Hollywood Parano : la drogue et le cinéma US (I) mai 11 2010
http://lesensdesimages.blogvie.com/2010 … nema-us-i/(quelques extraits de narcofilms en cliquant sur le lien)
Au tournant des années 2000 le cinéma hollywoodien semble avoir trouvé dans la drogue une source d´inspiration nouvelle. D´une part en redoublant de scénarii évoquant le trafic de stupéfiants avec Blow, Traffic, Les Infiltrés… Mais surtout en filmant la
descente aux enfers de personnages en plein
bad trip : Drugstore Cowboy, Rush, Pulp Fiction, Las Vegas Parano, Another Day in Paradise, Requiem For a Dream… Mais le phénomène est-il si nouveau ? Petit flash… back.
La drogue, si elle est très tôt évoquée dans le cinéma américain, demeure longtemps un sujet tabou. C´est D.W. Griffith qui immortalise la figure du Chinois fumeur d´opium dans Le Lys brisé (1919), personnage archétypal que l´on retrouvera dans quelques productions mineures à venir : Les Nuits de Chinatown (W. Wellman, 1929), The Man Who
Came Back (R. Walsh, 1931), Charlie Chan in Shangaï (J. Tinling, 1935)… Mais les autres drogues (marijuana,
cocaïne,
héroïne) demeurent quasi-inexistantes dans les films de la période. A titre d´exceptions citons ces deux productions pré-code : le mélodrame Une Allumette pour trois de M. Leroy (1932) qui évoque la déchéance d´une femme, jouée par Ann Dvorak, qui sombre dans l´alcool et la drogue (cocaïne) ; et le film d´horreur Masques de cire de M. Curtiz (1933) qui traite, à travers le profil d´un personnage secondaire, de l´addiction aux stupéfiants. Anecdote qui a son importance, lorsqu´un remake de ce même film sera réalisé vingt ans plus tard par André De Toth, le personnage du junkie en question sera remplacé par un alcoolique.
Et pour cause, car entretemps est mis en place, en 1934, le Code Hays qui, parmi les nombreux interdits qu´il énonce, évoque « les trafics de drogues ». C´est la raison pour laquelle aucun film hollywoodien de la période classique ne porte sur la drogue, même si quelques légères allusions peuvent à l´occasion être glissées par-ci par-là . Songeons par exemple à ce gag inséré par Chaplin dans Les Temps modernes (1936) dans lequel Charlot, alors qu´il est en prison, avale et inhale accidentellement de la
cocaïne dissimulée par un détenu dans une salière et devient littéralement possédé. Mais le plus souvent les références aux stupéfiants demeurent lointaines et servent au mieux d´ingrédient exotique à quelques films policiers de série B évoquant les trafics de bandes organisées, à l´instar d´Opium (R. Stevenson, 1948), de La Brigade des stupéfiants (L. Benedek, 1949) ou encore des Flics ne pleurent pas (J. Pevney, 1950).
Ce silence hollywoodien autour des ravages de la drogues est d´autant plus assourdissant que nombreuses sont les affaires de stupéfiants qui défrayèrent la chronique people durant les années fastes d´Hollywood – du moins si l´on en croit Kenneth Anger qui se plait à relever tous les scandales qui éclaboussèrent la petite colonie des stars dans son ouvrage culte Hollywood Babylon paru en 1959. Il cite notamment parmi les accros de la dope, Barbara La Marr, remarquée dans Les Trois mousquetaires aux côtés de Douglas Fairbanks, morte d´une overdose en 1926 à l´âge de 26 ans. Mais aussi Alma Rubens, croisée dans L´Américain de Griffith, morte en 1931 à l´âge de 33 ans. Ou encore l´ex-Bathing Beauties de Mack Sennett, Juanita Hansen, elle aussi accro à l´héroïne. La célèbre Mabel Normand, qui tourna aux côtés de Fatty Arbuckle et de Charlie Chaplin, vit aussi sa carrière ruinée lorsque les tabloïds dévoilèrent son addiction à la
cocaïne à l´occasion de l´enquête menée sur l´assassinat du réalisateur Williams Desmond Taylor en 1922. Normand mourra en 1930, à 37 ans, des suites de complications liées à la drogue. Mais l´affaire qui fit sans doute le plus grand bruit concerna l´acteur Wallace Reid, l´une des plus grandes stars des années dix (un habitué notamment des superproductions de Griffith) qui mourut des suites de son addiction à la
morphine en 1923 à l´âge de trente ans. On pourrait aussi citer le cas plus tardif de Robert Mitchum arrêté en 1948 en possession de
marijuana. Bref, tout comme l´alcool et le sexe, la drogue faisait partie intégrante des soirées « orgiaques » de la jet set hollywoodienne de l´âge d´or. Mais déjà que le monde du cinéma avait mauvaise réputation aux yeux de l´Amérique profonde, les studios n´allaient pas en plus mettre de l´huile sur le feu et montrer sur grands écrans les vices et excès de leurs stars délurées. Donc, exit la drogue dans les films des majors.
Pour autant le sujet ne fut pas totalement banni des écrans. Car parallèlement aux films des grands studios (qui assuraient environ 80% de la production) a toujours existé une production indépendante, marginale, dont les films étaient diffusés dans de petites salles et qui n´était pas contraints de respecter le Code Hays. Or la drogue fut un des grands thèmes des exploitation movies, ces films à petit budgets plus ou moins « éducatifs » qui, sous prétexte de prévention, se spécialisaient dans les histoires sensationnalistes. En fait, si l´on en croit Alan Betrock, auteur du I Was A Teenage Juvenile Delinquent Rock´n´Roll Horror Party Movie Book (1986) il existerait des films sur la drogue dès les années dix, aux titres d´ailleurs fort éloquents de The Accursed Drug (1913), Slave of
Morphine (1913) ou encore The Devil´s Needle (1916). En 1923 sort par ailleurs Human Wreckage, film coproduit par – et dans lequel joue – Dorothy Davenport qui n´est autre que la veuve de Wallace Reid mort la même année de son addiction à la
morphine. Ce film avait bien sûr pour vocation, comme l´essentiel des films de drugsploitation, de dénoncer les dangers de la drogue et fut à ce titre soutenu à la fois par William Hays et par le département anti-drogue de la police de Los Angeles. Il semble malheureusement qu´aucun de ces films n´ait survécu.
Au cours des années trente, un cinéaste reprend le flambeau de la drugsploitation en ce faisant le spécialiste du genre : il s´agit de Dwain Esper que beaucoup considèrent comme un cinéaste encore plus mauvais qu´Ed Wood (au regard notamment des faux raccords, des bavardages soporifiques et de la naïveté qui caractérisent son œuvre). Ce dernier est l´auteur principalement de Narcotic (1933), de Marihuana (1935) et du célébrissime Reefer Madness (1936) aussi connu sous le titre de Tell Your Children.
Narcotic (1933) retrace, d´après « une histoire vraie », la déchéance d´un médecin réputé qui expérimenta d´abord l´opium avant de sombrer dans l´addiction totale aux drogues dures. Parmi les scènes étonnantes, Esper nous gratifie d´une injection d´héroïne filmée en gros plan (67 ans avant Requiem for a Dream !) lors d´une drug party où les convives fument du
cannabis, sniffent de la
coke et fricotent sans pudeur. Même si la réalisation n´est pas très maîtrisée (c´est peu de le dire : ombres et micros dans le champ, montage incohérent…), le film vaut le détour pour son atmosphère glauque et ses quelques scènes décoiffantes pour l´époque.
Le mélodrame Marihuana (1936) évoque lui la
descente en enfer d´une jeune fille de bonne famille. Après avoir gouté un
joint lors d´une soirée étudiante organisée par un dealer, elle succombe à l´appel du sexe et tombe enceinte. Son petit copain devient alors dealer pour subvenir aux besoins de sa future épouse et se fait tuer par la police. La jeune fille, dorénavant seule, accouche à l´étranger sur les conseils du méchant dealer italien et abandonne son enfant avant de devenir elle-même dealeuse de poudre et accro. Elle mourra d´une OD et, accessoirement, de tristesse après avoir revu sa fille. Comme à son habitude Dwain Esper agrémente son message préventif et moraliste de quelques scènes très osées pour l´époque, comme ce bain de minuit qui lui permet de montrer un groupe de nymphettes excitées par les vapeurs de
marijuana batifolant complètement nues, ou cette autre scène de shoote où l´on voit l´héroïne remonter sa jupe pour se faire un fix dans la cuisse.
Reefer Madness (1936) n´a pas été à proprement parlé réalisé par Esper puisque le cinéaste n´a fait que racheter les droits d´un film éducatif anti-drogue produit par un groupe religieux et intitulé Tell Your Children, avant de le remonter et de le renommer de façon à en faire un produit plus racoleur qu´il distribua ensuite via le circuit des exploitation movies. Il n´en reste pas moins que c´est « son » œuvre la plus connue. Le film sera d´ailleurs distribué durant toutes les décennies 30 et 40 sous divers titres tels que The Burning Question, Dope Addict, Doped Youth ou encore Love Madness.
Reefer Madness nous prévient donc contre les dangers de la
marijuana qui guettent « nos » enfants et nous démontre, à partir de quelques scènes spectaculaires, les ravages de la terrible herbe sur les comportements. Sous son influence les jeunes gens les plus paisibles deviennent de dangereux punk complètement hystériques (et moi qui croyait que la
beuh endormait) et même des criminels irresponsables. Bref, on l´aura compris, le propos relève d´une diabolisation à outrance des drogues douces qui témoigne d´une véritable paranoïa anti-drogue complètement irrationnelle.
Parmi les films encore visibles aujourd´hui il faut aussi citer
Cocaïne Friends (1935) disponible lui aussi sur le Net et qui évoque – oh surprise ! – la déchéance de jeunes gens qui ont le malheur de gouter innocemment à la
coke et qui en deviennent aussitôt et irrémédiablement accro. One Way Ticket To Hell (1955), pourtant sorti vingt ans plus tard, fonctionne encore sur le même registre pathétique, alarmiste et sensationnaliste, en nous exposant la déchéance d´une jeune-fille-qui-sombre-dans-la-drogue selon le parcours « classique » qui mène nécessairement de la marihuana à l´héroïne. Le récit se termine par un carton qui vient nous rappeler combien la drogue devient de jour en jour une réelle menace pour la jeunesse américaine.
Mais l´heure n´est plus aux discours lénifiants et moralisateurs, la Beat Generation prône l´évasion et la liberté, mais surtout Hollywood sort enfin de sa réserve suite au coup de force d´Otto Preminger qui réalise et impose L´Homme au bras d´or en 1955 contre l´avis des majors. Dans ce film, Franck Sinatra incarne un héroïnomane sevré qui tente de recommencer sa vie sur de bonnes
bases après une cure de désintoxication, mais qui replonge fatalement dans la drogue. L´Homme au bras d´or est d´autant plus étonnant pour un film mainstream qu´il n´épargne rien au spectateur, ni les crises de manque, ni la préparation de la drogue, ni les fix. Enfreignant allègrement le Code, il sort donc sans visa mais trouve pourtant des salles pour le diffuser et rencontre même un vif succès, obligeant les studios à assouplir le code de censure, première brèche avant la disparition totale de celui-ci en 1968. Dès lors, les films évoquant, de près ou de loin, la dope vont se multiplier : citons notamment Une Poignée de neige (F. Zinneman, 1957), mais aussi La Soif du Mal (O. Welles, 1958) ou Doux oiseaux de jeunesse (R. Brooks, 1962)…
Mais aussi subversives soient-elles, ces œuvres n´en sont pas encore à célébrer les vertus libertaires et psychédéliques des
psychotropes. Pour cela il faudra attendre les années hippies et les drugsploitation films des sixties…
A Suivre…