Le trafic de drogue à Marseille, côté social
Par Elvire Camus,
le 9 décembre 2014 à 13h50
Livre du jour. Philippe Pujol emmène ses lecteurs sur le chemin de la drogue qui pénètre à Marseille via le Maroc.
« French Déconnection : au cœur des trafics » de Philippe Pujol, Robert Laffont, 168 pages, 15 €
Du cockpit du biturbine des douanes de Marseille aux conteneurs débarqués sur les quais du Port-Saint-Louis-du-Rhône (Bouches-du-Rhône), en passant par les caves des quartiers nord et les appartements de ces mêmes cités, Philippe Pujol emmène ses lecteurs sur le chemin de la drogue qui pénètre à Marseille via le Maroc.
Au cours d’une enquête de dix ans, auréolée du prix Albert Londres 2014, du prix Varenne 2012 et dont une version complétée est publiée dans le livre French deconnection : au cœur des trafics, l’ancien journaliste de La Marseillaise,aujourd’hui au chômage en raison des difficultés économiques du quotidien, remonte la filière de la drogue. Mais il expose, surtout, les conséquences des trafics pour ceux qui en sont partie prenante ou victimes, de près ou de loin : les dealers et les habitants des quartiers.
Refusant que les règlements de comptes, qui font depuis 2010 les gros titres de la presse nationale, se limitent aux mots-clés « capitale du crime » et « kalachnikov », Philippe Pujol offre ici une « vision totale » de la situation.
Il explique ainsi que le trafic est « un business comme un autre ». Grâce à lui, certains gagnent et beaucoup perdent. Ensuite, il faut comprendre qu’il est « bien plus difficile de sortir que d’entrer dans les cités », malgré les idées reçues. Prenez ces jeunes qui s’entre-tuent au pied des tours. On croit en connaître les grands traits : des petits caïds, qui ont tourné le dos au système, traînent dehors toute la journée, fument beaucoup de
cannabis et se font de l’argent facile. La réalité est bien différente.
Percutant et concis
Ces gamins, « qui ont accès à la société de consommation mais pas à l’emploi », se mettent à travailler pour les réseaux faute de mieux (plus de 40 % des jeunes sont au chômage dans les cités les plus pauvres de Marseille), investissent la moitié de leur salaire (entre 50 et 65 euros par jour selon le réseau) dans le
cannabis – « retour à l’employeur » –, sont endettés, mais pas auprès des banques, et évoluent dans un milieu ultra-concurrentiel. Une « main-d’œuvre importante et docile », résume Philippe Pujol.
Mais s’il insiste sur les retombées sociales du trafic, l’auteur ne néglige pas pour autant les causes qui permettent l’asservissement des cités, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Philippe Pujol déplore notamment l’absence de débat autour de la prohibition des drogues et l’échec de la lutte contre les réseaux ; mais aussi le clientélisme politique et la médiocrité des réformes urbaines, insuffisantes pour faire barrage à l’isolement géographique et économique des quartiers nord.
Attaché à « raconter la vie » telle qu’elle est, avec le terrain comme devise, Philippe Pujol livre un récit détaillé et plein d’humour au style percutant et concis, proche de l’expression orale. Un livre que l’on dévore comme un polar et dont on apprend autant que d’un travail de sociologue.
« French Déconnection : au cœur des trafics » de Philippe Pujol, Robert Laffont, 168 pages, 15 €.
Le 9 décembre 2014 à 13h50
Elvire Camus