Les bénéfices de la légalisation du cannabis

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SYNTHÈSE
Les bénéfices objectifs de la légalisation du cannabis
Par Laetitia Clavreul,
le 19 décembre 2014 à  11h13

Une analyse inédite de Terra Nova prouve qu’une régulation par les prix serait plus efficace que la répression pour limiter la consommation. Et rapporterait près de 2 milliards d’euros.


« La nécessité de l’interdit » du cannabis avait été mise en avant par le candidat Hollande en 2012. Circulez, il n’y a rien à  voir : les législations évoluent ici ou là , mais en France la question de la stratégie à  adopter n’est pas posée. Elle mérite pourtant de l’être : une étude de Terra Nova, think tank connu pour ses positions libérales sur les sujets de société, dont Le Monde publie les conclusions en exclusivité, relève qu’un cadre moins répressif pourrait avoir un résultat plus satisfaisant pour limiter la consommation d’un produit devenu courant, mais dont la consommation précoce est dangereuse. Et qui pourrait rapporter près de 2 milliards d’euros par an à  l’Etat.

Intitulée « Cannabis : réguler le marché pour sortir de l’impasse », la note signée par deux économistes connus pour leur travail sur la drogue, Christian Ben Lakhdar (Université Lille 2) et le professeur Pierre Kopp (Panthéon-Sorbonne), ainsi que par Romain Perez, responsable du pôle économie et finances de Terra Nova, elle mesure l’impact d’une modification de législation sur les quantités vendues, les finances publiques, le marché noir – et surtout le nombre d’usagers. Une première, qui permet d’y voir plus clair alors que la peur d’une éventuelle hausse de la consommation bloque toute réflexion. L’étude montre en outre que jouer sur les prix peut être plus efficace qu’interpeller et poursuivre.

« La politique de répression est en échec en France », relèvent les trois économistes : malgré l’arsenal répressif, la prévalence (part des individus ayant consommé du cannabis dans l’année), 8,4 % chez les 15-64 ans, est l’une des plus élevées d’Europe. 550 000 Français fument quotidiennement des joints. Surtout, cette politique coûte cher. Elle capte une part considérable des ressources allouées au maintien de l’ordre public et à  la justice. Au total, 568 millions d’euros sont consacrés chaque année au cannabis, les seules interpellations comptant pour 300 millions. S’y ajoute le coût social indirect : la déstabilisation de quartiers par le trafic, la consommation de produits frelatés…

Le système n’atteignant pas ses objectifs, les auteurs ont étudié trois alternatives susceptibles d’obtenir de meilleurs résultats.


Scénario 1 : dépénalisation de l’usage
Ce scénario consiste à  supprimer les sanctions en cas de détention de cannabis à  des fins personnelles, comme au Portugal ou en Espagne. Un tel scénario permettrait de réduire de 55 % le coût (policier, judiciaire et carcéral) de la répression, soit une économie de 311 millions par an, mais pas d’enregistrer de nouvelles recettes fiscales. En outre, elle ne permettrait pas de contrôler le prix, déterminant essentiel de la demande, et n’offrirait donc pas d’outil pour influer sur la consommation. Le prix resterait inchangé puisque les vendeurs supporteraient le même risque. La hausse du trafic serait de 16 %. Il y aurait 6 000 consommateurs quotidiens de plus (12 %), et 309 000 consommateurs occasionnels supplémentaires.

Scénario 2 : légalisation de la production, de la vente et de l’usage dans le cadre d’un monopole public
Le cannabis deviendrait un bien marchand comme le tabac. C’est la voie choisie par l’Uruguay : cette option permet à  l’Etat de jouer sur le prix pour garantir une relative stabilité de la consommation. Ce qui peut être le cas avec une majoration de 40 % du prix actuel, 6 euros le gramme, à  8,40 euros – l’idée est d’intégrer dans le prix de vente sur le marché légal l’équivalent monétaire des risques (interpellations…) encourus actuellement sur le marché noir.

A 8,40 euros le gramme, avec une taxation au même niveau que le tabac (80 %), cela permettrait d’enregistrer des « recettes fiscales significatives » (1,3 milliard par an) et une réduction drastique des dépenses publiques de 523 millions (- 92 %) grâce à  la disparition des frais de justice et de police, ainsi que d’éviter des dépenses de santé supplémentaires. L’impact budgétaire total serait de 1,8 milliard d’euros.

A prix inchangé, le nombre d’usagers quotidiens augmenterait de plus de 47 %, à  812 000, et les recettes s’élèveraient à  1,6 milliard, car le marché noir disparaîtrait. L’impact global serait de 2,1 milliards.

Scénario 3 : légalisation dans un cadre concurrentiel
Cette fois, le prix serait défini par le jeu du marché, et devrait baisser. C’est l’option retenue au Colorado. C’est de loin la plus avantageuse financièrement, mais elle comporte un inconvénient majeur : une forte augmentation de la prévalence, du fait de la baisse du prix. Les auteurs estiment que la hausse de volume serait alors de près de 270 tonnes par an, soit un quasi-doublement, et celle du nombre d’usagers quotidiens de 71 % (+ 393 000). Il avoisinerait alors le million.

Vu l’essor du nombre de consommateurs, malgré la baisse du prix, l’impact pour les finances publiques serait encore plus fort : 1,7 milliard d’euros. La réduction des dépenses publiques serait moindre (- 86 %), car celles de santé augmenteraient. Le gain total s’élèverait à  2,2 milliards d’euros.

L’enjeu étant sanitaire, et non financier, les économistes estiment que le scénario n° 2 « présente les meilleures garanties en termes de contrôle de la prévalence et de protection des populations les plus vulnérables ». Ils y voient bien des avantages : libération d’une part importante des ressources de la police et de la justice au bénéfice d’autres missions, réduction des niveaux d’interpellation, impact budgétaire positif, possibilité d’allouer des fonds plus conséquents aux politiques de prévention et de réduction des risques, notamment auprès des jeunes.

En outre, sur la base de ce qui existe aux Pays-Bas (un coffee-shop pour 29 000 habitants), les auteurs estiment que 13 000 emplois seraient créés, hors ceux liés à  la production. Reste cependant la question du devenir du marché noir alors que quelque 100 000 individus tirent un revenu du cannabis. Estimant qu’il pourrait subsister, ils proposent d’agir en deux temps pour le marginaliser : légaliser à  un tarif proche de l’actuel, puis l’augmenter peu à  peu.

Les chercheurs rappellent que c’est cette approche, fondée sur la prévention et une majoration des prix, qui a permis de réduire le tabagisme. « Le problème, c’est qu’en France le cannabis n’est pas cher. Le système clandestin le rend très bon marché, parce que c’est duty-free », décrypte Romain Perez. Le déterminant du niveau de consommation est le prix, insiste-t-il, ce qui explique que la prévalence est plus élevée en France qu’aux Pays-Bas, où la vente est pourtant autorisée.

L’impact de la levée de l’interdit sur les non-consommateurs n’est, lui, pas abordé. Quel serait-il ? Selon M. Ben Lakhdar, on peut imaginer un équilibre entre ceux qui ne fumaient pas de cannabis du fait de l’interdiction et voudraient essayer, et celles qui en consomment pour braver l’interdit et n’en fumeraient plus. Il ajoute que chacun peut déjà  aujourd’hui se procurer aisément du cannabis n’importe où en France.

Quel écho aura ce travail inédit ? Le chercheur ne s’attend pas à  une attaque en règle de ses pairs. « Il y a un consensus chez les économistes, en tout cas sur les problèmes que pose la prohibition », explique-t-il, rappelant qu’un récent rapport de la London School of Economics, signé par cinq prix Nobel d’économie, appelait à  mettre un terme à  la « guerre à  la drogue ». Il jugeait utile de rediriger les fonds vers des politiques ayant fait la preuve de leur efficacité et validées par une analyse rigoureuse. « La contradiction pourrait plutôt venir des médecins, qui logiquement abordent la question en termes de problématiques individuelles, et non de coût social ».

A Terra Nova, on se défend de vouloir faire la promotion du cannabis, et si les questions politiques et morales ne sont volontairement pas abordées par l’étude, elles ne sont pas niées. « Notre boulot, c’est de repérer ce qui ne fonctionne pas, affirme Thierry Pech, son directeur. Ce n’est pas parce que le politique n’est pas en situation de se saisir de cette question que la société civile n’a pas intérêt à  y réfléchir. »

Il y a trois ans, l’ex-ministre de l’intérieur Daniel Vaillant publiait un rapport en faveur de la légalisation, appelant à  « sortir de l’hypocrisie ». Il y a bientôt un an, la sénatrice EELV Esther Benbassa déposait une proposition de loi en ce sens, qui devrait être examinée début 2015. Il y a un mois, dans un rapport du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, deux députés (une PS et un UMP) proposaient de transformer le délit d’usage en une contravention. Désormais, pour alimenter le débat, les évaluations sont sur la table.

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