L'acide et le chardon

Voilà  donc l'histoire que je voulais partager avec vous et que j'évoquais dans ma présentation.

J'ai rencontré le LSD en 1990 c'était le début des raves, la techno nous envahissaient, des traveller’s anglais commençaient à  traverser les frontières, des teufs étaient organisées d'une façon et dans des endroits qu'on avait jamais imaginé auparavant, et on découvrait une musique nouvelle qui nous transportaient littéralement. Bref tout était nouveau et on avait un sentiment de liberté absolue. Je plongeais avec délice dans cette nouvelle ère...

Toujours dans ce contexte vers 1992/1993 j'ai connu la trance Goa, révélation ! A partir de cette découverte je n'ai plus lâché l'affaire et pendant un paquet d'années j'ai écumé les teufs et en ai aussi organisé avec quelques amis fidèles en île de France principalement et en France. J'ai voulu explorer plus loin et suis parti jusqu'à  Goa en Inde, à  San Francisco et dans le désert proche Californien, en Thaïlande, dans le sud du Mexique etc.. sur une période d’environ 6 ans. Tout ça pour dire que cette période de ma vie a été très intense, a beaucoup compté, et a sans doute contribué à  faire l'homme que je suis, et formé le regard que j'ai aujourd’hui sur le monde et l'existence. Une expérience riche et bénéfique.

Élément primordial bien sûr, toute cette période s'est faite sur fond de LSD, systématiquement. On prenait du "bon LSD", on savait où et à  qui l'acheter nous avions des connaissances sérieuses en Hollande et je ne me souviens d'aucun mauvais produit, d'aucun bad trip. L'immense majeur partie du temps je vivais des trips très beaux, des sentiments de bonheur mental et physique, une prise de recul extraordinaire sur l'existence et le cosmos, un sentiment de lucidité extrême sur nous mêmes, bref "on avait tout compris"

Et puis, voilà  ce qui m'amène à  poster. En 1999 (je crois?) est organisé sur Paris une énorme teuf, une très grosse machinerie avec beaucoup de monde et beaucoup d'artistes. Une organisation opportuniste qui surfait sur le phénomène et voulait en profiter, pas ma tasse de thé. Mais, invité avec insistance par un ami d'un ami qui voulait y aller et emmener sa copine pour la première fois dans ce genre d'événement j'y vais finalement en petit groupe. La soirée se passe pas mal, on est perchés et je me souviens que l'on tourne en dérision la soirée une bonne partie de la nuit. Ambiance crises de rire non-stop à  se rouler par terre. Et puis vers 5 heures du matin au détour d'un couloir je croise un gars qui a la particularité de porter à  la boutonnière un chardon, un vrai chardon. Je me souviens avoir trouvé ça surprenant et pense à  ce chardon que je viens de voir très rapidement le gars déjà  hors de ma vue. A partir de ce moment là , patatras! Je ne peux plus chasser de mon esprit l'image de ce chardon et commence à  sombrer dans un mal être, une impression très désagréable vis à  vis de cette plante dont je prends conscience de plus en plus de l'hostilité. Je m'explique, un chardon n'est fait que d'épines, de piquants, de pointes, rien n'est doux, lisse, rond... Et dans l'état où j'étais la vision de cette plante "agressive" m'envahit de plus en plus jusqu'à  devenir obsessionnelle et très dérangeante. Je ne vois plus que ces épines et ces pointes qui sont à  des années lumières du cocon rond, coloré, et bienveillant dans lequel je me trouve. Le bad trip s'installe progressivement.

Pendant le reste de la nuit depuis que j'ai croisé ce type impossible de chasser ce chardon de mon esprit, je suis littéralement prisonnier de l'agressivité de l'apparence de cette plante. Ses pointes et ses épines m'agressent. J'étais dans le bien-être et je sombre dans l'hostilité.

Je réalise petit à  petit que je fais un bad trip, un truc que je ne connaissais pas extrêmement douloureux à  vivre. Je savais bien que ça existait, que le bad trip du LSD était une réalité, mais après toutes ces années d'acide sans le moindre soucis je n'imaginais pas que ça puisse tomber sur moi. Dur...
En rentrant chez moi le matin pour échapper à  ce cauchemar je décide de m'assommer à  l'alcool, ça marche je tombe dans un sommeil profond. Au réveil de nouveau un mal être difficile à  vivre qui va durer au moins 48 heures de façon aiguà«, puis une semaine entière totalement down. Je me demande et j'ai peur pendant ces jours si je n'ai pas définitivement perdu de mes capacités intellectuelles, si ce cauchemar mental ne m'a pas brûlé en une nuit assez de cellules pour ne jamais m'en remettre totalement psychologiquement. Dur à  vivre pendant quelques semaines jusqu'à  avoir la certitude que je n'avais pas de séquelles, il m'a fallu du temps...

Rapidement les jours suivants la fameuse nuit je me pose la même question qui était née quelques instants après avoir croisé le type au chardon. Pourquoi ? Mais pourquoi ce mec a-t-il dans cette teuf accroché un chardon à  sa poitrine ? Ce n'est pas courant je n'avais jamais vu ça moi un chardon à  la boutonnière. J'en viens à  associer mes questions et commencent à  me dire la chose suivante. C'était volontaire, il savait que la vision de cette plante avait potentiellement la conséquence du bad trip sur quelqu'un sous LSD. En gros voir un chardon sous trip peut te faire basculer dans le cauchemar. Oh hey!... de la parano ? Le problème c'est qu'en toute objectivité, je ne peux pas exclure le fait que cela ait pu être prémédité. Un endroit où ce type était sur de croiser des dizaines (centaines ? ) de personnes sous acide, un chardon dont la vision sous acide a cet effet immédiat, bref en connaissance de cause n'était il pas malveillant et n'avait il pas un objectif pervers ? Provoquer des bad trips sur des centaines de "bisounours" béats de bonheur sous acide ?

Gros délire ce ma part? Peut-être, j'ai du mal à  accepter cette hypothèse tant elle a ce côté paranoïaque et tellement tordu dans l'idée, mais en même temps je n'ai jamais pu totalement l'exclure, car la simple coïncidence de toute cette situation me parait aussi étonnante que la préméditation.

À partir de cette mauvaise expérience je n'ai plus jamais pris d'acide, j'avais eu mon vrai bad trip, le seul, et je ne voulais plus jamais reprendre le risque de revivre ça, trop dur, trop flippant, et tant de temps pour s'en remettre complètement ! En même temps j'avoue que c'est arrivé au moment où je commençais à  arrêter cette période de ma vie, le contexte changeait, les teufs changeaient, les populations changeaient, c'était déjà  la fin d'un phénomène. Donc ce bad trip a déclenché de manière brutale ce que j'avais déjà  commencé, arrêter les raves et gober.

Ma question maintenant. Par hasard est ce que parmi ceux qui me lisent quelqu'un a déjà  entendu parler de l'équation : chardon + LSD = bad trip ? Ou, pour parler plus globalement, est ce qu'il est connu que certaines images, certaines choses, peuvent avoir mécaniquement un effet négatif sur le trip comme le chardon a eu un effet dévastateur sur moi?
Je ne parle pas d'un environnement inapproprié, d'un mauvais contexte, de personnes mal intentionnées ou envers qui on aurait pas confiance autour de soi on sait tous que cela peut être mauvais pour un trip, mais je parle bien d'images ou d'objets précis.

Cela fait presque une vingtaine d'années maintenant que cette mésaventure m'est arrivée (j'ai 50 ans) et il ne m'en reste rien, depuis 1999 de l'eau a coulé sous les ponts et tout est oublié. Sauf une curiosité qui subsiste si j'y repense, le pourquoi du comment de cette histoire? En tombant sur votre forum par hasard je me suis remémoré tout cela, car je n’oublierai jamais bien sur, et me suis dit pourquoi ne pas poser la question ici?

Pour terminer je veux préciser que le LSD n'est pas devenu mon ennemi malgré cette ultime expérience, il m'a joué un tour certes, mais j'en ai tiré bien plus de bonheurs que de désagréments. Même si je n'en ai plus pris et que je n'en prendrais plus cela reste une très belle rencontre qui m'a procuré parmi les plus belles joies de ma vie.

J'ai envie conclure ce sujet en postant la très belle scène du film Taking Woodstock où Ang Lee a su filmer de manière très belle et réaliste le premier trip d'Elliot, qui se termine dans des larmes de bonheur devant un spectacle magique...

Merci à  ceux qui sont allés jusqu'au bout