La
naloxone sauve des vies ! Comment faire concrètement ?
Dr Alain MOREL, Association Oppelia, Gauthier WAECKERLE, Association Ithaque,
Eric DOUDET, Resist 37, Dr Anne BORGNE, RESPADD, Dr Elisabeth AVRIL, Association GAIA
Dr Béatrice CARTON, Association des Professionnels de Santé Exerçant en Prison,
Pierre CHAPPARD, Psychoactif, Dr Xavier AKNINE, MG Addiction, Dr Elliot IMBERT, Apothicom
Stéphane ROBINET, Association Pharm’addict, Mustapha BENSLIMANE, Nova Dona,
ATU pour un kit nasal (Nalscue©) en 2016, AMM pour ce même kit et pour le kit IM (Prenoxad©) en 2018, remboursement et disponibilité en pharmacie d’officine en juin 2019 (pour Prenoxad© seulement), « Note de la DGS aux ARS et Directeur des Hôpitaux », Feuille de route du Ministère de la Santé pour « Prévenir et agir face aux surdoses d’opioides », mobilisation des associations, tout semble en place pour mener la bataille contre les surdoses aux
opioïdes !
Qu’en est-il concrètement ? Que faut-il faire pour, non seulement mener la bataille, mais surtout pour infléchir la courbe inquiétante (toutes proportions gardées, on est très loin de la crise nord-américaine) des surdoses aux
opioides ?
Pour avoir une idée précise de la situation française, le document le plus précis sur le sujet est le numéro 133 de la Revue Tendances (OFDT, juillet 2019) sur le lien suivant :
https://www.ofdt.fr/publications/collec … llet-2019/Disponibilité des kits2 régimes de mise à disposition cohabitent concernant les 2 kits
naloxone actuellement présents sur le marché français :
· Le kit
Nalscue©, le premier venu, n’est disponible qu’en milieu hospitalier et auprès des structures spécialisées (CSAPA,
CAARUD et services hospitaliers…). Le prix d’achat est de 35 euros (le kit contient 4 dispositifs – 8,75 euros par unité – qui correspondent à 2 doses). Faute de négociation aboutie avec le Comité Economique, la firme a retiré sa demande de remboursement pour le diffuser exclusivement au milieu spécialisé.
· Le kit Prenoxad© est disponible à la fois dans les structures spécialisées et dans les pharmacies d’officine - prix d’achat = 19,00 euros -, remboursé en cas de prescription par tout médecin mais aussi accessible sans ordonnance par tout usager (prix d’acquisition : 23,16 euros). Il contient 5 doses !
Pour comparer ce qui est comparable en matière de coût, et si on se réfère à la dose de
naloxone biodisponible (et non à celle contenue dans les dispositifs), le kit Prenoxad© délivre 30 à 50% de
naloxone en plus [naloxone sur les récepteurs] par rapport au kit
Nalscue©. (cf. avis HAS
Nalscue©, données de biodisponibilité).
La disponibilité future du kit nasal est compromise, c’est le moins que l’on puisse dire. A plusieurs reprises, la firme a annoncé qu’elle ne réapprovisionnerait pas le marché après la liquidation de ses stocks qui arrivent à péremption en novembre 2020 ! Nous n’avons aucune information précise sur l’arrivée effective sur le marché d’autres kits dont les noms circulent, comme Nyxoid©, qui a eu une AMM européenne mais dont on ignore si le dossier de remboursement a été déposé auprès de la HAS.
https://www.lequotidiendupharmacien.fr/ … cue_277901 En l’état actuel, la seule certitude est de disposer pour quelques années du kit Prenoxad© dont la date de péremption des kits actuellement disponibles est mars 2022.
Diffusion des kitsNous connaissons les conditions un peu rocambolesques qui ont accompagné la mise sur le marché du kit
Nalscue©. ATU, avec des contraintes réglementaire kafkaïennes, post-ATU, gratuité, facturation au prix fort, de quoi décourager les professionnels de santé de participer à la diffusion des kits
naloxone.
https://rvh-synergie.org/images/stories … ito_23.pdf Depuis, tout est rentré dans l’ordre. Un prix unique : 35,00 euros ! Mais une disponibilité restreinte dans certains établissements qui ont fait le choix de la diffusion de la
naloxone.
Mais c’est loin d’être la majorité, pour des raisons très différentes (budget, contraintes réglementaires, formation, parfois aussi manque d’engouement sur la
RdR). Au final, depuis 2016, moins de 15 000 kits diffusés. Probablement trop peu pour avoir un impact sur le nombre d’overdoses.
Côté Prenoxad©, une mise à disposition effective depuis juin 2019. A ce-jour, selon les chiffres donnés par la firme, près de 2 000 kits diffusés depuis cette date. Plus de 200 pharmaciens d’officine ont commandé des kits Prenoxad©, pour donner suite à des prescriptions de médecins qui ont par leurs prescriptions, déclenché la commande des kits. Un millier de kits ont été commandés par des
CSAPA ou
CAARUD et quelques hôpitaux pour répondre à la note DGS de juillet 2019.
Là encore, pas de quoi avoir un effet significatif sur le nombre de décès par overdose. D’autant qu’il semblerait qu’une bonne partie de ces kits sont en fait diffusée sur 2-3 régions selon la firme.
Formation des professionnelsLa mise sur le marché des kits
naloxone a été accompagnée de contraintes en termes de formation qui ont donné l’impression que la diffusion de ces kits revêtait un caractère de dangerosité. C’est un peu comme si donner un kit
naloxone, antidote en cas d’overdose, était plus délicat, plus dangereux que prescrire un
opioïde pouvant occasionner ces mêmes overdoses !
Certains pensent qu’ils doivent bénéficier d’une formation habilitante (?) et d’autres délivrent ces habilitations ! Dans le cadre de l’ATU de
Nalscue©, il a été évoqué l’obligation d’une formation avant de pouvoir se procurer les kits. Les Autorités de Santé ont visiblement contraint les firmes à diffuser des outils donnant l’impression qu’il pouvait y avoir péril en la demeure : cartes-patients (!), check-list pour la formation…
Concrètement, il est facile aujourd’hui pour une équipe comme pour tout professionnel de santé de se former sur la
naloxone, comme antidote aux overdoses, sous la forme des kits prêts à l’emploi. Les firmes proposent des diaporamas et des vidéos sont disponibles sur internet, de quoi se former en un temps record.
Tout professionnel de santé, en particulier acteur de
RdR ou intervenant en addictologie, peut comprendre rapidement comment délivrer un kit
naloxone et comment accompagner cette délivrance.
Pour qui ? L’intérêt des documents officiels diffusés cet été (note DGS et feuille de route gouvernementale) est notamment de préciser quels sont ceux qui devraient bénéficier d’un kit
naloxone.
En voici un aperçu :
Dans la note DGS
· Les personnes devenues moins tolérantes aux
opioïdes (usagers sortants de prison, d’un
sevrage hospitalier ou ambulatoire, après l’arrêt d’un traitement de
substitution opiacée)
· Les poly-consommateurs (opioides +
benzodiazépines et/ou
alcool)
· Les usagers d’opioïdes occasionnels, en particulier en milieu festif
· Les patients traités par
méthadone, en particulier en début de traitement
· Les usagers avec des antécédents récents de surdose, hospitalisés ou vus aux urgences pour une surdose d’opioïdes
Dans la feuille de route du ministère (en plus)
· Patients traités par
opioïdes antalgiques mésusant leur traitement (augmentation non contrôlée des doses pour soulager une douleur mal prise en charge, recherche d’effets
psychotropes)
· Patients traités par
opioïdes antalgiques ayant développé une dépendance
· Usagers d’opioïdes en « auto-substitution » pour soulager une opiodépendance
Où ?En relation avec les publics cibles cités précédemment :
· Dans les
CAARUD, bien sûr ainsi que dans les
CSAPA et services d’addictologie, les
SCMR, ELSA et tout service accueillant des usagers d’opioides, la plupart du temps pour des patients et usagers ambulatoires
· Dans tous les contextes résidentiels ; prisons, SSRA, appartements thérapeutiques, services hospitalisant des patients pour
sevrage ou suivi addictologique, etc… notamment lors de la sortie.
· Dans les services spécialisés pour le traitement de la douleur (CETD) où arrivent des patients en difficulté avec les
opioides (dépendance et/ou addiction)
· En HAD, où sont parfois ‘hospitalisés’ des patients avec de fortes doses d’opioides antalgiques
· Dans les services d’urgence où sont hospitalisés des usagers ayant fait une overdose qui doivent quitter les urgences avec un kit fourni par l’hôpital (cf. note DGS)
· Et dans tous les cabinets de médecine de ville où sont reçus des patients à risque d’overdose (sous MSO, en difficulté avec des antalgiques
opioïdes, consommateurs d’opiacés illicites)
La note DGS prévoit qu’un contrôle de la dispensation des kits
naloxone par les hôpitaux soit effectué par les ARS tous les 6 mois.
A qui les donner, les prescrire ? En priorité aux patients et usagers bien sûr, en s’assurant de leur compréhension des modalités d’administration. A cet égard, des vidéos de démonstration sont parfois plus parlantes que des grands discours. La remise d’un kit doit s’accompagner de messages basiques de
RdR. Le premier est de ne jamais consommer seul. Les autres sont largement déclinés dans les brochures accompagnant les kits ou celles des associations comme ASUD.
http://www.asud.org/2017/07/02/nouvelle … isponible/Mais il est indispensable que ceux qui bénéficient de la délivrance d’un kit
naloxone informent leur entourage et leurs proches qu’ils ont un kit et leur proposent également de visionner les vidéos de démonstration. C’est toujours un tiers qui administre la
naloxone. Encore faut-il qu’il soit informé de la présence d’un kit et de ses modalités d’administration !
A l’entourage de patients/usagers à risque ou à ceux qu’on peut identifier comme partageant des consommations d’opioïdes en groupe. La réduction du nombre d’overdoses passe par la diffusion des kits auprès d’usagers ‘seniors’ ou ‘relais’, pouvant intervenir auprès de leurs pairs.
L’entourage de patients en HAD devrait aussi bénéficier de la délivrance d’un kit pour pouvoir intervenir auprès de patients sous
opioïdes antalgiques et à risque d’overdose.
Qui doit prescrire ou délivrer ?Tous les médecins évoqués dans les situations précédemment citées.
Mais aussi les pharmaciens d’officine qui suivent des populations à risque pour différentes raisons (délivrance de MSO pour des raisons de proximité avec un
CSAPA ou un médecin généraliste investi dans la prescription de MSO par exemple). Le pharmacien d’officine peut conseiller un usager d’acquérir un kit Prenoxad© soit en l’achetant soit en se le faisant prescrire, pour être éligible au remboursement.
Pour un professionnel de santé, le fait de ne pas avoir été directement confronté récemment ou ces dernières années à une overdose est parfois exprimé pour justifier la non-délivrance de kits
naloxone. Attendre qu’un de ses patients ou usagers qui fréquentent sa structure ou son cabinet décède d’une overdose (et à condition qu’il en ait connaissance) avant de prescrire ou délivrer un kit
naloxone n’est pas très
RdR. Il faut d’emblée accepter l’idée que tous les kits délivrés ne seront pas utilisés et, qu’à l’échelle individuel, l’impact soit peu perceptible !
Les services de secours (pompiers, police) ? Les policiers de proximité devraient être équipés d’un kit
naloxone, intranasal ou intramusculaire, notamment ceux qui interviennent près de lieux que l’on connait comme étant des zones de consommation. La Feuille de route de ministère de juillet 2019 précise :
« Doter en kits de
naloxone les services de secours (pompiers, police) pour leur intervention auprès de victimes de surdoses d’opioïdes d’une part, et les douanes et la police scientifique pour la protection des agents susceptibles d’être exposés accidentellement à des
opioïdes d’autre part. »
Quel kit ? Dans un monde idéal, chaque usager devrait pouvoir choisir quel kit il souhaiterait avoir sur lui, après lui avoir présenté objectivement les 2 kits et les modalités d’administration.
Le CEIP de Paris a rédigé un article comparant les avantages et inconvénients des 2 kits en mai 2019
http://addictovigilance.aphp.fr/2019/05 … -prenoxad/Dans le monde réel, il en est autrement !
En pharmacie d’officine, seul, le kit Prenoxad© peut être délivré et remboursé. Pour tous les patients en ambulatoire avec une ordonnance, il n’y a donc aucun choix possible.
En milieu spécialisé et hospitalier. Au moment où nous rédigeons cet e-dito (novembre 2019), la disponibilité de
Nalscue© devrait s’arrêter au plus tard à la date de péremption (novembre 2020) et il probable que le choix n’existe plus, y compris dans les
CSAPA et
CAARUD. Pas étonnant que certains établissements s’orientent vers un approvisionnement en Prenoxad©, d’autant que les kits
Nalscue© ont désormais une durée de vie de moins d’un an et qu’il faudra donc les renouveler.
Aujourd’hui, certaines structures ont fait le choix du kit nasal, par rapport à la sensibilité des usagers par rapport à l’injection et parce qu’il a été le premier kit disponible. D’autres ont fait le choix de Prenoxad©, par rapport à une biodisponibilité plus constante de la
naloxone en IM plutôt qu’en intranasal. En effet, celle-ci peut-être variable en fonction de l’encombrement nasal et de l’état des cloisons. L’encombrement du kit peut jouer un rôle également ainsi que le prix dans certaines structures.
Concrètement, aujourd’hui, le choix de l’usager est souvent limité au dispositif choisi préalablement par la structure. Imposer un dispositif unique ne laisse plus de place aux représentations des usagers, à leurs aptitudes ou souhait de pouvoir bénéficier d’un mode d’administration ou d’un autre…
Tant que le choix est encore possible et quand il l’est (dans les structures spécialisées), c’est l’usager qui doit l’exercer. Même si nous pouvons craindre qu’il ne le soit plus à court terme.
Le coût« La vie d’un usager n’a pas de prix… ». C’est le genre de petites phrases que l’on peut entendre et qui méritent d’être décryptées. Elles ont souvent pour vocation de faire accepter un prix élevé pour des médicaments dont les coûts de développement et de fabrication sont faibles. Elles sont tenues de façon inconsidérées et souvent inspirées par les firmes elles-mêmes.
Un kit
Nalscue© coûte 35,00 euros et un kit Prenoxad©, 19,00 euros.
Mais, 19 ou 35 euros, ce n’est pas le prix d’une vie sauvée. La très grande majorité des kits ne sera pas utilisée et sera renouvelée une fois arrivé à péremption.
Pour sauver une seule vie, nous savons qu’il faut certainement délivrer des centaines de kits, peut-être un millier (Les premières vies sauvées avec les kits
naloxone ont été rapportés après quelques mois de diffusion et un certain nombre de kits délivrés. C’est le cas aussi bien pour
Nalscue© que pour Prenoxad©).
Dans ce cas, c’est 19 000 euros ou 35 000 euros qu’il faut investir.
Il n’y a aucun doute sur le fait qu’il faille dépenser 19 000 euros ou 35 000 euros pour sauver une vie mais dire qu’un kit pourrait coûter à la collectivité plus de 35 euros, voire 50 ou 100 euros, le « prix d’une vie », est intellectuellement malhonnête et surtout complètement faux. Et ne profite qu’aux profits, pas aux patients ni aux usagers.
Références :
La note DGS
https://www.federationaddiction.fr/app/ … e-info.pdf La feuille de route du Ministère de la Santé
https://solidarites-sante.gouv.fr/preve … -2019-2022 Messages à retenir :
· Les kits
naloxone doivent être diffusés auprès des usagers et patients les plus à risque mais il est indispensable que ceux qui en bénéficient informent leur entourage et leurs proches qu’ils ont un kit et leur proposent également de visionner les vidéos de démonstration. C’est toujours un tiers qui administre la
naloxone. Encore faut-il qu’il soit informé de la présence d’un kit et de ses modalités d’administration.
· A l’entourage de patients/usagers à risque ou à ceux qu’on peut identifier comme partageant des consommations d’opioïdes en groupe. La réduction du nombre d’overdoses passe par la diffusion des kits auprès d’usagers ‘seniors’ ou ‘relais’ pouvant intervenir auprès de leurs pairs. L’entourage de patients en HAD ou prenant en ambulatoire des antalgiques
opioides à forte dose (+ de 60 mg équivalent
morphine) devrait aussi bénéficier de la délivrance d’un kit pour pouvoir intervenir auprès de patients sous
opioïdes antalgiques et à risque d’overdose.
· Les professionnels de santé, dans le milieu de la douleur (HAD, soins de support, cancérologie) ou de l’addictologie (CAARUD,
CSAPA, MG investis dans le suivi de patients sous MSO,
méthadone en particulier, services hospitaliers d’addictologie, soins résidentiels…) devraient prescrire ou délivrer un kit
naloxone à leurs patients les plus à risque, même, si à titre personnel, ils n’ont pas été confrontés récemment à une overdose chez un de leurs patients.
· Les patients usagers de drogue sortant de prison ainsi que ceux hospitalisés aux urgences pour une overdose devraient être dotés d’un kit
naloxone, remis avant même leur sortie (cf. note DGS).
· Pour finir, les usagers eux-mêmes, à risque ou en situation de pourvoir secourir d’autres usagers, doivent s’emparer de la
naloxone, en en demandant la prescription et/ou la délivrance d’un kit
naloxone.