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C’est la question que nous avons posée en toute transparence à l’objet du scandale qui avait secoué le foot et la France en 2010. Longtemps couverte d’insultes, Zahia raconte aujourd’hui s’être affranchie de la honte et affirme sa volonté de détourner les injures pour en faire le drapeau d’un combat égalitaire.
Petit test : pouvez-vous dire que vous n’avez jamais voulu vous habiller « comme une pute », danser « comme une pute », sortir pour « choper de la pute ». Répondez honnêtement, c’est dans votre tête, personne ne vous entend. Et puis, soyez rassuré, on se dit tous que si. Parce qu’on est tous une pute. Même votre mère, désolé. C’est choquant à lire, oui. C’est choquant à écrire aussi, je suis de la même culture et de la même époque que vous. Une époque où, encore récemment, un président de la première puissance mondiale n’a pas eu à craindre pour son poste après avoir menti sur des armes de destruction massive, quand son prédécesseur a subi l’opprobre général pour une petite fellation.
La guerre passe encore, mais une pipe, ah ça non. La morale et le sexe, l’eau et l’huile de la société.
Pourtant comme les putes, nous aussi on aguiche parfois, on provoque, on attire, on ose, on joue, on jouit. On vit. Mais gratuitement, alors ça va. Dans un monde où tout se paie – l’eau, l’air, l’espace et le temps – , rémunérer ou tarifer l’acte le plus instinctif choque toujours et suscite même le scandale. Dernier en date : Zahia. De son histoire, on ne connaît qu’une nuit, mais d’elle, on ne connaît qu’un mot : pute. De cette insulte, elle fait aujourd’hui un message. Elle imagine même des projets pour prendre la parole sur le sujet avec Marilou Berry. L’actrice–réalisatrice est devenue son amie après l’avoir vue la défendre sur un plateau télé, alors que les insultes volaient. À ses côtés, elle raconte son histoire et questionne : c’est qui la pute ?
Marilou Berry. Le scandale, c’était quoi, en fait ?
Zahia : Maintenant, quand on y pense, c’était pas grand-chose, et surtout je n’ai pas décidé d’être connue. Mais j’ai été connue pour quelque chose, et cataloguée.
Marilou Berry. Ce qui t’a mise dans la lumière, c’est d’avoir été mineure et de t’être retrouvée dans le lit d’un footballeur pour des services tarifés ?
Oui, c’est ça.
Marilou Berry. Il y a eu combien de temps entre ce moment-là et le moment où ça a explosé ?
C’était longtemps avant, ça s’est produit quand j’avais 16 ans et c’est sorti quand j’avais 18 ans, deux ans plus tard. Du jour au lendemain, on est venu me chercher.
Antidote. Du jour au lendemain, tu es devenue « Zahia la pute » ?
Oui, c’est ça.
Antidote. C’est devenu quoi, ta vie au quotidien ?
J’étais très mal, je ne sortais pas, je ne voyais personne. Je restais seule. Pour moi, je n’avais plus d’avenir, j’étais Zahia la pute. Et je sais que, dans cette société, ce genre de femme est diabolisé, comme si c’était quelque chose de mal… Mais ce n’est pas mal ce qu’elles font, elles apportent juste du plaisir. Pour moi, la pute représente la liberté. Mais ce n’était pas perçu comme ça, ma vie est devenue un enfer. J’avais le choix entre me suicider ou avancer dans mes objectifs et les atteindre.
Antidote. Tu as eu des pensées sombres ?
Ah oui… oui oui. Je ne voyais plus mon avenir, plus de possibilités.
Marilou Berry. Mais tu avais commencé à travailler sur ta collection avant que tout ça n’arrive en plus, non ?
Oui, exactement. J’avais déjà arrêté depuis longtemps. J’ai commencé à 18 ans à créer des collections de lingerie. J’en ai fait quatre et une collection capsule de prêt-à-porter. C’est ce que j’ai toujours voulu faire. Après le scandale je me disais que tout était foutu, que je commençais ma vie d’adulte avec une étiquette. C’était un énorme choc.
Marilou Berry. Comment tu as fait pour gérer la surmédiatisation d’un évènement repris par tout le monde, déformé, distordu, et pour réussir à en faire quelque chose de chic, avec l’approbation du monde de la mode ?
C’était un vrai handicap, j’étais cataloguée, mais je n’avais pas d’autre choix que de faire ce que j’avais toujours voulu faire et de le faire bien. Maintenant, quand j’y pense, je me dis que j’étais finalement assez forte pour subir ce scandale, j’étais assez forte pour ça. En fait, si ça devait arriver à n’importe qui dans ce monde, j’étais sûrement la plus armée. Depuis toute petite, je m’en fiche du mot pute, pour moi ça n’a jamais été quelque chose de mal, je n’ai jamais compris les gens, je les trouvais juste un peu bizarres. Pourquoi voir quelque chose de mal là-dedans ? Et puis, avec le temps, je me suis dit que cette étiquette allait devenir un message que je porte. Je me sens bien maintenant, je suis fière de ça. De dire : « Oui, je suis une pute, et alors ? ». Ça ne peut qu’aider les femmes. Pourquoi je devrais en avoir honte ? Je ne vais pas rentrer dans ce jeu et commencer à dénigrer d’autres femmes en pensant que je suis meilleure qu’elles ? Non, on n’est pas meilleurs qu’elles. Pourquoi juger d’autres personnes ? Le sentiment de supériorité est la chose la plus horrible dans ce monde. C’est à l’origine de toutes les barbaries.
Antidote. Ta famille a réagi comment ?
Ma mère était choquée. Elle ne savait pas, elle ne comprenait plus rien.
Antidote. Elle ne se doutait pas du tout de ce qu’il se passait ?
Non, je ne lui avais rien dit.
Antidote. N’hésite pas si tu ne veux pas répondre à certaines questions.
Non non, c’est bon.
Antidote. Comment c’est arrivé ?
Je suis arrivée à 10 ans en France, avec ma mère et mon petit frère. Elle avait divorcé de mon père. Elle a voulu quitter l’Algérie pour rejoindre ma grand-mère ici. On avait beaucoup de problèmes familiaux, on n’avait pas de maison, on ne savait pas où on allait vivre. J’avais déjà du retard parce que je ne parlais pas français et je changeais d’école tout le temps. Une fois qu’on a eu une situation plus stable, je n’arrivais plus à suivre, je ne pouvais pas rattraper le niveau. C’était un choc pour moi parce qu’en Algérie j’étais toujours la première de la classe et, d’un coup, je me retrouvais dernière. Et tous mes rêves, tout ce que je voulais faire depuis toute petite, je savais que ça n’allait plus être possible. Il fallait que je trouve une autre solution.
Antidote. Du coup tu t’es posé la question de comment réaliser tes rêves ?
Oui, c’est ça.
Antidote. Tu avais quel âge à ce moment-là ?
15, 16 ans.
Antidote. C’est une solution que tu as imaginé, ou on t’a approchée ?
J’ai eu des propositions mais, à la base, j’étais jeune et je voulais avoir des relations sexuelles. Je ne voulais pas rester vierge. Et puis je me suis dit : j’ai quoi comme possibilités ? Toutes les filles de mon âge avaient un petit copain, elles étaient amoureuses pendant un mois, puis elles étaient tristes, puis elles changeaient, puis elles avaient un nouveau petit copain et refaisaient la même chose. Je savais que ça allait être juste une perte de temps, que ça n’allait me mener nulle part. Je me suis dit, autant avoir des relations sexuelles et gagner quelque chose en retour. Je trouvais ça plus excitant. Et je n’aimais pas du tout les hommes de mon âge, je ne les trouvais pas intéressants.
Antidote. Les hommes de ton âge… des ados, en fait.
[ Elle rit ] Oui ! Je ne voyais pas l’intérêt de perdre mon temps avec des flirts.
Antidote. Quand tu dis que c’était plus excitant, sexuellement aussi ?
Oui, tout ce qui est interdit est un peu excitant. Parce qu’on n’est pas censé le faire.
Antidote. Tu t’es naturellement retrouvée dans un environnement plutôt chic ?
Oui, j’ai commencé à sortir et à rencontrer des femmes qui m’emmenaient avec elles. Je les suivais un peu, je voyais ce qu’elles disaient, ce qu’elles faisaient… Je me prenais un peu pour une grande ; en fait, j’étais pressée de grandir, d’être indépendante. C’est pour ça que je me suis mise à sortir, à aller vers d’autres aventures, pour moi, je préparais mon avenir.
Antidote. Tu avais deux vies en fait.
Oui, je rentrais à 6 heures du matin et il fallait que j’aille à l’école. Et je n’avais pas dormi.
Antidote. Pour toi, à l’époque, c’était de la prostitution ou pas ?
On peut appeler ça comme on veut. Si la prostitution, c’est prendre de l’argent pour une relation sexuelle alors oui, c’est ça. Aussi, j’aurais pu avoir un petit copain de mon âge et en changer chaque semaine. Finalement, c’est la même chose, à part que je n’aurais rien eu en échange.
Marilou Berry. Et aussi, quand on parle de prostitution, on pense tout de suite aux femmes qui font les cent pas sur les boulevards, qui te font une pipe dans une voiture pour cinquante balles, dont elles ne voient même pas la couleur. Il y a ça, mais il y a aussi une prostitution qui est un vrai choix, que ce soit pour l’argent, l’excitation, ou l’envie d’être avec des gens plus matures.
Antidote. Tu as fait ça combien de temps ?
[ Elle réfléchit ]… J’ai fait ça pendant presque un an.
Antidote. Tu as toujours su que c’était une période ?
Oui, j’ai toujours su ça. Pour moi c’était une petite période de ma vie qui allait après me permettre de passer à autre chose.
Antidote. Comment tu as décidé de combien tu valais ?
J’ai suivi un peu les filles que je fréquentais.
Antidote. Et toi tu penses que tu vaudrais combien ?
Marilou Berry. Cher. C’est mieux, plus tu vaux cher plus la personne en face de toi est rassurante, presque.
Oui, c’est vrai.
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Dernière modification par no punish (28 novembre 2017 à 11:05)
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