« Les attaques contre le vin participent d’un suicide collectif »

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pierre
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« Les attaques contre le vin participent d’un suicide collectif »

Aubert de Villaine (Romanée-Conti) et Alexandre de Lur Saluces (Château de Fargues), deux vignerons qui ont de la bouteille, dénoncent les campagnes qui visent à réduire le vin à de l’alcool. Selon eux, il est bien plus que cela.
Propos recueillis par Michel Guerrin Publié aujourd’hui à 15h55


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Alexandre de Lur Saluces (à gauche, photo Rodolphe Escher pour « Le Monde ») et  Aubert de Villaine (photo Claire Jachymiak/Hans Lucas pour « Le Monde »).


Ils sont deux figures du vignoble français, l’un en Bourgogne, l’autre dans le Bordelais. Aubert de Villaine, 81 ans, dirige le domaine culte de la Romanée-Conti, dans la côte de Nuits (Côte-d’Or), et il fut un acteur-clé du classement des climats de Bourgogne, en 2015, sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco. Alexandre de Lur Saluces, 85 ans, a piloté pendant plus de trente ans le Château d’Yquem, le roi des sauternes, et il est propriétaire aujourd’hui du Château de Fargues, dans la même appellation. Tous deux affirment que l’image du vin en France est aujourd’hui passablement écornée. Et ils s’en inquiètent.

Vous travaillez dans le vin depuis plus de cinquante ans. Comment, selon vous, l’image du vignoble a-t-elle évolué ?
Aubert de Villaine : Notre culture du vin est considérée partout à l’étranger comme un modèle, aucun autre pays n’a notre prestige. Les vignobles italien, espagnol, américain ou australien sont défendus sans faille par leurs dirigeants, mais en France, non. En France, nous sommes stigmatisés. En France, le vin est réduit à un symbole de l’alcool et de l’alcoolisme. J’appelle cela un suicide collectif. Il y a cinquante ans, trente ans, dix ans, ce n’était pas le cas. Quand je pense aux vignerons qui viennent du monde entier en Bourgogne pour découvrir nos savoir-faire, je me dis, oui, que c’est un suicide.

Alexandre de Lur Saluces : Je suis d’accord. Nous étions un trésor du pays, nous ne le sommes plus, sauf pour quelques propriétés de renom…

Mais admettez-vous que l’alcool, notamment le vin, fait des ravages ?

A. de V. : Oui, mais réduire le vin à cela est aberrant. Le vin ne représente qu’un peu plus de la moitié de la consommation d’alcool en France. Mais regardons d’où on vient. Nous avons connu l’époque où les paysans et les ouvriers buvaient six à huit litres par jour. Le sentiment général était que le vin aidait à travailler et à vivre…
A. de L. S. : On disait que le facteur prenait un coup de gnôle après chaque lettre jetée dans la boîte…
A. de V. : Cette époque est révolue. En cinquante ans, la quantité d’alcool mise en vente en France a été divisée par deux, et cette baisse est due au vin. La tendance est spectaculaire : on boit moins et mieux.
A. de L. S. : Oui, l’époque du gros rouge qui tache est en très forte diminution. Le vignoble français ne cesse d’augmenter en qualité, y compris dans les régions où on a fait pisser la vigne. Du reste, les amateurs ne boivent plus un bordeaux ou un bourgogne mais choisissent un nom de vigneron, qui cultive à tel endroit, sur tel terroir, en telle appellation, avec tels cépages.
« C’est plus facile de s’en prendre à nous qu’à la vodka, au gin ou à la bière », Aubert de Villaine
A. de V. : Attention, il reste un alcoolisme social, qui touche des personnes fragiles, déclassées et souvent âgées, notamment dans les campagnes, mais moins dans les villages de vin qu’ailleurs. Et puis il y a un problème sociétal avec beaucoup de jeunes, surtout dans les grandes villes, qui ingurgitent, notamment le week-end, des alcools forts et bon marché, de la bière aussi, font des mélanges, abusent des cocktails. Pourtant les publicités contre l’alcoolisme globalisent leur cible, elles dénoncent le vin à cause de la notoriété du vignoble français. C’est plus facile de s’en prendre à nous qu’à la vodka, au gin ou à la bière.
A. de L. S. : Les campagnes globales oublient aussi que de nombreux pays, comme la Russie ou la Chine, en Scandinavie encore, ont encouragé la consommation de vin afin de lutter contre les ravages des alcools forts. Ces pays sont bien placés pour faire la différence.

Des médecins se méfient du terme « modération » et disent que boire un seul verre par jour est dangereux.
A. de V. : Et d’autres disent le contraire. Les médecins d’avis opposés devraient se mettre autour de la table pour en débattre, or ce dialogue devient impossible. D’un côté, certains médecins nous défendent de façon si radicale qu’ils desservent notre cause. De l’autre, à ceux qui ne font que répéter que le vin tue, je réponds qu’une consommation modérée aide à vivre. Elle procure un bien-être, une paix intérieure, une convivialité. On touche là à des considérations existentielles rarement prises en compte. Et puis j’aimerais que des addictologues aillent au bout de leur pensée. Faut-il arracher tout le vignoble en France ? En conserver certains – mais lesquels ?
A. de L. S. : Cela renvoie à une question de liberté individuelle. Notre époque voit s’ouvrir des débats sociétaux, par exemple sur le droit à avoir des enfants avec la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui, libertés qui ont un coût pour la société, et, dans le même temps, on met en tension liberté de boire et coût pour la société.

Vous êtes soutenus par le président de la République, par nombre d’élus et par des lobbys. C’est ainsi que le « Dry January », qui a incité à ne pas boire d’alcool en janvier, n’a pas été relayé par l’Etat. Pouvez-vous vraiment vous ériger en victimes ?

A. de V. : On nous lance toujours à la figure les lobbys du vin. On ne dit pas que des associations anti-alcool, parfois subventionnées par l’Etat, sont aussi des lobbys.
A. de L. S. : Le « Janvier sobre » a prôné l’idée, bien de l’époque, du tout ou rien. Alors qu’il faudrait inciter à une consommation modérée. Mais les Français n’aiment pas qu’on leur dise quoi faire.

Que répondez-vous à ceux qui disent que le vin n’est pas un produit de première nécessité mais un plaisir qui, à cause des pesticides, fragilise vos équipes, les populations riveraines et la terre, et qui, à cause de l’alcool, nuit à la santé du consommateur. Tout cela ne fait-il pas beaucoup ?
A. de V. : L’écologie est le défi majeur du vignoble. En quinze ans, les progrès vers une vigne plus propre sont spectaculaires. Les vins biologiques – le romanée-conti est en biodynamie – sont plus nombreux chaque année. On peut trouver le mouvement trop lent, mais il est réel et irréversible.

A. de L. S. : Une viticulture raisonnée se généralise, qui utilise le moins possible de produits phytosanitaires, d’autant que les producteurs doivent tenir compte de l’urbanisation des campagnes. Mon domaine de Fargues, en Gironde, autrefois isolé, se trouve aujourd’hui quasiment dans une banlieue de Bordeaux. A nous de répondre aux inquiétudes des habitants.
A. de V. : Et puis, réduire le vin à un plaisir gustatif, c’est oublier tant de choses…
Lesquelles ?
A. de V. : Le vin nourrit le corps, la pensée, le regard, le paysage, la mémoire, le vivre-ensemble. Ce que l’on appelle sa dimension culturelle et patrimoniale. L’oublier est une injure à tous ces vignerons qui, depuis que la fermentation du raisin existe, ne veulent pas produire plus, mais s’imposent des règles pour chercher la qualité. Cette qualité, par nature fragile, vient du terroir, du raisin, des tanins, de l’acidité, de tout un environnement, du travail humain bien sûr. Prenez la Romanée-Conti. Entre 1880, quand la maladie du phylloxéra a ravagé la vigne, et 1972, ce petit domaine perdait de l’argent. Pendant un siècle, il a été conservé au prix de sacrifices et d’inventivité par des vignerons qui devaient avoir un autre métier pour tenir. Il existe des centaines de cas similaires en France.
A. de L. S. : Toutes les propriétés qui font du vin à l’extrême du possible, avec des rendements dérisoires, ont développé des approches qui ne sont pas éloignées de la création artistique. Elles ont suscité des récits. On peut multiplier les exemples qui prouvent qu’il y a plus d’« histoires » dans un verre de vin que dans toute autre boisson. Je pense à ce moine qui mettait un peu d’Yquem 1984 dans son calice avant la messe. Je pense à ces personnes qui, en prévision de leur mort, ont voulu disperser leurs cendres au-dessus d’Yquem ou d’autres propriétés, ce que ces dernières généralement refusent, car une belle terre de vin est un patrimoine commun, que l’on ne peut s’approprier.
A. de V. : Oui, le vin évoque plus le partage que l’appropriation. Je me souviens de deux musiciens de l’Orchestre philharmonique de Berlin, que j’ai reçus à la Romanée-Conti et qui ont joué Mozart en dégustant notre cuvée 1956. C’est un millésime difficile, qui a des faiblesses. Un musicien a réagi ainsi : « Ce vin me rappelle le dernier concert du pianiste Vladimir Horowitz auquel j’ai assisté. Il faisait des fausses notes, mais il était la musique à l’état pur. » C’est une réaction comme des millions de gens peuvent en avoir en dégustant un vin.

Pensez-vous aussi à l’empreinte du vignoble sur le paysage ?
A. de V. : Evidemment. Deux tiers des départements métropolitains sont en partie dessinés par la vigne. C’est magnifique à regarder, un coteau de raisins… Le vigneron joue son rôle et dépense son argent dans l’entretien du paysage, qu’il soit naturel ou bâti – châteaux, chais, maisons de maître, clochers, murets, cabottes… que deviendrait tout cela sans les vignerons ?

Vous n’évoquez pas le poids économique du vin…
A. de L. S. : Dire que la filière viticole emploie directement ou pas 500 000 personnes, qu’elle est le deuxième contributeur à la balance commerciale de la France, après l’aéronautique et devant les cosmétiques, qu’elle est centrale dans le tourisme, via l’œnotourisme, c’est ouvrir la porte à nos opposants, qui y voient un chantage.

Si la dimension culturelle du vin n’est pas bien mise en avant en France, est-ce en partie votre responsabilité ?
A. de V. : Sans doute. Nous devons agir, surtout en pensant aux jeunes, dans trois directions : souligner la dimension culturelle du vin ; demander aux vignerons d’avoir plus d’exigence sur le plan environnemental ; favoriser, à l’école et dans les familles, une éducation au goût. C’est notre défi, car il y va de notre survie.

Dernière modification par shepperd (28 février 2020 à  20:19)

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In vino veritas Mr No

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Bonjour, c'est sûr que se défoncer au Romanée Conti ou au Chateau Yquem ça trouve vite ses limites, ne serait ce qu'à cause du prix.

https://www.lefigaro.fr/conjoncture/201 … -monde.php

https://www.vinsgrandscrus.fr/bourgogne … conti.html

Mais ils oublient de dire qu'il y a des gens qui trouvent nettement moins cher pour se faire leur cirrhose.
Je dirais qu'il y a des "victimes" bien plus pathétiques que ces deux messieurs (des buveurs excessifs comme des viticulteurs de base).
Amicalement

Dernière modification par prescripteur (01 mars 2020 à  17:03)

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Je n'y vois que des vignerons prechant pour leur paroisse, au discours classique

S'il n'y a pas de solution, il n'y a pas de problème. Devise Shadok (et stoicienne)

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pierre
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Ta réplique est facile...

Je trouve que cet article est un vrai bol d'air ! Il résume tout ce que je pense sur les trucs a vomir défendus par des "addictologues"  comme le january diet... Il met en avant avant tout les apports, notamment culturel et social, du vin. Le vin ce n'est certainement pas que l'addiction et les dommages...

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Zénon
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C’est clair, un vrai bol d’air.

« Oui, mais réduire le vin à cela est aberrant. »

Pour noyer la rancœur et bercer l’indolence
De tous ces vieux maudits qui meurent en silence,
Dieu, touché de remords, avait fait le sommeil ;
L’Homme ajouta le Vin, fils sacré du Soleil !

Les Parisiens disent Baud’laire. Nous, on dit : Baudeulaire.

« I don’t believe in psychology. I believe in good moves. » — Bobby Fischer

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Ces deux là n'ont pas besoin de pub ou de lobbying pour vendre leur pif.
C'est un discours très libertaire et surtout du respect de l'usager qu'ils prononcent et auquel j'adhère et que je pourrais tenir sans me cantonner au vin.
Ne comptons pas sur eux pour défendre notre liberté, quoiqu'un échange autour d'un bon repas ne me déplairait pas pour les convaincre qu'ils sont dans le vrai aussi pour les autres drogues, mais comptons sur eux pour défendre un modèle sociétal qui intègre les usagers et l'usage d'une drogue.
Ils ne nient pas les dangers, y compris le risque environemental, ils assument leur statut de producteur de drogue avec ce que cela implique de positif et de négatif pour la société.

Mais ils oublient de dire qu'il y a des gens qui trouvent nettement moins cher pour se faire leur cirrhose.

Je crois qu'ils assument y compris que leurs propres bouteilles peuvent être mal utilisées.
Ne réduisons pas l'usage de drogues à un problème sanitaire.
Ce serait de l'hygienisme appelant prohibition et réprobation morale, stigmatisation avec les conséquences que l'on connaît bien.

Dernière modification par Mister No (29 février 2020 à  06:14)


Just say no prohibition !

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krakra homme
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On peut faire les même interview avec des cannabiculteurs qui font de la très hautes qualites dans des pays où c’est légalisé
on peut faire de la drogue de qualité, être passionnés et dire à consommer avec modération  (obligatoire en france)
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Produire du shandoo est un art Mr No

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