Je croyais jusque là qu'on risquait de mourir d'un
sevrage d'
alcool ou de benzo mais pas d'
héroïne.
Déjà pour des
sevrages d'
alcool j'ai été surpris d'apprendre que des décès ne sont pas si rares durant la cure de désintoxication dans des instituts spécialisés et médicalisés. Or j'avoue je saisis mal les raisons puisque le décès par manque peut à priori être évité en utilisant les doses dégressives.
Est-ce qu'un dogme fait qu'il est impensable de continuer à administrer en doses dégressives un produit qui cause l'addiction - quitte à préférer voir mourir le patient - règne en maître? Il semble que oui, plus particulièrement dans certains pays à l'idéologie plus radicale dans la lutte contre le mal (qu'il n'est pas besoin de citer).
J'ai ensuite appris que cela se produit aussi avec les
opiacés. Je pensais le phénomène rare mais apparemment pas tant que ça, si le patient n'est pas en bonne santé, il meurt parfois du manque même dans un institut médicalisé voire dans un service hospitalier. Là encore je me pose la question, parce qu'on utilise des substituts à priori qui devraient éviter un manque trop brutal. Est-ce qu'on considère même dans un hôpital que ces dépendances sont si maléfiques qu'il vaut mieux mourir que de substituer correctement au début? Sans doute qu'il est difficile de doser correctement un substitut, si des médecins peuvent expliquer ce qu'il en est, je serais reconnaissant. L'explication la moins accablante pour les médecins serait qu'ils ne croient pas ces mythomanes de junkies et qu'ils préfèrent donner des doses trop faibles. Ca reste quand même accablant!
Ce qui est frappant là -dedans c'est qu'on a une personne dépendante et en souffrance à laquelle on assène qu'elle doit faire une cure et arrêter sa drogue. Dans tous les cas dont j'ai eu vent (lectures reportages) on ne lui dit pas que le
sevrage peut être mortel, on lui laisse penser qu'elle sera entre de bonnes mains - la médecine peut tout. Elle accepte et elle meurt de
sevrage. Y'a pas quelque chose qui cloche? Bien entendu qu'il faut parfois essayer de sevrer mais faire miroiter une aide providentielle pour retrouver une vie heureuse et laisser la personne mourir, pour moi, c'est assez révoltant. Et assez expressif d'un mode de pensée bien trop manichéen où on se focalise tellement sur l'idée "la drogue c'est le mal absolu" que l'attitude globale devient absurde. Avec comme l'idée sous-jacente qu'il faut en convaincre le patient lui-même, comme si la seule solution pour l'aider était de le faire se sentir le plus minable possible. Et comme si la moindre ouverture d'esprit sur une vision plus "grise" (au lieu du tout noir ou tout blanc) était un danger pour le dogme. Dans un tel contexte, je vois mal comment un addict peut se sentir bien, mais apparemment ce n'est pas le problème - il faut au contraire qu'il se sente mal et c'est cela précisément qui est la grande vertu supposée le guérir. Divers témoignages en hôpital/urgence etc. qu'on peut lire sur PA semblent confirmer que le milieu médical n'arrive pas à sortir du point de vue radicalement manichéen comme si ne serais-ce qu'envisager quelque chose de plus relatif, avec d'autres couleurs que le blanc ou le noir, était une menace dangereuse.
Ce qui frappe c'est que ce dogme semble suffisamment bien implanté pour que les familles (dans les cas que j'ai pu connaître en tout cas) ne le remettent pas en cause. Je ne nie pas que si une personne meurt d'un
sevrage à l'
héroïne, il peut être responsable d'une partie de la dégradation de sa santé (encore que : est-on responsable quand pour se sentir normal on a besoin d'un produit illégal? mais ce n'est pas le sujet) mais les familles semblent considérer ça comme très acceptable, puisque le mal absolu c'est la drogue elle-même et que le bien absolu c'est l'abstinence, le
sevrage ne
peut pas être responsable. L'addiction est toujours accusée (peut-être en partie avec raison?) mais
jamais le
sevrage (même pas en tort partagé) et encore moins les médecins qui l'ont prescrit et on laissé le malade mourir par manque d'une substance qu'ils auraient pu lui administrer en abondance. Moi j'aurais les boules si des médecins disaient qu'ils vont aider mon fils junkie et le faisaient mourir en prétendant l'aider. Mais pas ces familles. Chose que j'ai du mal à comprendre. Ou pas tant de mal que ça... dans le sens où les familles ont elle-mêmes été complices du crime puisqu'elles ont elle-mêmes milité auprès de l'addict pour le faire entrer en cure. Il est donc plus facile d'accuser la drogue.
Désormais la mentalité change peu à peu, des reportages américains commencent à s'interroger sur la prescription d'
héroïne (en Suisse, Danemark, Canada...) mais on voit bien qu'ils y restent hostiles. Leur argument est toujours le même : il ne faut pas donner à une personne qui a des problèmes la substance même qui a
causé les problèmes. Tous, des journalistes aux médecins l'affirment : "ce n'est pas logique". Et alors même qu'ils admettent que c'est une réussite partout où cela a été mis en place, que cela constitue une économie pour l'état et un soulagement pour les patients et une diminution de la criminalité dans la rue, que cela leur offre aux addicts une chance de se réinsérer et même à la fin de sortir de l'addiction dans certains cas, bref qu'il n'y a réellement que des avantages pour absolument tout le monde, leur slogan reste le même : "ce n'est pas logique". Les plus ouverts d'esprits vont interroger les bénéficiaires du traitement et leur demandent
comment cela se fait que cela marche alors que "ce n'est pas logique"?. Et le pauvre héroïnomane bénéficiant du traitement de répondre "ben je ne sais pas, c'est vrai que c'est pas logique, mais bon ça marche".
Mais de quelle "logique" parle-t-on? La conception manichéenne que l'
héroïne est l'incarnation du mal absolu est si admise, que même l'héroïnomane -pourtant victime quotidienne de cette vision- l'admet sans sourciller! N'est-ce pas incroyable? Mais la
base même de la connaissance scientifique c'est que si une logique ne coïncide pas avec les faits, cela ne veut pas dire que les faits sont miraculeux et inexplicables. La
base même de la méthode scientifique c'est que si une "logique", une "théorie" aussi "évidente" soit-elle ne colle pas avec les faits, cela signifie ni plus ni moins
que la théorie est mauvaise - et non pas la faits!
Toute la théorie étant basée sur un seul axiome, l'évidence admise par tous que l'
héroïne EST le mal... si on peut vaincre le mal ou du moins le réduire en prescrivant l'
héroïne, nul doute que tout simplement cet axiome est juste
tout à fait faux. Et là cela fait sens tout d'un coup : le mal viendrait d'ailleurs. L'
héroïne serait juste une réponse -peut-être inadaptée ce n'est pas la question- mais le vrai mal pourrait être traité : marginalisation, criminalisation, culpabilisation, ruine financière, isolement... Et même en donnant du répit avec la prescription, peut-être que le mal d'origine qui a poussé l'héroïnomane à entrer dans la dépendance pourra lui aussi être guéri et l'addiction vaincue. Vaincu non pas parce qu'elle est le mal absolu (qui ne peut probablement pas être vaincu à part dans les fantasmes fiévreux des mégalomanes qu'ils soient médecins, juges ou policiers) mais parce que cette réponse particulièrement extrême qu'est l'
héroïne par rapport à un mal préexistant, n'est juste
plus nécessaire... Non pas du point de vue des médecins ou des juges qui affirment qu'elle n'est pas nécessaire et condamnent, mais du point de vue du patient lui-même qui n'en ressent plus le besoin.
Le problème est que la méthode scientifique a été abandonnée. Même par les scientifiques eux-mêmes. On préfère les croyances religieuses. A défaut de diable auquel on ne croit plus (peut-être est-ce sa ruse d'ailleurs), l'
héroïne fera l'affaire!
Dernière modification par Syam (12 juin 2015 à 10:14)