Une plateforme participative permet à «toute-une-chacune» de collaborer en ligne au premier guide mondial de la santé des femmes. Lancé l'été dernier, le site décolle.Où trouver la pilule du lendemain à Nairobi ? Quelles sont les règles pour le congé maternité à Karachi et comment dit-on «mycose» en Coréen ? Qu’elles soient grandes voyageuses, expat ou touristes, innombrables sont les occasions pour les femmes de se poser ces questions. Pour la première fois, les réponses sont très difficiles à trouver. Il suffit d’aller sur le Wikipédia de la santé des femmes : «Gynopédia» (
www.gynecopedia.org – pour l’instant en anglais).
Installée à Hanoi, Ilana Fried, enseignante américaine de 32 ans, a lancé le site en juillet avec les moyens du bord. «Quand je me suis installée, j’aurais eu besoin de cette aide, donc je l’ai créée pour les autres femmes», explique-t-elle à Libération. Le succès est au rendez-vous, avec plusieurs centaines de connexions quotidiennes et un réseau grandissant de 67 villes (sur 48 pays). Une démonstration s’il en fallait du manque criant d’accessibilité et de limpidité de ces informations. Car le vote de la loi sur le délit d’entrave numérique à l’IVG, adoptée le 16 février à l’Assemblée nationale, nous le prouve : Internet est aussi un terrain de chasse, pour les anti-choix (qui se disent prolife).
Collaborer contre le désert de l’infoChaque cité, explorée par une visiteuse ou une habitante, est analysée par catégories : la contraception (la pilule du lendemain existe-t-elle?), les MST (où se faire dépister?), les règles (où acheter ses protections, quel tabou entoure les menstrues?), les examens gynécologiques (pour trouver un-e bon-ne praticien-ne), la grossesse (comment se déroule le suivi dans telle contrée?), l’avortement (vaste question) ou les assistances sociales ou juridiques (en cas de maltraitances). Les données s’enrichissent à la faveur de nouvelles collaborations.
«Gynopedia a été créé par et pour les gens ordinaires, explique Ilana Fried. Si tu connais un-e gynéco non lesbophobe, alors d’autres devraient connaître ton plan. Si tu connais les risques légaux liés à l’utilisation de contraceptifs d’urgence dans ton pays, alors ceux qui viennent de s’y installer doivent le savoir aussi. Plus on aura de collaboratrices plus on va construire une connaissance collective, nous donner de la force et permettre à d’autres femmes de prendre des décisions éclairées, quant à leur corps.»
Taylor Schulte, professeure d’anglais de 31 ans, vit à Jakarta, en Indonésie. Elle a décidé de nourrir la plateforme en souvenir de ses galères passées : «J’ai beaucoup voyagé dans ma vie et j’ai toujours eu des problèmes pour trouver des infos concernant ma santé. J’ai ajouté des endroits, et des institutions, mes bons plans, et j’ai aussi fait des recherches sur le cadre législatif, ce qui m’a demandé un peu plus de temps.»
Les temps sont dursLes professionnels ne s’y trompent pas : le monde, qu’il soit du Nord ou du Sud, a plus que jamais besoin de ce type d’initiatives. A la lumière de l’élection de Donald Trump, Shannon Kowalski, présidente de la Coalition internationale pour la santé des femmes (IWHC), déclare au site américain Broadly : «Gynopedia sera sans doute une ressource très intéressante et utile aux femmes, surtout celles qui voyagent. Mais ce sera aussi un très bon cadre de référence, si l’on vit aux Etats-Unis aujourd’hui. L’administration Trump n’est pas simplement en train de rendre difficile l’accès à l’avortement [en réduisant par exemple le pouvoir du Planning familial, ndlr], elle essaie aussi d’empêcher l’usage de la contraception, à dessein. Nous assistons à un contrôle sur le corps des femmes qui nous ramène aux années 50, quand nous n’avions pas beaucoup de contrôle sur nos propres corps.»
Dans un contexte si glamour, Gynopedia a manifestement de beaux jours devant lui, et attend les contributrices de pied ferme. «De Yangon à Kampala, de Londres à Buenos Aires, nos pages n’en finissent pas de gagner de nouvelles contributrices, lâche la fondatrice. On sait que la wiki contribution
manque de femmes, mais nous espérons en convaincre encore plus cette année et qui sait, peut-être certaines francophones accepteraient de le traduire ?» A bonne entendeuse, salut !
Par Anne-Laure Pineau
Source : http://next.liberation.fr/culture-next/ … 1488107701