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Psychonaut a écrit
À partir du 17 Mars sera discuté à l’Assemblée française un texte de loi proposé par le Sénat et intitulé : « Sortir la France du piège du narcotrafic », ou plus sobrement : « loi narcotrafic ». Cette proposition de loi, qui fait l’objet d’une procédure accélérée, est conçue pour s’attaquer au trafic de stupéfiant, en le mettant sur le même plan que le terrorisme au plan de la sûreté de l’État. Ses répercussions ne se limiteront pourtant pas au grand banditisme : elles toucheront aussi les usagers de drogues, ainsi que la société toute entière.
Bien sûr, Psychonaut est en faveur d’une société moins violente, sans mafia et sans règlements de compte. Mais cet objectif d’une société meilleure à vivre n’est pas compatible avec la réduction des droits humains et des libertés fondamentales. Dans une société démocratique, il ne suffit pas de déclarer qu’une problématique est à l'égal du terrorisme pour prendre des mesure liberticides en procédure accélérée. C’est pourquoi l’association Psychonaut se positionne contre la loi sur les points suivants de la « loi narcotrafic » :
La censure des contenus en ligne « relatifs à la cession ou à l’offre » via la plate-forme Pharos (article 12). Pharos propose déjà de signaler un contenu pour trafic de stupéfiant (cf. rapport N°974). Cette nouvelle loi est trop floue et trop large : elle ne fait pas de distinction d’auteur, d’objectif et de ton. Il arrive que des contenus humoristiques, informatifs, artistiques ou de réduction des risques soient relatifs à la cession ou à l’offre. Nous voulons que cet article soit restreint aux contenus « ayant pour objectif la cession ou l’offre », afin qu’il s’applique uniquement aux contenus de vendeurs.
De plus, avant d’être amendé en commission des lois, cet article concernait tout contenu relatif au trafic en général, l’acheteur étant mis sur le même plan que le grand bandit. Nous insistons pour que cet article demeure restreint à la seule cession/offre.
L’utilisation de techniques algorithmiques sur les « boîtes noires » des fournisseurs d’accès à Internet (article 8). Plus concrètement, il s’agirait de capter les flux d’informations échangés en ligne (par exemple, l'adresse des sites consultés), et de les soumettre à de la reconnaissance automatisée de comportements afin de repérer les comportements suspects.
Psychonaut se positionne clairement contre cette mesure, qui relève de la surveillance de masse. Les techniques algorithmiques ne concernaient à l’origine que les menaces terroristes. Puis elles ont été étendues aux « ingérences étrangères ». Maintenant, elles veulent s’étendre à la criminalité organisée. Avant de passer en commission des lois, la proposition comprenait aussi la « délinquance ». Où s’arrêtera-t-on ? Il faut poser une limite claire à l’extension de la surveillance de masse.
L’interdiction (prononcée par le préfet de police) de paraître en certains lieux lorsqu’il y a des « raisons sérieuses » de penser qu’une personne participe à des activités de trafic sur la voie publique (article 24).
Psychonaut est contre ce court-circuitage de l’autorité judiciaire. Il reviendrait à la police de juger d’une entrave à la liberté de circulation, qui est pourtant un droit fondamental. Des recours sont possibles, mais ils ne sont pas suspensifs (l’interdiction continue tant que le recours n’a pas abouti) et de plus, tout le monde n’a pas les moyens de déposer un recours devant la justice. Cette mesure pose des risques graves de marginalisation de populations déjà stigmatisées par la police (comme le statuait déjà, à propos du contrôle au faciès, la Commission Nationale Consultative pour les Droits de l’Homme en 2016. De plus cela ouvre un précédent légal, avec le risque que les interdictions à paraître finissent par s’appliquer à d’autres motifs : par exemple la répression des mouvements sociaux, comme c’est déjà le cas pour l’assignation à résidence.
Dans l’ensemble, la proposition de loi ne tient pas compte de la différence entre transport/possession pour usage personnel, et transport/possession pour trafic. Les simples consommateurs risquent d’être pénalisés par cette loi : surveillance, interdictions de paraître, censure... Nous voulons que des amendements soient introduits pour distinguer les trafiquants et les consommateurs.
Psychonaut s’inquiète de l’extension des moyens administratifs alloués à la lutte contre la criminalité organisée, notamment via la création d'un parquet spécialisé (article 1). En soi, cette extension devrait être une bonne chose. Mais le régime de la « criminalité organisée » lui-même nous semble trop mal encadré, et trop élargi au fil des années. Nous n'avons pas assez de garanties que de tels moyens de renseignements ne se retourneraient pas contre des citoyens menant des actions légitimes, notamment des mouvements sociaux. D'autres articles de la proposition de loi (par exemple, l’article 12 tel que proposé par le Sénat) montrent clairement que le consommateur est lui-même assimilé à un trafiquant, ou du moins jugé aussi dangereux. Nous n'avons pas assez de garanties que les consommateurs eux-mêmes ne finiraient pas par être soumis à ce régime de criminalité organisée, ce qui irait à l'encontre des politiques de santé publique.
Enfin, certaines mesures liberticides ont été retirées en commission des lois : c’est le cas de l’introduction de failles de sécurité dans les messageries chiffrées, de l’activation à distance des objets connectés à des fins de surveillance, et des dossier-coffres afin de soustraire aux avocats certains détails de l’enquête. Nous voulons que l’Assemblée porte une attention spéciale à ce que ces mesures ne soient pas réintroduites sous forme d’amendements pendant les débats, et qu’en cas de navette législative, toute réintroduction de la part du Sénat soit à nouveau retirée.
Cette proposition de loi prétend répondre au trafic de stupéfiants avec des moyens uniquement répressifs, sans considération envers la santé et la liberté des citoyens qu’elle prétend protéger. Il n'y a pas de réflexion autour des causes du trafic de stupéfiants et de sa place dans notre société, non plus autour du coût social de la répression. De nombreuses disposition relèvent d'un affaiblissement du pouvoir judiciaire en faveur du pouvoir policier, ce qui entache le caractère démocratique de notre société. Elles risquent de renforcer les inégalités en ciblant d'abord les populations marginalisées. Leur mise en place réclamerait des moyens qui ne seront pas alloués à l'éducation et à la santé. Jusqu’ici, la prohibition des drogues n’a pas fait ses preuves pour réduire les violences liées aux trafics. Dans le même temps, la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme a établi que la prohibition des drogues participe à la réduction des droits humains et entraîne un coût social démesuré.
Pour « sortir du piège » du trafic de stupéfiants, d’autres voies sont possibles et doivent être explorées. C'est la démarche empruntée par les députés Ludovic Mendès (Renaissance) et Antoine Léaument (LFI), qui ont rendu le 17 Février 2025 un rapport d'information (n°974) visant à évaluer l'efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants. Les recommandations de ce rapport appellent à agir sur plusieurs fronts :
- un meilleur financement de l'existant (au lieu de retirer des droits aux citoyens),
- un renforcement des politiques sociales territoriales (pour réinvestir les quartiers touchés par le trafic),
- une réorientation des pratiques policières, de la chasse aux consommateurs vers la lutte contre le trafic,
- un renforcement de l'éducation et de la prévention aux drogues,
- moins de stigmatisation des consommateurs et davantage de politiques de santé...
- surtout, le rapport appelle à une dépénalisation de toutes les drogues (au moins pour les petites quantités) et à la légalisation du cannabis - ou à défaut, à un débat national participatif sur son encadrement.
Plutôt que des lois liberticides en procédure accélérées, nous voulons que la réforme des lois relatives au trafic de drogues se base sur un tel travail complet, complexe et intégrant un regard systémique. Il n'est pas logique de la part du Sénat de tenter de faire passer dans la précipitation une loi répressive, en sachant qu'un rapport parlementaire sur l'efficacité de la répression était en cours de rédaction. Nous espérons une révision complète de la loi dite "Narcotrafic" au regard des conclusions du rapport n° 974.
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Dernière modification par prescripteur (12 mars 2025 à 09:20)
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Dernière modification par KOBUZ (12 mars 2025 à 10:28)
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Dernière modification par Tridi (12 mars 2025 à 13:04)
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La police pourra durcir sa politique de censure de contenus sur Internet en l’étendant aux publications en lien avec l’usage et la vente de drogues. Les risques d’abus pour la liberté d’expression sont donc amplifiés.
Mise à jour : le champ d’application de cette mesure a été réduit par la commission des lois.
qui pourrait etre utilisée contre PA. Le champ est reduit mais de combien ? Amicalement
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