Légalisation du cannabis : le débat relancé au MarocLe Point.fr - Publié le 10/08/2014 à 11:04 - Modifié le 10/08/2014 à 11:17
Après les associations en 2008, des parlementaires de l'Istiqlal et du Parti de l'authenticité et de la modernité reviennent à la charge.
Des projets de loi ont été déposés par les deux formations politiques pour demander la
légalisation de la culture à des fins thérapeutiques et industrielles et solliciter l'amnistie pour les 48 000 cultivateurs qui vivent en semi-clandestinité dans le nord du pays. L'Istiqlal propose que la culture du
cannabis soit limitée à cinq régions, Al Hoceima, Chefchaouen, Ouazzane, Tétouan et Taounate, tandis qu'une agence étatique devrait se charger de contrôler l'exploitation et la commercialisation. Au Maroc, la culture du
cannabis est officiellement prohibée. Dans les faits, en vertu d'un dahir de 1917 (décret royal), elle est tolérée dans la région de Ketama-Issaguen, fief historique berbère situé dans les montagnes du Rif. Dans cette région rebelle qui n'a cessé de s'opposer au pouvoir, le
cannabis est cultivé depuis le 15e siècle. À l'indépendance du Maroc en 1956, le roi Mohammed V, grand-père du souverain actuel, a tenté de l'interdire, mais a fait marche arrière devant la colère des Rifains. Aujourd'hui, le
cannabis demeure la source principale de revenus pour les paysans. Une situation ubuesque où la culture n'est ni totalement interdite ni totalement légale.
Quatre-vingt-dix mille familles concernées
"Nous devons sortir les petits cultivateurs du trafic et des chiffres de la drogue et nous attaquer à ceux qui maîtrisent le trafic", explique Chakib Al Khayari, figure de proue du combat associatif pour la
légalisation du
cannabis et président de l'Association Rif des droits humains (ARDH). Il faut en effet dire que le
cannabis marocain qui inonde la quasi-totalité des marchés européens rapporte principalement aux barons locaux, tandis que les petits cultivateurs végètent. Au total, près de 90 000 familles s'adonnent à la culture du
cannabis.
Selon le dernier rapport de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), paru fin juin, le Maroc continue d'être le principal producteur mondial de
cannabis, avec plus de 38 000 tonnes en 2012, loin devant le
Mexique (12 166 tonnes) et l'Afghanistan (1 400 tonnes). Dans le royaume chérifien, les surfaces totales cultivées sont estimées à 52 000 hectares, contre 130 000 il y a dix ans environ. Des chiffres à prendre avec des pincettes, car depuis 2005, les experts de l'ONUDC ne sont pas autorisés à venir sur place pour enquêter. De fait, ces données sont celles transmises par les autorités marocaines.
Un débat vif entre les partis
"C'est une bonne chose que les parlementaires s'emparent du débat sur la
légalisation du
cannabis, mais les projets de loi ont été déposés dans la précipitation. Il y a de nombreux points qui ne sont pas abordés. Le sujet mérite un débat national sur plusieurs années, avec la participation des associations et des cultivateurs, mais aussi celle d'experts, de médecins, d'économistes, de juristes", relève Chakib Al Khayari, qui craint qu'une telle précipitation ne torpille le projet. Selon la presse marocaine, l'empressement de l'Istiqlal et du Parti de l'authenticité et de la modernité (PAM) s'expliquerait par des visées électoralistes, en vue des prochaines communales de 2015. Le Rif est un réservoir de voix non négligeable, d'environ un million d'électeurs. "Une surenchère électorale inacceptable", a ainsi déclaré Abdellah Bouanou, député du Parti de la justice et du développement, parti islamiste au pouvoir, dans une sortie fin juin à la Chambre des représentants. Pour autant, le PJD n'est pas opposé à travailler sur la question de la
légalisation du
cannabis, tout comme un autre parti, l'Union constitutionnelle. "Sur le fond, le Parti de la Justice et du Développement (PJD) n'est pas contre. Notre collectif avait envoyé un texte à tous les groupes parlementaires dès 2012 et le PJD avait répondu favorablement à l'idée d'engager des discussions. Légaliser le
cannabis n'est pas une fin en soi, c'est un moyen. Le but ultime c'est de développer la région du Rif et de lutter contre le trafic illicite", rappelle Chakib Al Khayari. C'est que la lutte contre le trafic de
cannabis au Maroc reste un sujet délicat. Le militant en sait quelque chose. Il a déjà passé deux ans et demi en prison pour avoir dénoncé le trafic de drogue à Nador.
Source :
http://www.lepoint.fr/afrique/actualite … 5_2031.php