La cigarette électronique bouscule la lutte contre le tabagismeLE MONDE | 28.02.2014 à 12h21 • Mis à jour le 28.02.2014 à 12h43 |
Par Paul Benkimoun et Laurence Girard
On connaissait déjà l'engouement des Français pour la
cigarette électronique : avec entre un et deux millions d'utilisateurs quotidiens en France, elle ne cesse de gagner des adeptes chez les 13 millions de fumeurs. Mais on découvre aussi que le vapotage devient un véritable outil de santé publique pour réduire les risques liés au tabagisme. Plus efficace, semble-t-il, que les substituts disponibles jusqu'à maintenant – patchs et gommes à la
nicotine, certes adaptés à la dépendance chimique mais pas au rituel comportemental.
L'impact de l'e-cigarette se fait sentir aussi bien sur les ventes de
tabac – déjà affectées par la hausse des prix et l'interdiction de fumer en public – que sur les consultations de tabacologie, selon l'enquête Etincel présentée le 12 février par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Les premières ont reculé en 2013 de 6,2 % par rapport à 2012 (- 7,6 % pour les
cigarettes qui représentent 80 % du marché).
Quant au nombre moyen de nouveaux patients par mois accueillis par les tabacologues, il est passé de 15,2 patients en 2012 à 13,2 en 2013. Etincel montre bien que l'e-cigarette semble « constituer, du moins pour le moment, plutôt une solution de sortie du tabagisme qu'une “porte d'entrée” ».
« UN MOYEN D'ÊTRE LIBRE DE GÉRER SA CONSOMMATION »
Ce succès bouscule les cigarettiers qui tentent d'attraper le train en marche, mais aussi les médecins, dont le discours était centré sur le « dogme de l'arrêt du
tabac sans pour autant y parvenir. Pour la première fois, avec l'e-cigarette, nous disposons d'un outil qui débouche sur une réduction de l'exposition aux effets nocifs des
cigarettes classiques et donc sur la
réduction des risques », reconnaît le professeur Albert Hirsch, pneumologue et administrateur de la Ligue nationale contre le cancer.
Réalisée en novembre 2013, Etincel offre aussi un aperçu des usagers de la
cigarette électronique : la France « compterait entre 7,7 et 9,2 millions d'expérimentateurs, plutôt jeunes et consommateurs de
tabac ». La moitié des personnes interrogées déclarant « utiliser simultanément le
tabac et la
cigarette électronique » affirment spontanément « que leur objectif principal et ultime est d'arrêter toute consommation de ces deux produits ». Loin derrière viennent « la réduction de la consommation de
tabac mais sans arrêt complet (11,5 %) puis le remplacement du
tabac par la
cigarette électronique (8,2 %), ce qui peut s'apparenter dans les deux cas à une forme de
réduction des risques », note l'OFDT.
Directeur du centre municipal de santé de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) et addictologue, le docteur Mohad Djouab estime que, « pour les usagers, l'e-cigarette est un moyen d'être libre de gérer sa consommation sans passer par une prescription médicale ou un professionnel de santé comme les pharmaciens. C'est la première fois dans une démarche de
réduction des risques ». « Même si des incertitudes scientifiques persistent, il ne fait pas de doute que l'e-cigarette est de très loin moins nocive que le
tabac fumé », affirme Albert Hirsch.
CROISSANCE « FULGURANTE » DU MARCHÉ
Néanmoins, vu la croissance spectaculaire du nombre des utilisateurs de l'e-cigarette, les pouvoirs publics comme les spécialistes de la lutte contre le
tabac estiment indispensable de réglementer son usage. Elle est en effet considérée comme n'étant ni un produit du
tabac ni un médicament. C'est le sens de l'accord européen de décembre 2013, qui doit encore être officiellement entériné sous forme d'une directive le 14 mars.
La Ligue nationale contre le cancer estime que l'e-cigarette doit être vendue dans des établissements sous licence afin de permettre de suivre sa distribution, mais s'oppose à ce qu'elle le soit chez les buralistes, comme le
tabac. « Elle doit être interdite aux mineurs et la publicité en sa faveur doit être alignée sur celle pour les substituts nicotiniques », argumente Albert Hirsch, soucieux de ne pas encourager les jeunes non-fumeurs à l'adopter.
Car la croissance du marché de la
cigarette électronique, que les vendeurs qualifient de « fulgurante », éveille les appétits. D'abord marginal, le phénomène s'est véritablement envolé, selon l'OFDT, au printemps 2013, avec une forte médiatisation. Plus des deux tiers des vapoteurs actuels déclarent avoir franchi le pas depuis cette date. C'est aussi à ce moment que se sont développés des réseaux d'enseignes comme Clopinette, Cigaverte, Absolut Vapor ou Cigaretteelec, qui gèrent au total près de 1 000 boutiques réparties dans la plupart des villes françaises. Près de 58 % des utilisateurs disent avoir acheté leur
cigarette électronique, puis leurs recharges dans ces magasins.
UN MARCHÉ ESTIMÉ À 100 À 200 MILLIONS D'EUROS EN FRANCE
Ce qui fait dire à certains analystes qu'il s'agit là du « modèle Nespresso », la marque de café en capsules. Les bureaux de
tabac sont la deuxième source d'approvisionnement. Internet ne se classant qu'en troisième position. « En n'étant pas vendue en pharmacie, l'e-cigarette permet à ses adeptes de ne pas se considérer comme des malades. Ne pas se la procurer dans un bureau de
tabac évite de se sentir dans la peau d'un fumeur », décrypte Christophe Leroux, directeur de la communication à la Ligue nationale contre le cancer.
Avec un prix minimum de l'e-cigarette de 50 euros et de 6 euros pour la recharge, le marché est estimé entre 100 et 200 millions d'euros en 2013, contre 40 millions d'euros en 2012. Le chiffre peut paraître encore insignifiant comparé au marché du
tabac en France, qui pèse 17,8 milliards d'euros en 2013.
Mais son fort développement couplé à une baisse tendancielle de la consommation des
cigarettes traditionnelles n'a pas échappé à l'industrie du
tabac. Les grands noms du secteur se sont lancés dans une véritable course pour prendre position sur le marché stratégique des alternatives aux
cigarettes traditionnelles. Le cabinet Euromonitor estime qu'il pourrait dépasser les 5 milliards de dollars dans le monde en 2014. Les cigarettiers veulent ainsi peser dans les discussions sur le statut et l'encadrement de ces nouveaux produits.