La répression de la consommation de
cannabis sort des tribunaux
LE MONDE | 16.10.2015 à 07h02 • Mis à jour le 16.10.2015 à 08h09 | Par Laurent Borredon et Jean-Baptiste Jacquin
Rarement réforme judiciaire n’aura été aussi peu assumée. La mise en œuvre de la transaction pénale, voulue par la loi d’août 2014, a fait l’objet de la publication discrète, jeudi 15 octobre, d’un décret d’application au Journal officiel. Ce dispositif permet aux officiers de police judiciaire de proposer pour les petits délits une amende, qui serait immédiatement payée, plutôt que de déclencher la lourde machine judiciaire.
Mais le terrain est miné politiquement. Car ces mesures apparemment techniques destinées à désengorger les tribunaux pourront s’appliquer par exemple à la consommation de
cannabis, ou à la conduite sans permis ou sans assurance. Laisser entendre que les tribunaux n’auraient plus à juger ces délits à forte charge symbolique dans l’opinion publique, et c’est un procès en
dépénalisation qui menace le gouvernement de Manuel Valls, lui-même signataire du décret avec quatre de ses ministres.
En réalité, il ne s’agit aucunement de
dépénalisation puisque ces amendes proposées par la police en dehors des tribunaux devront avoir été autorisées « au préalable au cas par cas par le procureur » précise-t-on à la chancellerie, puis homologuées a posteriori par le président du tribunal. Surtout, pas une virgule n’est déplacée dans les articles du code pénal fixant le quantum des peines encourues pour ces délits.
Cette transaction pénale, inspirée de la pratique des douaniers, va, dès vendredi 16, pouvoir s’appliquer à tous les délits punis au maximum d’un an d’emprisonnement. Cela va du vol simple, pour des larcins dont la valeur ne dépasse pas 300 euros, aux atteintes involontaires à l’intégrité physique entraînant une incapacité de travail de moins de trois mois, en passant par l’occupation en bande d’un hall d’immeuble ou, donc, la consommation de stupéfiants et la conduite sans permis.
Alléger l’enfer procédural
Dominique Raimbourg, député PS de la Loire-Atlantique, à l’origine de l’amendement parlementaire élargissant le champ de la transaction pénale à l’occasion de la loi de 2014, rappelle l’objectif de la mesure : « Il s’agit de pouvoir sanctionner certaines infractions de faible gravité auxquelles la réponse pénale traditionnelle semble peu ou mal adaptée. »
Les magistrats se réjouissent d’une telle mesure, qui devrait alléger l’enfer procédural de ces petits délits jugés souvent tardivement par les tribunaux ou dans le cadre de procédures alternatives comme la composition pénale. De surcroît, la justice à du mal à faire respecter ces petites sanctions. « Le niveau de recouvrement des amendes est autour de 50 % des montants », précise M. Raimbourg. « Avec la possibilité de consigner le montant de l’amende dès que la personne mise en cause a accepté la transaction pénale, ce sera plus rapide et plus efficace », observe Véronique Léger, secrétaire nationale de l’Union syndicale des magistrats (majoritaire).
Le nouveau dispositif pourrait ainsi servir à renforcer la répression de l’usage de stupéfiants. Un recours systématique à l’amende pourra être décidé dans le cas de personnes prises pour des premiers faits, que la police ne se donnait plus la peine de poursuivre. « Cela pourra avoir une vertu pédagogique et donner un coup d’arrêt à une personne qui n’est pas encore ancrée dans la délinquance », estime-t-on au ministère de la justice. Nicolas Sarkozy avait, en son temps, plaidé pour troquer la procédure pénale contre de simples contraventions afin de réprimer plus systématiquement la consommation de drogue.
Mais pour l’heure, assure-t-on dans l’entourage de la garde des sceaux Christiane Taubira, il n’est pas question de publier une circulaire qui donnerait des consignes générales dans un sens ou un autre. « L’initiative revient aux policiers, attendons de voir comment ils s’emparent de cette possibilité, et comment chaque parquet adaptera sa pratique », botte prudemment en touche un responsable du dossier Place Vendôme.
Or, tout le sens de cette réforme, au-delà du désengorgement judiciaire, dépendra de l’éventuel déplacement des curseurs sur l’échelle de la répression permis par l’élargissement de la palette, qui va donc désormais du simple rappel à la loi jusqu’à la peine d’emprisonnement (rarissime pour des seuls faits de consommation), en passant par la transaction pénale ou le stage de sensibilisation.
Répression instantanée
Le sujet est tout aussi sensible pour les délits routiers. Surtout moins de trois mois après que la garde des sceaux a été contrainte de faire marche arrière sur son projet de transformer en contraventions automatiques le défaut de permis de conduire ou d’assurance. Les associations contre la violence routière avaient vu rouge à un moment où les accidents mortels repartaient à la hausse. Pourtant, l’argument de l’efficacité répressive est le même. Théoriquement passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amendes, la conduite sans permis donne lieu à des amendes de 414 euros en moyenne. « La vraie sanction en matière de délits routiers, c’est la perte de points, l’amende est secondaire. Dès lors, la transaction pénale simplifie tout », plaide M. Raimbourg, lui-même avocat.
Pourtant le cadre juridique de la transaction pénale reste complexe. le décret prévoit que « la transaction ne peut être proposée à une personne pendant sa garde à vue ». Concrètement, elle ne pourra donc pas être proposée, non plus, à l’issue de la garde à vue. Elle ne pourra être proposée qu’aux personnes qui se rendent au commissariat de leur propre gré, et sont entendues dans le cadre d’une audition libre – ce qui constitue les deux tiers des convocations.
Mais pour le fumeur de
shit pris par une patrouille avec une boulette de résine de
cannabis, la situation est plus compliquée : même s’il accepte de se rendre au commissariat « de son propre gré » plutôt que de risquer l’interpellation et la garde à vue, il n’est pas certain que tous les procureurs et présidents de tribunaux considéreront qu’effectuer un trajet dans une voiture de police, encadré par des policiers, ne constitue pas une mesure de « contrainte ». « Ça ne va pas révolutionner les pratiques de policiers », assure-t-on donc à la Direction générale de la Police nationale.
En fait, la notion même de « répression instantanée », telle qu’on l’espère à Matignon, se trouve remise en cause par la complexité de mise en œuvre de la transaction pénale et l’improvisation avec laquelle elle arrive dans la boîte à outils des policiers.
@LaurentBorredon
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