Prévu pour janvier 2021, le début de l’expérimentation du cannabis thérapeutique a déjà été repoussé à plusieurs reprises. ISTOCKPar Florence Méréo
Le cri d’alerte est porté par 51 des principaux acteurs de la mise en place de l’expérimentation du
cannabis à usage médical en France. Ceux qui y travaillent depuis deux ans. Les membres du comité scientifique dédié à l’Agence du médicament, parmi lesquels des neurologues, des oncologues, des pharmacologues. Les sociétés savantes (soins palliatifs, traitement de la douleur…), mais aussi les associations de patients, dont la plus puissante, France Asso Santé.
Craignant un nouveau report de la mesure et « face à la souffrance des patients », écrivent-ils, ils interpellent le gouvernement. « Nous attendons des décisions politiques fortes et rapides, des engagements tenus.»
Cannabis médical, ne vois-tu rien venir ?« Deux ans déjà, pas même un décret en conseil d’État ni de financement qui verdoie, aurait pu écrire Charles Perrault.
Deux ans déjà que la réflexion a officiellement commencé au sein de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) à la demande de la précédente ministre de la Santé, Agnès Buzyn. Depuis septembre 2018, des travaux ont alors été initiés au sein d’un comité scientifique pluridisciplinaire de l’ANSM. Ils ont évalué la pertinence scientifique de donner accès à des produits aux standards pharmaceutiques à
base de
cannabis pour des malades chroniques peu ou pas soulagés de leurs souffrances par leurs traitements.
En octobre, cela fera un an déjà, que le député, et actuel ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, présentait devant l’Assemblée nationale ce qui est devenu l’article 43 de la loi N°2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la Sécurité sociale pour 2020. Un article donnant la possibilité à l’Etat d’autoriser, dans le cadre d’une expérimentation de politique publique, l’usage médical du
cannabis sous la forme de produits répondant aux standards pharmaceutiques. Cela concernera a minima 3000 patients souffrant de douleurs chroniques neuropathiques, de contractions musculaires douloureuses chez des patients atteints de sclérose en plaques ou avec des lésions médullaires, d’épilepsies résistantes, de complications liées aux cancers et aux chimiothérapies et de patients en situation palliative.
Mais pour cela, encore faudrait-il que l’expérimentation puisse avoir lieu ! Le décret d’application de cet article 43 est attendu depuis plusieurs mois. Sans ce décret, il est impossible de mettre en œuvre cette expérimentation, car l’étape cruciale de la sélection et de l’autorisation de ces médicaments qui seront prescrits aux patients ne peut être réalisée.
Par ailleurs, nous ne pouvons que regretter un arbitrage à zéro euro concernant le financement de cette expérimentation qui doit mobiliser pendant deux années sur tout le territoire français plusieurs milliers de professionnels de santé volontaires. Cela met aussi la France en situation de dépendance face à des acteurs privés étrangers et de leur bon vouloir de fournir gracieusement leurs produits et dispositifs médicaux.
Nous rappelons que l’accès à ces médicaments a été jugé scientifiquement pertinent dès décembre 2018 par le premier comité scientifique de l’ANSM. L’objectif principal de cette expérimentation n’est autre que de valider le circuit de prescription et de dispensation de ces médicaments. Rien d’exceptionnel pour des professionnels de santé qui manient d’autres médicaments stupéfiants au quotidien, dont certains plus à risque de dépendance, voire de surdose. Mais ce serait aussi l’occasion, avant une possible généralisation, de former à ces traitements un grand nombre de médecins et pharmaciens, même hors expérimentation, et d’en avoir une évaluation scientifique complémentaire.
Le report répété du début de cette expérimentation, faute de décret d’application, suscite actuellement un questionnement sur la volonté politique de le mettre réellement en place. Cela crée de l’anxiété voire de la colère chez des patients déjà en souffrance physique et psychique et en attente de solutions complémentaires. Cela met aussi les professionnels de santé en difficulté dans la gestion des demandes grandissantes et légitimes des patients et de leur entourage, suite à l’annonce de cette expérimentation qui ne vient pas.
Face à la souffrance des patients, nous attendons des décisions politiques fortes et rapides, des engagements tenus, un financement adapté aux objectifs, en commençant par la publication du décret dans les plus brefs délais pour proposer aux patients ces traitements dès le premier trimestre 2021. »
Liste des 51 signataires :Nicolas Authier, professeur des universités, médecin psychiatre et pharmacologue, CETD, Inserm 1107, université Clermont-Auvergne, CHU, Clermont-Ferrand ;
Mado Gilanton, patiente experte, présidente Apaiser S&C ;
Bechir Jarraya, neurochirurgien, hôpital Foch, Suresnes ;
Philippe Andrieux, patient expert, association Principes actifs ; Nadine Attal, professeure des universités, médecin neurologue, Inserm U 987, CETD, CHU Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt ;
Carole Demulatier, patiente experte, UniSEP ;
Laure Copel, médecin oncologue et soins palliatifs, groupe hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon, Paris ;
Yannick Frelat, représentant territorial d’Epilepsie France ;
Antoine Dupuy, Société française de pharmacie clinique, pharmacien hospitalier, professeur des universités, CHU, Poitiers ;
Catherine Sebire, représentante de l’Association francophone pour vaincre la douleur (AFVD) ;
René Maarek, pharmacien d’officine, Paris ;
Bertrand Rambaud, représentant du pôle « patients », Union francophone des cannabinoïdes en médecine ;
Samira Djezzar, médecin pharmacologue, Centre addictovigilance, Paris ; Serge Perrot, professeur de thérapeutique, centre de la douleur, hôpital Cochin, université de Paris, ancien président de la SFETD (Société française d’étude et de traitement de la douleur) ;
Alexandre Maciuk, enseignant-chercheur, faculté de pharmacie, université Paris-Saclay ;
Vera Dinkelacker, médecin neurologue, CHU, Strasbourg ;
Marie Lanta, chargée de mission information des personnes malades et des proches, Ligue nationale contre le cancer ;
Françoise Durand-Dubief, neurologue, présidente du CLUD groupement hospitalier Est, CHU de Lyon ;
Marie Jauffret-Roustide, sociologue, Inserm, Paris ;
Georges Brousse, professeur des universités, psychiatre, addictologue, université Clermont-Auvergne, service d’addictologie et pathologies duelles, CHU Clermont-Ferrand ;
Pascal Douek, médecin, patient et représentant de patients, Unisep ;
Gilles Edan, professeur des universités, médecin neurologue, Inserm, CHU, Rennes ;
Rachida Badaoui, patiente experte en oncologie ;
Pierre Champy, professeur de pharmacognosie, université Paris-Saclay, Association francophone pour l’enseignement et la recherche en pharmacognosie (AFERP) ;
Annie Le Palec, anthropologue, membre du TRT-5 CHV (interassociatif Traitement recherche VIH, hépatites virales) ;
Sophie Crozier, médecin neurologue, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris ;
Mariannick Le Bot, présidente du Conseil national professionnel de pharmacie officinale et hospitalière ;
Raymond Souqui, président de CSC – connaître les syndromes cérébelleux ; Catherine Mallevaës, présidente de l’association Aramise (atrophie multisystématisée) ;
Jean Benard, président de l’ASL-HSP France (Association Strümpel Lorrain) ;
Martine Libany, présidente association CMT-France (Charcot-Marie-Tooth) ;
Juliette Dieusaert, présidente AFAF (Association française de l’ataxie de Friedreich) ;
Jean-Philippe Plançon, président Association française contre les neuropathies périphériques ;
Françoise Tissot, vice-présidente AMMi, Association contre les maladies mitochondriales ;
Coralie Marjollet, Sandrine Taourirt et Anne Draeger, association IMAGYN, Paris ;
Edwige Ponseel, présidente AMADYS et vice-présidente Dystonia Europe ;
Cécile Foujols, présidente de l’Association française du syndrome de Klippel-Feil ;
Sophie Lecommandoux, présidente de l’APASC – Association des personnes atteintes du syndrome de Currarino ;
Fabienne Lopez, présidente de l’Association Principes actifs ;
Ivan Krakowski, oncologue médical, professeur des universités, médecin de la douleur, président de l’Association francophone pour les soins oncologiques de support (AFSOS) ;
Frédéric Aubrun, médecin anesthésiste-réanimateur, professeur des universités, président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) ;
Eric Thouvenot, médecin neurologue, professeur des universités, président de la Société francophone de la sclérose en plaques ;
Béatrice Clairaz-Mahiou, pharmacienne d’officine, présidente de la Société francophone des sciences pharmaceutiques officinales (SFSPO) ;
Sophie Dupont, médecin neurologue, professeure des universités, présidente de la Ligue française contre l’épilepsie (LFCE) ;
Paul Frappé, médecin généraliste, professeur des universités, président du collège de la médecine générale ;
Claire Fourcade, médecin, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) ;
Frédéric Guirimand, médecin, professeur associé de médecine palliative, université de Versailles Saint-Quentin, maison médicale Jean-Garnier, Paris ;
Gérard Raymond, président de France Asso Santé ;
Axel Kahn, médecin généticien, directeur de recherche à l’Inserm et président de la Ligue nationale contre le cancer.
Source :
leparisien.fr
Dernière modification par filousky (09 septembre 2020 à 12:48)