Uruguay : l'anti-tabac Vazquez face au défi du cannabis légalLa loi, unique au monde, est l'oeuvre du président sortant José Mujica, issu de la même coalition de gauche, Frente Amplio, que Vazquez. Mujica lui avait succédé en 2010, l'Uruguay interdisant d'avoir deux mandats consécutifs.
En tant que président, le cancérologue, aujourd'hui âgé de 74 ans, s'était illustré en faisant du pays en 2006 le premier d'Amérique latine à bannir la
cigarette des lieux publics.
Un combat qui avait une résonnance personnelle pour Tabaré Vazquez, marqué par la mort, entre 1962 et 1968, de sa soeur, sa mère et son père d'un cancer.
Mais la mesure sanitaire, accompagnée de normes très strictes avec jusqu'à 80% du paquet de
cigarettes recouvert de messages d'avertissement, a valu au petit pays de 3,3 millions d'habitants un procès du fabricant Philip Morris.
Ce dernier réclame à l'Uruguay, devant la justice internationale, 25 millions de dollars de dédommagement, un litige dans lequel Montevideo a reçu le soutien de l'Organisation mondiale de la santé (OMG) et de plusieurs ONG, qui considèrent l'affaire comme emblématique de la lutte mondiale contre le
tabac.
Il semble aujourd'hui paradoxal que le même président qui avait combattu la fumée de
cigarettes doive désormais autoriser d'autres volutes, celles de la
marijuana. Les autorités rétorquent que, dans le cas de cette drogue douce, il ne s'agit pas d'une libéralisation mais d'un marché limité et contrôlé par l'Etat.
Toutefois "cela peut être un des sujets les plus compliqués" à gérer par Tabaré Vazquez, qui prendra ses fonctions le 1er mars, explique à l'AFP Rafael Pià±eiro, professeur de sciences politiques à l'Université catholique d'Uruguay.
Selon lui, "Tabaré Vazquez n'aurait jamais lancé un projet avec les caractéristiques telles que celui lancé par Mujica".
- une loi complexe et ambitieuse -
La loi, votée en décembre 2013, est en effet complexe et ambitieuse : elle instaure trois modes d'accès au
cannabis, via l'autoculture, l'adhésion à un club ou l'achat en pharmacie, l'usager ne pouvant choisir qu'un seul de ces modes, qui tous requièrent l'inscription à un registre national.
C'est notamment ce registre qui freine la mise en application, encore balbutiante, les usagers potentiels craignant d'être "fichés", avec un risque ensuite si le gouvernement ou la loi change.
Tabaré Vazquez avait d'ailleurs créé la confusion il y a quelques mois en déclarant que, grâce à cette liste, normalement anonyme, l'Etat "va mieux savoir qui consomme des drogues" et aura "la possibilité de réhabiliter" les "toxicomanes".
Il n'a de toute façon jamais caché ses propres réticences, déconseillant fortement la consommation du
cannabis et jugeant "incroyable" sa possible vente en pharmacie, même si la loi prévoit une limite de 40 grammes par mois et par personne.
Mais il ne devrait pas faire marche arrière, se contentant selon ses mots des "corrections qui seront nécessaires".
"Vazquez est quelqu'un qui ne va pas revenir sur les engagements pris par l'administration antérieure", estime Rafael Pià±eiro.
"Il peut introduire des réformes marginales dans la régulation mais je ne crois pas qu'il y aura des modifications très significatives de la politique, sauf s'il fait face à de gros problèmes pour l'application", ajoute-t-il.
Ignacio Zuasnabar, de l'institut de sondages Equipos Mori, souligne lui aussi le travail difficile qui attend Vazquez, "tout d'abord en raison du niveau de rejet populaire de la loi, qui reste inchangé : deux tiers des Uruguayens sont contre".
"Et en second lieu, en raison des complexités de l'implantation" de la loi, dit-il, rappelant que, quels que soient les doutes du président élu, la régulation du
cannabis "est inscrite dans le programme du Frente Amplio".
Le gouvernement sortant espère lui que le
cannabis commencera à être vendu en pharmacie avant le 1er mars, date de la passation de pouvoirs, a indiqué une source gouvernementale à l'AFP, soulignant que, malgré les critiques de Vazquez, "la loi est là et ce ne sera pas facile de l'abroger".
Source :
Express.fr