Mensonge et Amnésie
« Le président de la (MILDT) s´est prononcé contre l´ouverture en France des salles de consommation. Cela reviendrait à « baisser les bras » face à la drogue. Il a estimé ce mardi que « le fait d´accepter des salles d´injection » (à ) Paris « consisterait à faire une croix sur le destin des gens ». 1 Selon lui,2 l´ouverture de salles de shoot instaurerait une situation où l´on accepterait la dépendance au lieu de lutter contre. « Plus personne n´aura d´ambition pour sortir [les toxicomanes] de leurs difficultés » a-t-il ajouté, tout en qualifiant de tout à fait respectable la « philosophie défendue par Jean-Marie Le Guen. (… ) Je suis contre l´idée de cacher les toxicomanes dans des centres sous couvert de prise en charge médicale » tranche-t-il. Les propositions de M. Le Guen vont beaucoup trop loin. Nous ne cherchons pas à accompagner les usagers, mais à les sortir de la drogue. Faciliter les usages, c´est une forme de désespérance. Nous n´avons aucune étude permettant d´avancer que ce genre d´infrastructures aient un effet positif, (continue) Etienne Apaire. »
Or, il y a vingt ans en arrière, le même type de propos anti-RDR, aujourd´hui totalement démentis par les faits têtus, étaient tenus. Et en voici quatre exemples :
Le 30 septembre 1984, M. Karsenty, président de la MILDT, déclarait à propos de la levée du décret de 1972 interdisant la vente libre des seringues dans le Quotidien du pharmacien qu´il considérait qu´il ne devrait pas être remis en cause car « une telle mesure serait plutôt prise comme une banalisation de la seringue et un désintérêt de la part du gouvernement sur le problème de la toxicomanie ». Aujourd´hui nous savons que c´est une large mise à disposition des seringues qui a dans un premier temps permis de lutter efficacement contre le SIDA et permis le contact avec les usagers.3
Trois mois avant la publication du rapport qui porte son nom alors qu´elle était présidente de la MILDT (1988-9), C. Trautmann déclarait4 que ce qui caractérise le programme hollandais de la
méthadone comme produit de
substitution « procède d´une certaine vision fataliste de la toxicomanie, maladie chronique dont on ne guérit pas ». La France est aujourd´hui un pays objectivement avancé en matière de soins de la dépendance avec un recours massif aux traitements de
substitution (méthadone et
buprénorphine essentiellement) dont bénéficient 100 000 patients.
Après le thème du refus de complicité d´usage avec la délivrance de seringue s´ajoute celui du refus du fatalisme : « Allons nous baisser les bras ? Allons nous abandonner les toxicomanes à leur toxicomanie » demande le psychiatre F. Curtet5 à l´ouverture du débat sur la vente libre des seringues.6 Loin d´être à l´abandon, les usagers sont mieux pris en compte, mieux soignés, ils ont pour beaucoup pu retrouver un confort de vie social et familial.
Enfin, Ernest Chenière député de l´Oise écrivait du parlement le 6 décembre 1993 : « La classe politique, pitoyablement engluée dans son impuissance et ses inhibitions, anesthésiée par la pression idéologique, s´adonne au psittacisme de l´air du temps, et nous chante le leitmotiv de la
méthadone et des échanges de seringues. Or ces programmes de
méthadone, mis en place depuis 20 ans aux USA comme en Suisse, ont échoué ». Cette dernière affirmation est un beau mensonge. Aujourd´hui tous les médecins compétents savent que la
méthadone est connue pour ses effets bénéfiques depuis le début des années soixante au USA,7 pourtant dure tenante de la plus dure prohibition. Les français, assez mauvais lecteurs en anglais ont « gobé » qu´il n´y avait aucun intérêt à ces traitements sans rien vérifier et surtout pas de la part des spécialistes de l´époque tel que Curtet.
Monsieur Apaire recours lui aussi au mensonge lorsqu´il affirme qu´« aucune étude permettant d´avancer que ce genre d´infrastructures (les salles de consommation) aient un effet positif. ». Il ne peut en effet ignorer que ces études existent et qu´elles démontrent des effets positifs. On peut par exemple citer :
Les expériences Suisses, en particulier la salle de consommation de Genève qui fut évaluée par l´Institut Universitaire de médecine sociale et préventive de Lausanne, documents très facilement accessibles sur internet (
http://www.iumsp.ch ) et publiés en français et donc compréhensibles par tous les francophones.8,9
L´expérience Canadienne à
Vancouver où une équipe scientifique de chercheurs indépendants a réalisée une évaluation externe rigoureuse dont les résultats ont été publiés dans des revues reconnues par la communauté scientifique internationale comme The Lancet, The British Medical Journal ou The New England Journal of Medecine.
L´expérience Australienne qui fut également l´objet d´une évaluation médicale très poussée par le Centre National des recherches épidémiologique et clinique sur le VIH (the National Centre in HIV epidemiology and clinical research).
quelques collaborateurs anglophones à la MILDT. J´ai d´ailleurs travaillé avec certains d´entre eux pour exhumer ces études et bien d´autres dans le cadre de la commission addictions mise en place par X. Bertrand alors ministre de la santé. Mais cela ne fait visiblement pas les affaires de l´actuel président de la MILDT qui semble suivre ses prédécesseurs cités et qui n´avaient vraiment pas pris le vent du progrès qui se réalisa, sinon malgré eux, sans eux. A l´exception notable de Nicole Maestracci,10 la présidence de la MILDT ne porte guère à la
RDR…
L´histoire se répète dit-on. C´est affolant de vérité. Les mêmes termes, les mêmes idéologies ou presque, à 20 ans de distance pour discréditer la
RDR. « Baisser les bras face à la drogue » sera l´expression commune ; « faire une croix sur le destin des gens » va furieusement bien avec les craintes de C. Trautman « d´une certaine vision fataliste de la toxicomanie » ; « cacher les toxicomanes dans des centres sous couvert de prise en charge médicale » rappelle les accusations de dealers en blouse blanche à l´endroit des médecins qui furent les pionniers de la
substitution en France tel le Dr. Jean Carpentier. Il fût pourtant un temps poursuivi pour son activisme en faveur de la contraception. Un autre temps, il le fût pour sa clairvoyance à traiter avec des médicaments ses patients « toxicomanes ». Aujourd´hui, toute la communauté scientifique reconnaît sa lucidité précoce…
Cependant, la
RDR a largement démontré son efficacité sur la même période. De très nombreux résultats largement publiés ont validé cette politique initiée notamment par Michelle Barzach (libéralisation de la vente des seringues en 1987) et Simone Veil (validation et développement des traitements de
substitution en 1995). De 1978 à 1997 par exemple, les usagers de drogues représentaient un quart de l´épidémie de SIDA (23,4% des cas diagnostiqués). Aujourd´hui, la prévalence du VIH se chiffre à moins de 2%. Les overdoses sont passées de prés de 600 par an en 1994 à moins de 100 en 2003.11 Les deux tiers des usagers sont maintenant en contact avec des acteurs sanitaires et sociaux alors qu´ils n´étaient que 10% dans les années 1990.
Cette politique est désormais inscrite dans la loi de santé publique du 9 août 2004. Ce jour là , la République a reconnu son bien-fondé et créé les Centres d´Accueil et d´Accompagnement à la
Réduction des risques liés à l´Usage de Drogues (CAARUD).
En termes d´épidémiologie, cette politique a donc été un succès sans lequel la création des
CAARUD n´aurait pas été possible. Mais Monsieur Apaire ne semble pas admettre ces succès qui sont effectivement le résultat de cette « philosophie » qu´est la
RDR et qu´il prête à Monsieur Le Guen, autant qu´elle est une politique de santé publique. Soyons sûr que le terme est choisi. L´actuel président de la MILDT est un tenant revendiqué de l´ordre avant tout, de l´application de la loi d´inspiration prohibitionniste qui implique une approche sécuritaire et certainement pas d´une philosophie par trop « droit de l´hommiste » à son goût. « Nous ne cherchons pas à accompagner les usagers ». Normal Monsieur Apaire n´est pas un pair12 de la
RDR, il en est a-pair, voir anti-pair de la
RDR qui a pourtant sauvé des vies. La
RDR est pourtant une clinique du lien et la première mission des
CAARUD consiste en l´accompagnement des usagers.
Dés son origine la
RDR a posé comme axiome l´alliance avec les usagers plutôt que la guerre aux usagers. Il fallait pacifier le débat plutôt que de conduire aux résultats de la guerre à la drogue : des usagers morts par milliers. Et cette guerre est perdue même lorsque les plus puissantes troupes campent dans les champs de
pavots afghans. Il se trouve que les overdoses semblent reprendre une courbe ascendante… C´est un des indicateurs du succès ou de l´échec des politiques actuelles. Le refus de poursuivre les logiques de la
RDR en lui permettant d´élargir ses outils d´intervention comme avec les salles de consommation supervisées ou les programme ERLI (éducation aux risques liés à l´injection) se paiera lourdement en vies humaines.
qui est de concourir au maintien en vie des usagers, non pas de tenir des propos éculés ou pire, des mensonges. A l´heure où l´évaluation est prônée au plus haut de l´Etat, soyez sûr que les résultats de votre politique seront étudiés à la loupe. Vous serez tenté de mettre en avant le niveau des saisies de drogues ou les statistiques qui colligent les ILS13 sans cesse en progression. Ces données ne mesurent en fait essentiellement que l´activité de la police et l´engorgement des tribunaux et des prisons. Pour les français, les chiffres intéressants seront ceux qui concerneront les vies sauvées, les contaminations évitées, les soins favorisés. N´oubliez pas que les usagers sont aussi des citoyens qui ont des familles et des proches motivés pour des propositions de soins et de considérations, pas par la criminalisation des leurs.
Source :
http://anar.zone.free.fr/blog.php?n=1124