L’ecstasy de retour dans le milieu festifLE MONDE | 21.07.2015 à 06h46 • Mis à jour le 21.07.2015 à 11h49 | Par François Béguin
Plus beaux, plus gros, plus dosés… Après avoir été jugés ringards et relégués au rang de « drogue des débutants », les comprimés d’ecstasy sont de nouveau en vogue dans le milieu festif. Amorcé en 2013-2014, ce retour en grâce s’inscrit dans la continuité de l’engouement déjà rencontré depuis trois ou quatre ans par la poudre ou les cristaux de
MDMA, le principe actif de l’ecstasy. « Chez un certain public habitué à sortir et qui consomme déjà
alcool,
tabac et
cannabis, cela fait quasiment partie du kit de
base pour une soirée », explique le responsable d’une association parisienne de prévention des risques.
Entre 2010 et 2014, la proportion de consommateurs d’ecstasy et de
MDMA est passée de 0,3 % à 0,9 % de la population des 18-64 ans, soit son « niveau maximal depuis une décennie », a relevé en mars le Baromètre santé de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé et de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Selon cette enquête, environ 400 000 personnes ont ingéré de l’ecstasy ou de la
MDMA au cours des douze derniers mois, soit quasiment autant que de consommateurs de
poppers ou de
cocaïne.
L’année dernière, 3,8 % des jeunes de 17 ans disaient avoir déjà expérimenté la
MDMA ou l’ecstasy, relevait en mai l’enquête Escapad de l’OFDT, soit deux fois plus qu’en 2011. « L’ecstasy est la drogue dont on parle le plus depuis quelques mois sur notre forum de discussion », annonce Pierre Chappard, le président de PsychoActif, une association d’usagers de stupéfiants.
Les chiffres des saisies confirment eux aussi ce renouveau. Au cours des six premiers mois de l’année, 1,1 million de comprimés ont déjà été saisis par les services répressifs, contre 940 000 sur l’ensemble de l’année dernière, et 414 800 en 2013, soit une hausse de 126 %, annonce la direction centrale de la police judiciaire, qui évoque une « nette recrudescence » de la consommation et du trafic de ce produit stupéfiant. Aux douanes, où la
MDMA sous forme de poudre continue de représenter la majorité des saisies, on souligne que le volume total des saisies de ce produit atteint « des seuils comparables à ceux de la fin des années 1990 ».
« Produit de lancement de la soirée »Si le nom même de l’ecstasy sonne de façon si familière aux oreilles du grand public, c’est parce que cette drogue a déjà connu son heure de gloire dans les milieux alternatifs et électro il y a une vingtaine d’années, lors de l’émergence de la scène musicale techno. Cette
méthamphétamine avait alors connu un certain succès car ses effets sont ceux recherchés pour faire la fête.
« Un quart d’heure à une 1 h 30 après avoir gobé s’installe un sentiment d’euphorie, de bien-être, d’amour universel, une profonde envie de partager. Communiquer te semble plus facile », peut-on lire dans une brochure d’information actuellement diffusée par Techno +, une association qui mène des actions de santé dans les événements festifs. Au total, du début de la montée à la fin de la
descente, les effets durent entre six et huit heures. « C’est souvent utilisé comme un produit de lancement de la soirée », constate Guillaume Pavic, le correspondant de l’OFDT à Rennes.
Au début des années 2000, « à force d’arnaques sur le contenu des comprimés et en raison de dosages de plus en plus faibles, les usagers se sont détournés des comprimés et se sont tournés vers la forme cristal », raconte Agnès Cadet-Taïrou, épidémiologiste à l’OFDT. Après une importante pénurie en 2009, la
MDMA sous forme de poudre et cristal a fait son retour « de façon spectaculaire » dès 2010-2011. Surnommée «
MD », elle est principalement gobée emballée dans une petite feuille de papier
cigarette (on parle alors de «
parachute ») mais certains l’utilisent aussi sous forme de gélules.
Stratégie marketingLe succès des comprimés d’ecstasy – surnommés «
taz » – est un phénomène beaucoup plus récent, qui s’explique en partie par la stratégie marketing des vendeurs. Des comprimés – dits « 3D » – en forme de pieuvre, de domino, de cœur, de tête de mort ou de grenade sont apparus sur le marché. Y sont gravés les logos de marques « générationnelles » prisées des jeunes, comme Wifi,
Bitcoin, Facebook ou Heineken.
« Les vendeurs ont su rendre attrayant un produit qui avait souffert de ringardisation », explique Fabrice, auteur de la « Météo des Prods », une campagne d’information sanitaire pour consommateurs de drogues diffusée par les associations Techno + et Auto-support des usagers de drogues (ASUD). « Certains usagers sont fiers de leurs cachets, comme les Chupa Chups roses ou vert pétard », témoigne Aurélie Lazes-Charmetant, la correspondante de l’OFDT en Aquitaine.
A cette stratégie commerciale s’ajoutent la disponibilité, la facilité d’usage et le faible prix. Pour se procurer un
taz en soirée, il faut compter 10 euros en moyenne. « Pour des gens qui ont parfois payé 30 euros leur place d’entrée à une soirée, ce n’est pas si cher que ça », relève Nicolas Matenot, psychologue et coordinateur du projet Plus belle la nuit, un dispositif interassociatif de promotion de la santé festive à Marseille.
Troubles cardiaquesEn décembre 2014, dans le cadre de son dispositif d’observation des tendances récentes et nouvelles drogues (TREND), l’OFDT a noté le retour « à des niveaux de pureté particulièrement élevés jusqu’ici rarement atteints et des poids plus élevés » des comprimés d’ecstasy. Une alerte qui survient alors que les usagers n’ont pas toujours conscience des risques liés à ces comprimés.
« Il y a une désinvolture importante chez les plus jeunes qui ne considèrent pas forcément cela comme une drogue », estime Agnès Cadet-Taïrou à l’OFDT. « Ils lui font davantage confiance parce qu’il a des formes rassurantes et qu’il n’a l’air d’avoir été transformé dans un labo clandestin », ajoute François Beck, le directeur de l’OFDT.
A Bordeaux, Aurélie Lazes-Charmetant cite l’exemple d’une jeune fille de 16 ans qui avait gobé « deux comprimés d’affilée » pour son premier usage. « Comme les effets n’arrivent pas immédiatement, certains vont reconsommer », raconte-t-elle. Parmi les risques : la déshydratation liée à l’augmentation de la température du corps ou les troubles du rythme cardiaque.
Sans faire la distinction entre sa forme poudre ou comprimé, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) estime qu’entre 2005 et 2013, la
MDMA a été « impliquée dans 25 cas de décès » de personnes âgées entre 25 et 36 ans. « Au vu de la plus grande disponibilité du produit et des plus fortes doses ingérées », l’ANSM envisage aujourd’hui de communiquer sur les risques de ce produit.
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http://www.lemonde.fr/societe/article/2 … 5SjlLsr.99