tout ça, et en vous présentant d'avance mes excuses pour les passages de mon tread que vous auriez trouvés inadéquats. Il s'agit d'une expérience subjective qui n'est pas forcément généralisable à tout et chacun.
Dernière modification par Lorkhan (13 mars 2023 à 00:31)