Alcool : assouplissement des règles régissant la publicité
L'article 62 ter, né d'un amendement sénatorial modifié par le gouvernement le 10 juin 2015, a été maintenu dans le texte définitif de la loi Macron, malgré les protestations du monde associatif, sanitaire et même de la Ministre de la santé (cf. infra).
Cet article, renommé article 225 dans le texte définitif, prévoit de "ne pas considérer comme publicité ou propagande les contenus, images, représentations, descriptions, commentaires ou références relatifs à une région de production, à une toponymie, à une référence ou à une indication géographique, à un terroir, à un itinéraire, à une zone de production, au savoir-faire, à l'histoire ou au patrimoine culturel, gastronomique ou paysager liés à une boisson alcoolique disposant d'une identification de la qualité ou de l'origine ou protégée au titre de l'article L. 665-6 du code rural et de la pêche maritime".
Concrètement, les reportages sur tel vin, telle bière ou telle liqueur ne pourront plus être interdits au prétexte de montrer sous un jour favorable une boisson alcoolisée via sa région ou méthode de production.
Cela ouvre la voie à une possible multiplication des reportages écrits, audio ou filmés (presse, web, radio, télévision, cinéma, etc.), sur le savoir-faire français en matière viticole ou en brassage de bières, et donc à une accentuation de la visibilité des produits alcoolisés rattachés à une région, un terroir.
Un assouplissement de la publicité pour l'
alcool pourtant vivement contesté par les associations, sociétés savantes, l'INCa et.. la ministre de la santé
Comme l'a rappelé en juin 2015 l'Institut national du cancer (INCa), plusieurs études ont démontré un lien significatif entre l'exposition à la publicité et le début ou l'augmentation de la consommation d'
alcool chez les jeunes. Un tel assouplissement des règles de la publicité, sans limitation de support ou de cible, pourrait donc mécaniquement augmenter la consommation, en particulier des jeunes. Plusieurs associations, mutuelles et sociétés savantes d'addictologie avaient aussi mis en garde le gouvernement, affirmant "que la publicité augmentant, les consommations suivront et les dommages sanitaires également".
Plus étonnant, la contestation d'un assouplissement de la loi Evin est également venue des rangs gouvernementaux : la Conférence nationale de santé, qui dépend du ministère du même nom, a souligné, dans un communiqué publié le 6 juillet, que "les populations les plus fragiles ou les plus vulnérables seront les premières victimes de cet assouplissement de la réglementation de la publicité sur l'
alcool". L'amendement déposé en juin avait également suscité la "colère" de Marisol Touraine, qui a affirmé en commission à l'Assemblée nationale que "la loi Macron ne pouvait pas servir à détricoter les politiques de santé publique".
Mais ces protestations ou réserves n'ont donc pas été suffisantes, l'amendement a été maintenu dans le texte de loi entériné le 9 juillet à l'Assemblée.
Les viticulteurs se réjouissent, à l'inverse des associations et addictologues qui demandent au gouvernement un "Plan national de réduction des dommages sanitaires et sociaux dus à la consommation d'
alcool"
La prise en charge des ravages liés à la consommation excessive d'
alcool, aiguà« ou chronique, représente un véritable défi de santé publique : la France reste un des plus gros consommateurs d'
alcool d'Europe, avec une consommation moyenne estimée à 2,5 verres de 10 g d'
alcool par jour et par habitant (7,5 millions de consommateurs quotidiens). L'alcoolisme serait responsable de 49 000 décès par an (Guérin S et coll., 2013) et coûterait environ 17,6 milliards d'euros par an à la société (Fenoglio P et coll., 2003). Selon une étude récente de François Paille (CHU de Nancy) et de Michel Reynaud (Hôpital Paul Brousse, Villejuif) présentée début juillet par l'InVS, l'alcoolisme a provoqué 580 000 hospitalisations en 2012, pour un coût estimé à 2,64 milliards d'euros.
Devant de tels dégâts sanitaires, économiques mais aussi sociaux, fallait-il donc autoriser cette accentuation de la visibilité de l'
alcool en France, 25 ans après le vote de la loi Evin qui avait encadré sa publicité et 6 ans après l'autorisation de la publicité pour l'
alcool sur internet, disposition de la loi HPST (dite "loi Bachelot") qui avait déjà suscité une levée de boucliers des addictologues et associations ?
Oui, selon l'association Vin et Société (représentant les 500 000 acteurs de la vigne et du vin), qui précise dans un communiqué que "cette situation devrait donner un cadre légal clair pour les journalistes et les acteurs de l'oenotourisme concernés par les conditions d'application de la Loi Evin. C'est un signal positif adressé à toutes les régions viticoles, véritables poumons économiques pour notre pays".
Non, selon les associations et sociétés savantes travaillant sur le champ de la prévention des risques et de la réduction des dommages sanitaires et sociaux liés à l'
alcool et aux conduites addictives. Ces associations et sociétés savantes ont donc écrit, le 10 juillet 2015, à François Hollande, Manuel Valls et Marisol Touraine pour dénoncer l'entérinement définitif de cet assouplissement et pour leur demander "une véritable mobilisation et l'élaboration d'un Plan national de réduction des dommages sanitaires et sociaux dus à la consommation d'
alcool, deuxième cause de mortalité prématurée et évitable dans notre pays".
Cette demande d'un grand Plan d'action contre les conséquences sanitaires et sociales de l'alcoolisation non maîtrisée sera-t-elle entendue par les pouvoirs publics ?
Article extrais Vidal 17 07 2015