Les salles d'injection suisses sont vantées par bon nombre d'addictologues français. Leurs détracteurs estiment que cet «exemple» n'est pas transposable dans l'Hexagone.
C'est une salle de 50 m² environ, située tout près de la gare de Genève, qui ressemblerait presque à un appartement témoin Ikea avec son mobilier en bois clair. Sauf qu'ici, on vient uniquement pour se piquer ou pour sniffer. «Nous avons six places pour les injections, quatre pour les inhalations et deux pour le
sniff» , explique Martine Baudin, coresponsable de Quai 9, la «shooting room» de l'Association genevoise de
réduction des risques liés aux drogues, baptisée Première ligne.
Dans la salle, chaque place est composée d'une chaise, d'un lavabo et d'une petite poubelle. L'association ne fournit pas la drogue mais distribue du matériel stérile pour les injections. Elle dénombre environ 140 passages quotidiens, sachant que certains usagers peuvent revenir jusqu'à six fois dans la même journée. Martine Baudin estime que ce sont entre 50 et 70 toxicomanes qui viennent tous les jours. Entre 11 heures et 19 heures, l'accueil est fait par des travailleurs sociaux et des infirmiers (un médecin vient quelques heures par semaine). Ici, tout est anonyme, et confidentiel: les renseignements sur les toxicomanes ne sont pas transmis à la police.
En Suisse, chaque grande ville dispose de ce type de locaux. À Zurich, on en compte même sept. «À l'origine, en 2001, notre objectif était de permettre à tous ceux qui n'arrivent pas à arrêter de limiter les conséquences négatives liées à la consommation de drogues, confie Martine Baudin. Nous voulions que les toxicomanes restent en meilleure santé possible, tant sur le plan physique que psychique.» Quai 9 revendique pleinement un rôle de «relais médical» . L'an dernier, 235 toxicomanes ont ainsi demandé une hospitalisation «pour se mettre au vert» , une cure ou un
sevrage.
Cet «exemple» suisse est vanté par bon nombre d'addictologues français. C'est le cas du Dr Marc Valleur, psychiatre, médecin chef du centre Marmottan (Paris) qui estime en substance que ce type de centres s'inscrit dans le cadre de la
réduction des risques sanitaires, en limitant la propagation du VIH et de l'hépatite C.
«Se faire des injections sous des portes cochères, dans la rue en se cachant pour ne pas être vu augmente les risques. Dans les années 1970, quand les toxicomanes étaient persécutés, ils cachaient leur matériel dans le rectum», rapporte-t-il. Selon lui, plus les pratiques sont clandestines, moins elles sont hygiéniques.
Un point de vue qu'est loin de partager le Dr Xavier Laqueille, psychiatre et chef du service d'addictologie de Sainte-Anne (Paris). Il estime que ce genre de «shooting rooms» se justifie uniquement quand les drogués se regroupent en nombre important dans certains lieux publics comme c'était le cas en Suisse avant l'ouverture de Quai 9. «À Genève, les toxicomanes se retrouvaient tous dans les jardins, c'était calamiteux. Ici, nous ne sommes pas dans ce type de situation. Sans compter qu'en France, la politique de
réduction des risques montre son efficacité», analyse le Dr Laqueille. Il déplore le discours militant de certaines associations qui «voient midi à leur porte et n'ont pas une vision globale des problèmes de toxicomanie». Selon lui, il vaudrait mieux créer des lieux de soins et d'hébergement en addictologie.
«La problématique est toujours la même en France: on aide les drogués à se défoncer tant qu'ils veulent, pourvu qu'ils n'attrapent pas le sida», résume sous couvert de l'anonymat un psychiatre spécialisé en addiction qui a longtemps travaillé à Marmottan. «La thérapeutique des toxicomanes a complètement été inversée avec l'épidémie de sida. On a alors privilégié la “prévention du risque” (sida, hépatites) au détriment des dangers psychosociaux liés à la toxicomanie. Avec ce type de centre, on ne résout pas la question de la dépendance: on l'entretient», déplore encore ce spécialiste.
Source :
http://www.lefigaro.fr/sante/2010/07/21 … iatres.php