Dans une nouvelle étude, des chercheurs du CHUV suggèrent d’utiliser des cigarettes électroniques pour la consommation thérapeutique de cannabis
Que ce soit en Allemagne, aux Pays-Bas, dans certains États américains ou encore en Suisse, le
cannabis est de plus en plus fréquemment utilisé à des fins thérapeutiques. Mais il n’est pas recommandé aux malades de fumer le
cannabis avec du
tabac, comme cela se fait le plus couramment en usage récréatif, cette pratique étant elle-même mauvaise pour la santé. Alors comment s’y prendre? Dans une nouvelle étude publiée le 26 mai dans la revue «Scientific Reports», des chercheurs du CHUV de Lausanne suggèrent de recourir à un vecteur inattendu: la
cigarette électronique. Le «cannavaping» permettrait selon eux d’éviter les effets délétères liés au
tabac et de mieux contrôler la qualité du produit.
Ces chercheurs ne sont pas les premiers à tenter de transformer une e-cigarette en «e-joint». «Les forums Internet spécialisés fournissent une profusion de techniques plus ou moins risquées pour y parvenir, relate Vincent Varlet, chercheur au Centre universitaire romand de médecine légale, l’un des auteurs de l’étude. Nous nous sommes inspirés de ces techniques pour mettre au point une solution adaptée au contexte médical.»
Leur recette? En premier lieu, fabriquer du
BHO, ou
Butane Hashish Oil, une huile hautement concentrée en cannabinoïdes – ce sont les molécules psychoactives du
cannabis, dont la plus connue est le tétra-hydro-cannabinol (THC). Les scientifiques ont ensuite mélangé cette huile avec du propylèneglycol, une substance couramment employée dans les liquides destinés aux
cigarettes électroniques. Le liquide ainsi obtenu a ensuite été testé à l’aide d’une e-cigarette standard vendue dans le commerce.
Emanations moins nocivesL’un des objectifs était d’étudier les aérosols émis lors de l’atomisation du liquide en question. L’innocuité des
cigarettes électroniques demeure en effet sujette à caution, ces instruments émettant diverses substances soupçonnées d’être dangereuses pour la santé, dont des composés organiques volatiles (COV). «Les résultats montrent que notre préparation n’émet pas davantage d’aérosols que les
e-liquides classiques, indique Vincent Varlet. Ce qui est sûr, c’est que ces émanations sont beaucoup moins nocives que celles de la
cigarette traditionnelle.»
«Ce travail est super-intéressant, s’enthousiasme la doctoresse Barbara Broers, responsable de l’Unité des dépendances au service de Médecine de Premier Recours des HUG. Tout ce qui permet d’éviter aux gens de fumer des
joints est bienvenu, en particulier pour ceux qui consomment du
cannabis avec un objectif thérapeutique et qui ne souhaitent pas s’exposer à des risques.»
A dire vrai, des appareils permettant d’inhaler du
cannabis sans souffrir des méfaits du
tabac existent déjà . Ces
vaporisateurs chauffent directement l’herbe ou la résine à une température suffisante pour en libérer les principes psychoactifs sans provoquer de combustion. «Cette méthode est une des meilleures alternatives actuelles, reconnaît Vincent Varlet. Mais la plupart des modèles sont de grande taille et ne sont pas aussi maniables qu’une
cigarette électronique. La quantité de cannabinoïdes délivrés n’est pas non plus la même: le cannavaping permet une micro-administration, pouvant être répétée plusieurs fois au cours de la journée.» Cela éviterait les nausées dues à des doses trop élevées de cannabinoïdes.
Accès très encadréEn Suisse, l’accès au
cannabis médical demeure très encadré. «Il n’est jamais prescrit en première intention, mais seulement à des personnes chez lesquelles les traitements traditionnels n’ont pas montré d’efficacité», poursuit Barbara Broers. Chaque demande doit être motivée par le médecin auprès de l’Office Fédéral de la Santé Publique (OFSP). Cependant, le nombre d’autorisations a progressé, et atteint plusieurs centaines de cas par an.
L’année dernière, l’OFSP a rendu public un rapport commandité à des experts britanniques qui liste toute une série de maladies pour lesquelles un tel traitement peut être indiqué: spasmes liés à la sclérose en plaque ou d’autres maladies neurologiques, douleurs dues au cancer, perte de poids chez les personnes atteintes du SIDA, nausées causées par la chimiothérapie, mais aussi syndrome de Gilles de la Tourette ou encore troubles du sommeil.
Pour l’heure, les seuls modes de délivrance médicaux autorisés en Suisse sont des gouttes d’huile ou d’alcool enrichies en cannabinoïdes à ingérer et un extrait de
THC synthétique à sprayer sous la langue. «Mais ces traitements sont coûteux et ne sont que rarement pris en charge par les assurances, si bien que de nombreux patients choisissent de se procurer du
cannabis de manière illégale», souligne Barbara Broers. De plus, l’administration de
cannabis par voie orale n’est pas idéale, car la disponibilité des substances actives varie de jour en jour, en fonction notamment de ce que la personne a mangé. La voie pulmonaire est beaucoup directe.
Le «cannavaping» permettrait enfin théoriquement de développer des liquides avec une composition et une concentration en cannabinoïdes bien contrôlées. Différents dosages sont en effet indiqués selon le type de pathologie et la sensibilité du patient. «Si on parvenait à mettre au point un outil facile à utiliser, permettant de dire au patient quel nombre de bouffées sont nécessaires pour obtenir un effet donné, ce serait vraiment une avancée», estime Barbara Broers.
Source :
principesactifs.fr