1
Les effets de la peÌnalisation et de la deÌpeÌnalisation de la consommation de cannabis sur le travail policier
La peÌnalisation ou la deÌpeÌnalisation du cannabis suscitent des reÌactions qui deÌpassent le cadre d’un raisonnement sur ses conseÌquences en termes de santeÌ. La peÌnalisation de la consommation repreÌsente un instrument de renforcement du controÌ‚le de l’EÌtat sur sa population, qui s’exerce aÌ€ travers l’institution policieÌ€re. En retour, la place qu’occupe cette dernieÌ€re dans la lutte contre les stupeÌfiants influe sur la deÌfinition des politiques en ce domaine.
De multiples facteurs viennent interfeÌrer dans la construction de la politique policieÌ€re, qui va au-delaÌ€ d’une strateÌgie rationnelle fondeÌe sur l’efficaciteÌ. En effet, en termes de niveaux de consommation, ou de lutte contre le trafic, l’approche actuelle, fondeÌe principalement sur la reÌpression, a depuis longtemps montreÌ ses limites. Les comparaisons internationales montrent que la seÌveÌriteÌ de la leÌgislation et l’importance du nombre d’interpellations ne meÌ€nent pas aÌ€ une baisse de la consommation ni du commerce illicite. Ce constat conduit pourtant les professionnels aÌ€ reÌclamer toujours davantage d’outils leÌgaux et de moyens mateÌriels ou humains pour renforcer cette lutte, dans un mouvement de spirale infernale qui fait que la reÌponse aÌ€ ces revendications deÌbouche elle-meÌ‚me sur de nouveaux constats d’inefficaciteÌ et aÌ€ de nouvelles demandes.
Vu de l’inteÌrieur de l’organisation policieÌ€re, la coheÌrence se trouve non pas dans les reÌsultats attendus de cette politique sur le terrain, mais dans la compreÌhension des enjeux qui peÌ€sent sur elle et l’ameÌ€nent aÌ€ instrumentaliser les politiques de lutte contre les stupeÌfiants.
Une premieÌ€re dimension de la reÌflexion concerne justement les modes d’eÌvaluation de l’efficaciteÌ policieÌ€re, et notamment sa dimension chiffreÌe, devenue primordiale depuis une quinzaine d’anneÌes. Pour prouver aux gestionnaires sa capaciteÌ aÌ€ eÌ‚tre performante, la police est eÌvalueÌe sur des statistiques, en particulier sur le nombre d’interpellations reÌaliseÌes et sur le taux d’eÌlucidation, c’est-aÌ€-dire le rapport entre le nombre d’affaires connues des services et le nombre d’affaires pour lesquelles un auteur a eÌteÌ identifieÌ. Un tel objectif invite naturellement les policiers aÌ€ rechercher les infractions «qui rapportent». AÌ€ ce titre, les consommateurs de stupeÌfiants sont une cible privileÌgieÌe, aÌ€ la fois parce qu’ils sont nombreux, relativement facile aÌ€ interpeller, et parce qu’un consommateur interpelleÌ, c’est simultaneÌment un deÌlit constateÌ et un deÌlit eÌlucideÌ. En matieÌ€re de stupeÌfiants, le taux d’eÌlucidation est toujours supeÌrieur aÌ€ 100%, alors que dans d’autres domaines, tels que les cambriolages par exemple, il avoisine les 10%. Pour preÌsenter un bilan «correct», les chiffres des stupeÌfiants sont utiles.
Une deuxieÌ€me dimension concerne l’utilisation de la lutte contre les stupeÌfiants dans le cadre du controÌ‚le de l’espace public. Depuis que les forces de police nationales ont abandonneÌ l’essentiel des strateÌgies de preÌsence dans la rue hors situation de crise ou d’urgence, la preÌsence policieÌ€re dans ces espaces se justifie essentiellement par les actions de reÌpression qu’elle peut y mener. DeÌ€s lors, la lutte contre les stupeÌfiants repreÌsente l’un des outils importants par lesquels la police va manifester sa maiÌ‚trise de l’espace public, voire semi-priveÌ, si l’on consideÌ€re les halls d’immeubles. MeÌ‚me si les recherches de produit ne deÌbouchent pas sur des reÌsultats, elles montrent que la police agit, qu’elle «combat» le crime, parce qu’elle fonde sa leÌgitimiteÌ sur ce mode d’action. En lien avec les controÌ‚les d’identiteÌ, cette instrumentalisation permet de faire pression sur les personnes qui occupent l’espace public. Si ce positionnement n’est pas interdit, il geÌ‚ne souvent, soit parce que les personnes concerneÌes se livrent effectivement aÌ€ des trafics et sont menaçantes, soit parce que leur simple preÌsence suscite la crainte ou l’irritation. Le controÌ‚le d’identiteÌ, eÌventuellement reÌpeÌteÌ, sert souvent de moyen de contrainte pour faire partir ces personnes. Le glissement, souvent abusif du point de vue du droit, du controÌ‚le d’identiteÌ aÌ€ la palpation de seÌcuriteÌ, puis aÌ€ la deÌcouverte incidente de produit stupeÌfiant, sert aÌ€ faire basculer le rapport de force au profit du policier dans ses interactions avec les jeunes qui sont dans la rue. Ici encore, meÌ‚me si aucun produit n’est deÌcouvert, le policier pense sa leÌgitimiteÌ renforceÌe par ces usages de la politique de lutte contre les stupeÌfiants.
Une troisieÌ€me dimension, qu’il faut aborder dans ces relations police-politiques de peÌnalisation de l’usage, touche la lutte contre le trafic de stupeÌfiants. Une ideÌe largement diffuseÌe veut que la peÌnalisation de la consommation permette de remonter les filieÌ€res et de combattre ainsi les gros fournisseurs. La lutte contre les usages, notamment dans la rue, est censeÌe deÌsorganiser le commerce et offrir les informations conduisant aux eÌchelons supeÌrieurs du trafic. Pourtant, les policiers qui exercent dans les secteurs les plus toucheÌs par cette eÌconomie paralleÌ€le se plaignent de la preÌsence d’un reÌseau de «guetteurs» treÌ€s organiseÌ, reÌmuneÌreÌ, qui permet aux reÌseaux d’eÌviter les saisies importantes qu’on attendrait de ces opeÌrations de polices. Une observation des pratiques montre qu’au contraire, ce sont davantage des opeÌrations discreÌ€tes de longue haleine qui sont seules susceptibles de remonter les filieÌ€res, en eÌvitant d’attaquer les consommateurs pour ne pas donner l’alerte. La lutte contre les gros trafics se meÌ€ne aussi en traquant les gains financiers illicites qu’ils geÌneÌ€rent, beaucoup plus efficace que de s’attaquer aÌ€ la consommation.
Tous ces arguments ne constituent pas, il est vrai, de raisons suffisantes pour justifier une deÌpeÌnalisation de la consommation de cannabis, mais ils montrent que l’interfeÌrence entre strateÌgies policieÌ€res et strateÌgies de lutte contre cette consommation ameÌ€ne aÌ€ une grande confusion. Les policiers ont tendance aÌ€ consideÌrer cette question aÌ€ travers le prisme de leurs propres preÌoccupations, au rang desquelles la santeÌ ou la preÌvention ne figurent pas en premieÌ€re ligne. InteÌreÌ‚ts professionnels, pesanteurs organisationnelles et consideÌrations morales se meÌ‚lent aux enjeux de santeÌ et de preÌvention. Comme trop souvent en France, on fait appel aÌ€ la police pour reÌsoudre des probleÌ€mes qui, en grande partie, ne releÌ€vent pas de sa compeÌtence, et pour lesquels on lui enjoint d’adopter une attitude reÌpressive qui ne deÌbouche pas sur des reÌsultats pertinents.
Source : Vih.org
Hors ligne
Hors ligne
1
[ Forum ] Dépénalisation ou légalisation
|
27 | |
16 | ||
[ Forum ] Actualité - Un article de France Info sur la depenalisation/legalisation du cannabis
|
0 |