L’ONU acte l’échec de la guerre contre les drogues

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L’ONU acte l’échec de la guerre contre les drogues
LE MONDE | 19.04.2016 à  10h41 • Mis à  jour le 19.04.2016 à  17h44 | Par Paul Benkimoun


http://s2.lemde.fr/image/2016/04/19/534x0/4904684_6_6e5a_au-vietnam-une-affiche-incite-les-toxicomanes_2299a90e8410a965f28323dfabc8ba62.jpg


Va-t-on vers la fin de la guerre aux drogues ? La session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies, du 19 au 21 avril à  New York, devrait marquer un tournant dans l’approche de la politique sur les stupéfiants. Dans le contexte d’un bilan de plus en plus critique du plan d’action 2009-2019 qui fait la part belle au tout-répressif, le projet de résolution, qui sera soumis au vote de l’Assemblée jeudi, présente des inflexions notables, en faisant plus de place au sanitaire et au social. Reste à  savoir si ce document, non contraignant, demeurera à  l’état de déclaration formelle ou sera mis en pratique par beaucoup des 193 Etats membres.

Le projet de résolution, préparé en mars, fait référence à  « une société exempte de tout abus de drogues », et non plus à  un utopique « monde sans drogue ». Il accorde une plus large place à  la prévention et au soin. Il défend des politiques et mesures judiciaires « proportionnées » et le recours à  la naloxone, un antidote utilisé en cas de surdose aux opiacés. Enfin, il prône les « mesures visant à  réduire au minimum les conséquences néfastes de l’abus de drogues sur la santé publique et la société », contorsion linguistique pour ne pas employer l’expression de « réduction des risques » rejetée par la Russie.
L’interdiction ne rend pas les prix prohibitifs

C’est un changement radical : dans le sillage de la « guerre à  la drogue » préconisée au début des années 1970 par le président américain Richard Nixon, une précédente session extraordinaire de l’Assemblée générale, en 1998, avait adopté le slogan : « Un monde sans drogue : nous pouvons y arriver. » Résultat, les dépenses pour lutter contre ce fléau sont actuellement évaluées à  1 000 milliards de dollars (883 milliards d’euros) par an à  l’échelle mondiale, dont environ 50 milliards de dollars pour les Etats-Unis. Pourtant, le narcotrafic planétaire génère un chiffre d’affaires de 300 milliards de dollars – en deuxième position après celui des armes – et l’interdiction ne réussit pas à  rendre les prix de l’offre prohibitifs.


« Cette politique a échoué sur toute la ligne : beaucoup d’usagers de drogue ont été infectés par le VIH et les virus des hépatites, ont été emprisonnés ou soumis à  la contrainte. Ni l’offre ni la demande n’ont été réduites. Dans beaucoup de pays, le gouvernement et la société civile ont compris que le slogan “Un monde sans drogue” n’est ni réaliste ni utile », juge Daniel Wolfe, directeur du programme international de réduction des risques de l’Open Society Foundations, un réseau de fondations créé par le milliardaire américain George Soros.

Le rapport de 2014 « Mettre fin aux guerres contre la drogue » de la London School of Economics dressait, lui aussi, un bilan sans appel : « La stratégie mondiale dirigée par les Nations unies de parvenir à  un “monde sans drogue” a échoué. Poursuivre ce but inatteignable s’est révélé dommageable pour la sécurité des hommes et le développement socio-économique. » De même, la Commission sur la santé mondiale accusait, dans la revue médicale The Lancet le 24 mars, la guerre à  la drogue et les politiques de « tolérance zéro » d’avoir sapé la santé publique dans le monde et contribué à  beaucoup des crises de santé publiques actuelles.


Parmi les conséquences les plus visibles, la progression fulgurante de l’infection par le VIH en Russie, où la loi interdit les programmes de substitution aux opiacés – qui évitent l’injection – et où ceux permettant l’échange de seringues et d’aiguilles ne sont autorisés qu’au compte-gouttes. Le nombre officiel de personnes séropositives y est passé de 500 000 en 2010 à  907 000 à  la fin 2014, sachant que près de 60 % des cas d’infection sont dus à  l’injection de drogue dans des conditions non stériles.
« Quelle autre politique publique, nationale et internationale, avec des indicateurs montrant qu’elle échoue depuis quarante ans, pourrait continuer à  être prônée ? », s’étonne Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération addiction.


Certains pays expérimentent de nouvelles approches. En décembre 2013, l’Uruguay a été le premier Etat au monde à  légaliser la production, la distribution et la consommation du cannabis dans le but d’en contrôler le marché et de le soustraire au crime organisé. Aux Etats-Unis, le Colorado et l’Etat de Washington ont mis en place une politique publique de régulation du marché du cannabis, tandis que le Vermont en débat. Le nouveau premier ministre canadien Justin Trudeau a promis la légalisation de cette substance et le président mexicain Enrique Peà±a Nieto a proposé un grand débat national. En Europe, le Portugal a décriminalisé l’usage du cannabis.

« La Suède, le Japon, les Philippines ont évolué »
La Suisse a été pionnière, en 1986, en matière d’expérimentation de salles d’injection sous supervision médicale, permettant, en cas d’overdose aux opiacés, l’administration de la naloxone, outre l’accès à  du matériel d’injection stérile. Une dizaine de pays européens disposent de tels sites et d’autres, dont la France et l’Irlande, ont avancé dans cette voie.


Selon les ONG Harm Reduction International et HIV/AIDS Alliance, réorienter d’ici à  2020 7,5 % des dépenses visant au contrôle des drogues, vers les moyens de prévention de l’infection par le VIH chez les usagers de drogues injectables, permettrait de réduire de 94 % les nouvelles infections et de 93 % les morts.

En mars, le rapport de l’Organe international de contrôle des stupéfiants, qui veille à  la mise en œuvre des traités internationaux, invitait alors à  « réexaminer les politiques et les pratiques ».
La nouvelle résolution de l’ONU pèsera-t-elle réellement ? Pour Daniel Wolfe, cela dépendra de la manière dont les délégations nationales feront bouger les lignes : « La Suède, le Japon ou les Philippines, qui étaient jusqu’ici sur une ligne dure, ont évolué et pourraient le faire savoir, explique-t-il. Plus des pays, notamment européens, appuieront une politique favorisant la réduction des risques, plus des pays hésitants pourraient ne pas se cantonner à  soutenir une politique mi-chèvre mi-chou. »

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/planete/article/2 … AOvf58P.99
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