[ Etude ]

Premières statistiques sur le dispositif d'analyse à distance

Bonjour à tous.tes !

J'ai découvert il y a quelques mois le dispositif d'analyse à distance mis en place par Psychoactif et il y a deux semaines, j'ai repensé à ce dispositif et le statisticien en moi s'est fait la réflexion que puisque les données de toutes les analyses étaient publiques, ces analyses pouvait être une potentielle mine d'or.

Après qu'un ami a rédigé un script pour scraper les données web et a compilé les données dans une base .ods, je me suis attelé à plonger dans ces données, et dans ce post, nous allons voir ce que j'ai pu y dénicher.

Dans un premier temps, on va regarder l'ensemble des échantillons et par la suite nous nous concentrerons sur le produit le plus analysé à ce jour : la cocaïne.

Les analyses récupérées s'étendent du 22 juin 2022 au 6 avril 2025, à savoir que dans ce que vous verrez par la suite (sauf exception), je limite au moins l'étude aux analyses à partir d'avril 2023, étant donné l'annonce sur le blog de Psychoactif de ce dispositif date du 13 mars (j'élimine les deux premières semaines pour plus de robustesse, ce qui nous amène à début avril). Je dispose ainsi de 2720 analyses (au lieu de 2730 en les gardant toutes). Dans presque tous les graphes, le nombre effectif d'analyses utilisées sera plus faible à cause d'erreurs dans l'entrée de données (valeurs manquantes ou donnée inutilisables par exemple), ou d'une période d'observation encore plus restreinte.

Bien sûr, l'image renvoyé par l'étude des analyses de drogues ne sera que partiellement représentatif de la consommation de drogue en France, mais on peut tout de même espérer que certaines tendances ou hypothèses soient confirmées par notre étude.

Rentrons désormais dans le vif du sujet !

La première question qu'on peut se poser (en tout cas, moi, je me la suis posé) est la suivante : Comment se répartissent les analyses entre les différents produits ?

Tout d'abord, voici un diagramme avec les quinze substances pour lesquels l'analyse est la plus demandée (ce sont les produits "attendus" dans les échantillons). Le trio de tête est composé de la cocaïne, puis la MDMA, et enfin la 3-MMC.

Cependant, ce diagramme agrège l'ensemble des analyses et donne une vision parcellaire de l'analyse de drogues. Dans les diagrammes suivants, nous montrons l'évolution respectivement du nombre et de la proportion de chaque produit dans les analyses (les valeurs sont agrégées sur deux mois pour lisser l'évolution).

Au global, on observe une augmentation constante du nombre d'analyses demandées, qui doit s'expliquer majoritairement pas le gain en popularité de ce dispositif et la diversification de l'analyse à de plus en plus de produits. Au sein de la catégorie "Autres", on retrouve le xanax, le dmt, le ghb, le fentanyl, la mescaline, l'opium, le gbl, le crack/freebase, des cannabinoïde de synthèse et encore d'autres produits qui ne me sont pas familiers. Pour supprimer l'augmentation globale du nombre d'analyses bimestrielle, on souhaite regarder l'évolution des proportions de chaque produit.

Je ne remarque pas d'évolution marquante de la proportion d'un produit en particulier, bien que je me sois attendu à voir apparaître une hausse pour la kétamine ou la 3-MMC. On peut ensuite comparer ces résultats aux études menées par l'OFDT (Observatoire Français des Drogues et des Tendances addictives), et entre autre au rapport "Drogues et addictions, chiffres clés 2025". On trouve que l'héroïne est sur-représenté dans les analyses de drogues; l'héroïne présente 4 fois moins d'expérimentateurs en France que la MDMA d'après le rapport. Cette sur-représentation pourrait s'expliquer par le fait que les consommateurs d'héroïne sont en moyenne plus informés sur l'existence de l'analyse de drogue et plus prudent quant à leur consommation (ce ne sont là que mes hypothèses et je suis largement ouvert à la critique des interprétations par rapport à ce post en général). En revanche, le rapport de l'OFDT n'aborde absolument pas la kétamine et la 3-MMC, qui complètent avec le cannabis le top 5 des analyses. Notre étude peut donc donner des pistes pour les futurs rapports de l'OFDT.

Ensuite, on peut se poser une nouvelle question : Comment se répartissent les analyses entre les différents mode d'approvisionnement ?

Vous trouverez ci-dessous un diagramme sur l'ensemble des analyses et un autre étudiant l'évolution bimestrielle de la proportion pour chaque mode d'approvisionnement. Il y a eu une modification début 2024 dans le QCM dans les réponses possibles et nous limitons donc notre étude sur la période janvier 2024-mars 2025 (on ne garde pas le mois d'avril qui a trop peu d'analyses car mes analyses s'arrêtent le 6 avril).

On note que le mode d'approvisionnement largement privilégié est le Deep web / Dark web, en tout cas par les personnes qui font analyser leur produit, puis viennent les dealers de rue et enfin les réseaux sociaux. Regardons désormais l'évolution depuis janvier 2024.

Deux phénomènes sont marquants sur ce graphique. Premièrement, il semble que le Deep web ait été délaissé en juillet-août 2024 avant de revenir en force en septembre. Peut-être est-ce le cas tous les ans, ou peut-être est-ce lié au Jeux Olympiques ? Deuxièmement, la part consacré au réseaux sociaux diminue tout au long de l'année 2024, passant de la troisième à la sixième place.


Consacrons nous désormais à la molécules la plus analysée : la cocaïne.


La première question abordée dans ce post est : Quelle est la pureté des échantillons analysés ?

Je présente ci-dessous un histogramme de la pureté (en équivalent base) de la cocaïne analysée. Pour la différence entre équivalent base et équivalent sel, je vous invite à aller voir cette conversation. Dans notre cas, la conversion entre équivalent base et équivalent chlorhydrate se fait en divisant par environ 0.895. La pureté maximale est donc de 89.5% en équivalent base (qui correspond à 100% en équivalent chlorhydrate). Elle est symbolisée par la barre verticale noire en pointillée. Les analyses étant données avec 10% d'incertitude, certains échantillons se retrouvent légèrement au-delà de cette barrière.

On aurait pu avoir peur que la pureté des produits analysés soit particulièrement basse : les personnes qui font analyser leur produit pourrait le faire uniquement parce qu'ils ont déjà des doutes quant au contenu de leur produit (un aspect étrange, un vendeur louche par exemple) qui aurait pu se confirmer via l'analyse. On aurait eu alors un biais de sélection, mais ce n'est pas ce qui est observé. On trouve seulement 3 échantillons qui ne contenait pas du tout de cocaïne (ils contenaient de la Tétracaïne, de la Kétamine et de la 2-MMC respectivement). La majorité des échantillons étaient purs à plus de 78%.

Regardons désormais l'évolution de la pureté.

Dans le graphique ci-dessus, on peut lire la valeur lissée sur 1 mois de la pureté des échantillon (autour de chaque date d'analyse). La courbe semble assez chaotique, bien qu'on puisse voir un creux vers juillet 2024, qui coïncide avec la baisse d'utilisation du Deep web/ Dark web. (On observe aussi cette baisse lorsqu'on restreint les données seulement à la cocaïne). Nous allons donc essayer de voir si un lien peut exister.

Posons-nous alors une ultime question : Quel est le lien entre la pureté de la cocaïne et son mode d'approvisionnement ?

Tout d'abord jetons un coup d'œil à la répartition des modes d'approvisionnement pour cette molécule.

On note encore que le Deep web / Dark web est encore une fois le mode privilégié, complété par les dealer de rue et les livreurs (non plus les réseaux sociaux).

On réalise enfin une régression de la pureté sur le mode d'approvisionnement.



Dans ce tableau, on peut lire, pour chaque mode d'approvisionnement, l'écart par rapport au Deep web / Dark web, qui est le plus usité. Pour ce mode d'approvisionnement, la pureté moyenne est de 73.605 % (avec une déviation standard de 1.349 %). Par exemple, les échantillons acheté à un dealer de rue sont ont en moyenne une pureté égale à 73.605 % - 1.489 % = 72.116 %. On note que, mis à part les dons entre consommateurs, la pureté moyenne est toujours plus faible pour les modes d'approvisionnement autre que le Deep web / dark web. De plus, la différence est significative à 90%, représentée par les astérisques, pour la cocaïne obtenue via des réseaux sociaux. Cela peut à peu près s'interpréter par le fait qu'on est sûr à 90 % que la différence est non nulle. Cela peut expliquer la baisse de l'utilisation des réseaux sociaux pour se fournir en produit (cette baisse est aussi observée lorsqu'on restreint les données seulement à la cocaïne). Pour les autres modes d'approvisionnement, les écarts ne sont pas significatifs (déviation standard de l'ordre du coefficient), donc les interprétations doivent rester prudentes. Je me bornerai à dire qu'il semblerait que les dons entre consommateurs permettent d'avoir une cocaïne avec une pureté légèrement meilleure. On peut supposer que les consommateurs sont bienveillants et ne donnent que ce en quoi il ont confiance. Pour ce qui est de l'approvisionnement sur le Deep web / Dark web, les plateformes de vente en ligne permettent aux utilisateurs de noter les différents vendeurs et cela peut donc mener à une plus ample information pour les acheteurs quant à la qualité des produits. Les acheteurs peuvent ensuite ne passer commande qu'auprès des vendeurs les mieux notés.


Pour conclure, le tableau montre qu'une baisse d'approvisionnement par le Deeb web / Dark net peut en effet mener à une dégradation de la qualité de la cocaïne !



Voici tout ce que j'avais à dire pour l'instant !


Conclusion

Je tiens tout d'abord à remercier l'équipe de Psychoactif pour avoir développer ce dispositif d'analyse à distance anonyme, qui contribue à la réduction des risques.
Je tiens aussi à remercier mon ami, sans qui je n'aurais pas eu aussi facilement de base de données utilisable.

S'il ne fallait retenir que cinq informations de ce post, ce serait :
- Les échantillons analysés sont tout d'abord de la cocaïne, puis de la MDMA et de l'héroïne
- Les échantillons analysés proviennent largement du Deep web / Dark web
- La part des réseaux sociaux comme mode d'approvisionnement diminue dans les échantillons analysés (ça peut ne pas être le cas à l'échelle globale)
- La cocaïne analysée semble être de bonne qualité (je reste flou car n'étant pas un expert de cette molécule, je ne sais pas vraiment à partir de quel pourcentage la qualité peut être dite vraiment "bonne")
- Il semble falloir privilégier le Deep web / Dark web pour ses achats, ou les dons entre consommateurs pour maximiser la qualité de la cocaïne (à voir si on peut le généraliser à d'autres substances)


Je suis ouvert à vos critiques et commentaires, et bien que j'ai mené cette petite étude avec toute ma rigueur, je ne suis pas à l'abri des erreurs ou des interprétations erronées.

Il reste évidemment de nombreuses choses à faire, à commencer par analyser les différents produits un à un. Je pense qu'on peut être assez surpris en regardant la 3-MMC, car j'ai l'impression qu'il est assez rare de s'en procurer et que bien souvent la 2-MMC la remplace par exemple.

Si vous souhaitez vous joindre à moi dans ce travail d'analyse, je serais heureux de vous fournir mes codes en r, ainsi que la base de donnée.

Bonne journée !

Dernière modification par pierre (23 avril 2025 à  18:56)