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Et que l’homme est peu sage de souffrir avec tant d’impatience ces infortunes humaines ! Je m’agitais, je soupirais, je pleurais et j’étais en trouble, sans trouver aucun repos, ni sans savoir à quoi me résoudre. Car je portais mon âme toute déchirée et toute sanglante qui ne pouvait souffrir de demeurer dans mon corps, et ne savais où la mettre. Elle ne trouvait point de soulagement, ni dans les bois les plus agréables, ni parmi les jeux et la musique, ni dans les lieux les plus odoriférants, ni dans les festins les plus magnifiques, ni dans les voluptés de la chair, ni dans les livres et dans les vers. Toutes choses, et la lumière même, m’étaient en horreur ; et tout ce qui n’était pas mon ami m’était devenu insupportable, excepté les larmes et les soupirs dans lesquels seuls je trouvais un peu de soulagement ....................
Le temps ne se passe pas inutilement ; il n’est pas stérile dans son cours : il fait de fortes impressions sur nos sens, et produit de merveilleux effets dans nos esprits. À mesure qu’il continuait ses révolutions, il jetait d’autres images dans ma fantaisie, et d’autres idées dans ma mémoire, et me faisait rentrer peu à peu dans mes plaisirs accoutumés, ma douleur cédant de jour en jour à mes divertissements ordinaires... Or ce qui me remit et me soulagea d’avantage, fut la douceur de la conversation de mes autres amis... Il y avait aussi d’autres choses qui me plaisaient fort en leur compagnie, comme de s’entretenir, de se réjouir, de se rendre divers témoignages d’affection, de lire en-semble quelques livres agréables, de se divertir, de se traiter avec une civilité officieuse, de disputer quelquefois sans aigreur, ainsi qu’un homme dispute quelquefois avec soi même, et d’assaisonner, comme par le sel de ces légères contestations qui sont très rares, la douceur si commune et si ordinaire de se trouver presque toujours dans les mêmes sentiments, de s’instruire l’un l’autre, d’apprendre l’un de l’autre, d’avoir de l’impatience pour le retour des absents, et de les recevoir avec joie à leur arrivée.
Ces témoignages d’affection et autres semblables, qui procèdent du cœur de ceux qui s’entr’aiment, et se produisent au dehors par leur bouche, par leur langue, par leurs yeux et par mille autres démonstrations si agréables, étaient comme autant d’étincelles de ce feu de l’amitié qui embrase nos âmes, et de plusieurs n’en fait qu’une.
Saint Augustin – Les Confessions -- Livre IV ( France Loisirs - Présentation et notes de Guy Rachet)
Amicalemernt
Dernière modification par prescripteur (16 novembre 2019 à 08:41)
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