Une méta-analyse confirme l’intérêt de la
kétamine dans le traitement d’urgence de la dépression
Par Cédric MENARD - Date de publication : 22 Mai 2015
Deux chercheurs britanniques viennent de publier la première méta-analyse sur l’intérêt de la
kétamine en tant que traitement antidépresseur d’action rapide, suggérant une efficacité thérapeutique significative.
Les auteurs ont toutefois souligné à plusieurs reprises dans leur article la nécessité de réaliser des essais complémentaires à plus large échelle pour confirmer ces données.
Une action antidépressive rapide et parfois prolongée
La
kétamine est un anesthésique d'action brève développé en 1962 utilisé en médecine humaine et vétérinaire depuis 1970 (pour plus de détails, voir la fiche substance "kétamine" sur vidal.fr). Cette substance est également connue pour son usage récréatif (et illégal) lié à ses propriétés hallucinogènes.
Des travaux précédents ont montré qu'une perfusion de cet antagoniste du N-méthyl-D-aspartate (NMDA) déclenche une action antidépressive en quelques heures, alors que les antidépresseurs oraux ont un délai d'action beaucoup plus long (cf. Salvadore & Singh, 2013).
D'autres travaux, sur des petits groupes de patients, ont montré que des perfusions répétées de
kétamine en cas de dépression résistante aux traitements usuels pouvaient également s'avérer efficaces à court terme, voire à moyen terme chez certains patients (cf. Murrough et coll. 2012, étude réalisée sans groupe contrôle de comparaison).
Une méta-analyse de 21 études pour confirmer, ou infirmer, cette action antidépressive
Les Dr Caoimhe Coyle et Keith Laws, de l'Université d'Hertfordshire, ont constaté qu'aucune méta-analyse sur cette question n'avait encore été réalisée, et ont donc décidé d'en effectuer une.
Dans leur méta-analyse, publiée dans Human Psychopharmacology Clinical and Experimental, les chercheurs ont passé en revue 21 études de référence, afin de déterminer si la
kétamine avait un effectivement un effet antidépresseur immédiat, si cet effet était prolongé dans le temps malgré la courte demi-vie de la molécule (3 heures) et si des injections répétées pouvaient être plus efficaces qu'une seule injection.
Après analyse de ces essais, qui totalisent 437 patients souffrant d'épisode dépressif majeur lié ou non à un trouble bipolaire (avec pour chacune des effectifs allant de 8 à 47 sujets), les auteurs ont pu confirmer que la
kétamine réduisait de façon importante les symptômes dépressifs lors d'évaluations réalisées de la 4e heure jusqu'à 14 jours après une perfusion unique ou répétée.
Au-delà de cette durée, les données ne montrent pas d'effet résiduel significatif du traitement initial intraveineux. Ce travail a également permis de constater que l'effet variait peu selon que le traitement était administré en une fois ou en plusieurs injections. Mais les deux chercheurs ont souligné que le nombre de ces essais à injections multiples était encore trop restreint pour conclure, appelant à réaliser des études supplémentaires pour confirmer ce point.
Un taux de réponse très variable selon les études
Malgré cette efficacité à court terme, la méta-analyse a mis en lumière une grande variabilité de l'effet suivant le profil des patients, allant de 40 % d'efficacité sur les symptômes dans certaines études jusqu'à 70 % dans d'autres.
Selon un essai réalisé en 2013 sur des patients souffrant de troubles bipolaires (Rybakowski et coll.), des taux de réponse de seulement 4 % ont été constatés 6 heures après l'injection, et de 24 % à 24 heures, ont-ils également pointé.
"La disparité recensée au sein des travaux disponibles met en lumière le besoin de nouvelles études, avec des échantillons de patients de plus grande taille" afin de déterminer le taux de réponse moyen, soulignent-ils.
Ils ont malgré tout pu constater que la mesure de l'intensité de l'épisode dépressif avec l'échelle MADRS (Montgomery–à…sberg Depression Rating Scale) 4 heures après l'injection pouvait permettre de prédire si un patient était répondeur ou non.
Des zones d'ombre sur la sécurité d'emploi
Si ces résultats semblent plutôt concluants en terme d'efficacité, les auteurs ont reconnu qu'une autre des principales conclusions de leur travail était le manque de données sur la sécurité d'emploi de la
kétamine chez les patients dépressifs.
Ils on en effet noté qu'en 2013, une étude a rapporté 2 cas de pensées suicidaires et d'anxiété chez 2 patients traités par
kétamine et présentant des troubles obsessionnels compulsifs avec un antécédent d'épisode dépressif majeur (Niciu et coll.).
Les chercheurs posent notamment la question des risques à long terme, ainsi que celui d'addiction, du fait de l'usage de la
kétamine en tant que drogue récréative.
"Ces données montrent l'importance de la prise en compte des facteurs de comorbidité" dans la décision de recourir à la
kétamine, relèvent les auteurs.
"Cette molécule, grâce à son action rapide, pourrait avoir un intérêt lorsqu'un soulagement rapide des symptômes dépressifs est nécessaire", concluent-ils.
En savoir plus :
L'étude objet de cet article :
The use of
ketamine as an antidepressant: a systematic review and meta-analysis, Caoimhe M. Coyle et Keith R. Laws, Human Psychopharmacology: Clinical and Experimental, Volume 30, Issue 3, pages 152–163, mai 2015