LIBÉRATION
ÉDITO du 26 octobre 2015
Est-il acceptable de mourir sous les balles, dans une cité en France, quand on a 15 ans ? Non. C’est pourtant ce qui s’est produit à Marseille, cité des Lauriers, dans la nuit de samedi à dimanche. Deux ados et un homme de 23 ans ont été tués dans une cage d’escalier. Règlement de comptes ? Victimes touchées par hasard ? Intimidation ? Guerre de territoire ? On ne sait. Cette cité étant un lieu de deal, «l’hypothèse de meurtres liés au trafic de stupéfiants [est] à ce stade privilégiée», a indiqué dimanche le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. Lundi, le procureur Brice Robin a été plus prudent: «C’est une des hypothèses envisagées […] mais il n’y a aucune certitude sur le fait que ces trois personnes étaient liées au trafic de stupéfiants.»
Comme toujours, les autorités ont immédiatement endossé leur costume martial. Le Premier ministre, Manuel Valls, a tweeté : «Rien n’arrêtera la détermination de l’Etat à lutter contre le crime organisé.» Pourtant, s’il y a un échec, c’est bien le leur. A la cité des Lauriers, un réseau avait été démantelé en mai, mais le marché des stupéfiants déteste le vide : faites tomber une filière, une autre la remplace. Saisissez une tonne, deux sont déjà en route. La mécanique est implacable et François Hollande n’aurait pas dû plastronner le 18 octobre devant les Douanes pour les féliciter d’une saisie de 7 tonnes de
cannabis à Paris : en la matière, il n’y a pas de succès, les policiers agissent comme des régulateurs du marché. Et ce n’est pas leur faute : «On tente de vider la mer avec une petite cuillère», résumait l’un d’eux il y a quelques années.
Cazeneuve a beau égrener les prises à Marseille - en 2015, «10 réseaux majeurs de trafiquants démantelés, 132 individus écroués, 1,5 tonne de
cannabis et 39 kilos de
cocaïne saisis» -, sa tâche est un mélange de Sisyphe et de tonneau des Danaïdes, synonyme d’éternel recommencement. En 2010, dans une autre cité marseillaise, le Clos des Roses, un jeune de 16 ans était mort sous les balles, créant une émotion intense. La réponse des autorités ? La gauche fait comme la droite: plus de police, plus d’enquêtes. Nécessaire, sans doute. Suffisant ? Pas vraiment. Cinq ans plus tard, malgré d’évidents «succès» policiers, on en revient au point de départ. Avec, sur le carreau, non plus un jeune, mais deux.
Il est temps de réfléchir autrement. Ce qui tue, ce n’est pas le
cannabis, principal produit en vente dans ces cités. Ce qui tue, c’est la prohibition, système injuste et inefficace mais meilleur allié des trafiquants, puisque l’interdiction du produit justifie leur activité. Il faudra un jour l’admettre et ce sera douloureux, tant cela remet en cause les peurs, tabous et préjugés. Mais d’autres pays s’en sont libérés : l’Uruguay s’est lancé sur la voie d’un marché régulé du
cannabis par lassitude face aux règlements de compte. En France, on doit se poser la question d’une forme de
légalisation. Sinon, quel que soit le nombre de policiers et ministres envoyés sur place, d’autres ados tomberont sous les balles.
Michel Henry
Source:
Libération