[Le Monde] Dans sa lutte contre la drogue, la France fait fausse route

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Gilda
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Version intégrale de l'article du Monde du 26 août 2017

Dans une tribune au « Monde », d’anciens chefs d’Etat et de gouvernement considèrent que la politique répressive de la France est un échec. Ils estiment qu’il faut dépénaliser la possession et la consommation des drogues.

La lutte contre la drogue en France : « Le résultat est un échec difficile à contester »

Depuis plus de cinquante ans, les gouvernements français successifs auront mené des politiques de lutte contre les drogues parmi les plus répressives d’Europe occidentale. Le résultat est un échec difficile à contester : les Français sont les premiers consommateurs de cannabis parmi leurs voisins européens, la consommation générale des drogues est en hausse (notamment en ce qui concerne l’héroïne), et des dizaines de milliers d’individus sont interpellés chaque année pour simple usage.

Cet échec est de plus en plus largement reconnu ; en témoigne le débat sur la dépénalisation et la légalisation du cannabis lors de la dernière campagne présidentielle, ainsi que la volonté du gouvernement d’aménager la politique nationale en matière de drogues. Cette reconnaissance va de pair avec la levée d’un autre tabou : l’illusion que l’on pourrait vivre dans des sociétés sans drogues, une idée-force qui aura guidé les politiques publiques pendant des décennies de répression. Celle-ci est bien une utopie. Les substances psychoactives, qu’elles soient licites ou illicites, cultuelles, récréatives ou médicinales, accompagnent l’humanité depuis ses origines. Or la quête acharnée de cette idée aura entraîné bien des conséquences négatives, souvent tragiques, dans nos sociétés.

Les personnes qui consomment des drogues en deviennent parfois dépendantes – dans le cadre pathologique de l’addiction. Bien plus souvent, cependant, elles le font d’une façon qui ne nuit potentiellement qu’à elles-mêmes. De plus, ceux des usagers qui sont confrontés à la répression publique font partie, dans la majorité des cas, des populations les plus vulnérables de la société, issues de milieux défavorisés, de l’immigration, ou venant de quartiers sensibles.

Un choix de vie relevant de la sphère privée

Or, qu’il s’agisse d’usage lié à une dépendance ou d’usage récréatif, l’acte est non violent. Dans le premier cas de figure, la personne a besoin d’un accès aux services de réduction des risques et à une offre de traitements qui correspond à ses besoins et à sa situation particulière, afin de se donner les moyens de se protéger de manière responsable. Dans le second cas, le droit de consommation relève d’un choix de vie et de la liberté de la sphère privée, au même titre que l’alcool ou le tabac.

Plusieurs corps intermédiaires, dont la Commission nationale des droits de l’homme et le Syndicat de la magistrature, prônent la dépénalisation de l’usage du cannabis précisément pour ces raisons, invoquant la liberté individuelle et le fait qu’elle implique la capacité de faire des choix sur un mode de vie, le droit à un procès équitable et la protection de la santé. Les substances illicites sont des produits potentiellement dangereux comme, par ailleurs, beaucoup de substances licites qui font, dans nos sociétés, l’objet d’une distribution régulée.

C’est bien pour cette raison qu’il est temps pour les autorités publiques de reconnaître l’impact négatif des politiques répressives, d’arrêter de pénaliser un acte qui n’est pas criminel en soi, d’envisager de fournir un cadre réglementaire à sa production et à sa consommation, et de proposer aux usagers de drogues toutes les mesures de soutien et de soins que requiert l’usage dit « problématique ».

Face au VIH, la France était un pays pionnier

La France a été l’un des pays pionniers dans la mise en place d’une politique de réduction des risques face à l’irruption du VIH chez les personnes qui s’injectaient des drogues dans les années 1980. Cette politique a largement contribué à réduire la transmission du virus liée au partage de matériel d’injection et à prévenir de nombreux problèmes sanitaires liés à la consommation.

Mais la France accuse aujourd’hui un retard notable, alors que les chiffres des Nations unies indiquaient une progression nouvelle de la consommation d’héroïne dès 2014 après des années de déclin. Le premier centre de consommation supervisée n’a vu le jour, à Paris, que l’an passé, et sous la forme d’un projet pilote ; d’autres pays européens ont franchi le pas il y a presque trente ans, avec la démonstration faite depuis longtemps qu’il s’agit d’une réponse efficace aux défis de santé et de sécurité publiques que peuvent poser les drogues dans notre société.

Prévention et aide à l’abstinence

Cette avancée est toutefois obscurcie par la méconnaissance de la problématique par certains, qui continuent de voir dans la réduction des risques le danger, infondé, d’une incitation à la consommation ; par d’autres, qui estiment que l’on renonce à vouloir aider les personnes dépendantes à ne plus consommer ; ou par d’autres encore qui voient dans ces interventions une « banalisation » des drogues, alors que ces mesures ont fait leurs preuves dans la réduction de la demande.

Toutefois, les mesures de réduction des risques n’excluent en aucun cas des campagnes de prévention ou, pour les personnes qui le souhaiteraient, d’aide à l’abstinence. Et reconnaître que les drogues ne sont pas « maléfiques » ne revient pas à les banaliser. Au contraire, apprécier la diversité des raisons qui poussent les individus à consommer et accepter la réalité de la présence et de l’usage des drogues dans la société conduit à élaborer des politiques publiques axées sur l’individu, offrant les meilleures chances à un maximum de citoyens de mener une vie saine et équilibrée.

En ce sens, la réforme envisagée par le gouvernement – à savoir punir les usagers de stupéfiants d’une contravention sans impliquer le tribunal correctionnel mais une juridiction de proximité – poursuit une logique répressive où la consommation reste une infraction pénale. Par ailleurs, cela ne concerne que le cannabis.

Nous préconisons la mise en œuvre de politiques respectueuses de la sphère privée et du droit à la santé, dont la première étape serait la dépénalisation de la possession et de la consommation de drogues, des politiques qui seraient aussi plus efficaces et moins coûteuses que d’autres, répressives, fondées sur une perception et une idéologie plutôt que sur des données scientifiquement avérées.


Par Ruth Dreifuss (ancienne présidente de la Confédération suisse), Fernando Cardoso (ancien président du Brésil), Aleksander Kwasniewski (ancien président de la Pologne), Michel Kazatchkine (ancien directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme)

Les signataires sont membres de la Commission globale de politique en matière de drogues, qui vise à ouvrir, au niveau international, un débat éclairé et scientifique sur des moyens équitables et efficaces de réduire les préjudices causés par les drogues et les politiques publiques de leur contrôle aux individus et aux sociétés.
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Merci pour l'article. G.Iron

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Gilda
Banni
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PS : Cette tribune a le mérite d’exister, mais j’ai déjà lu des textes revendiquant la même chose mais mieux tournés et argumentés.
Là, certaines phrases relèvent un peu de La drogue pour les nuls, beaucoup de raccourcis et d’affirmations qui n’apportent pas grand-chose au débat.

Je trouve aussi étonnant de faire une telle tribune sur la situation en France en réussissant à ne pas parler du Portugal, un pays voisin. Puisque l’exemple portugais résume à lui seul ce qu’est une politique réussie en matière de dépénalisation de l’usage et possession de drogues.

Mais surtout, je ne suis pas du tout d’accord avec cette contre-vérité :

Face au VIH, la France était un pays pionnier

La France a été l’un des pays pionniers dans la mise en place d’une politique de réduction des risques face à l’irruption du VIH chez les personnes qui s’injectaient des drogues dans les années 1980. Cette politique a largement contribué à réduire la transmission du virus liée au partage de matériel d’injection et à prévenir de nombreux problèmes sanitaires liés à la consommation.

...parce qu’il y a eu énormément de réticences en France, qui n’est en aucun cas un pays pionner sur ce point, et où les tergiversations morales et juridiques ont couté très cher en vies.

J’ai retrouvé une synthèse des mesures prises à cette époque et leur chronologie, et ça remet bien les choses à leur place.
source : extrait de Les Etats face aux drogues

Pour info :

Les Programmes d'Echange de Seringues en France

La mise en place des PES fut particulièrement longue en France ; elle symbolisa la première mesure de réduction des risques. La vente libre des seringues fait l'objet d'une décision ministérielle en 1987 et les programmes d'échange de seringue se développent au sein des Centres spécialisés à partir de 1994. Le mode de transmission du VIH lié au partage de seringues souillées a pourtant été mis en évidence en 1981. La prise en compte du risque de transmission de l'infection à VIH chez les toxicomanes intraveineux a nécessité près de quinze ans en France tandis que l'échange de seringue a eu lieu dès 1986 au Royaume-Uni ou encore 1987 en Allemagne. Comment rendre compte de cette « exception française » ?

Depuis 1972 un décret réglemente en France la vente des seringues afin de dissuader les toxicomanes d'utiliser des drogues injectables (héroïne, cocaïne, amphétamines). Ce décret édicte un monopole de la vente des seringues au profit des pharmacies et des établissements spécialisés dans le commerce médico-chirurgical et soumet leur délivrance à des conditions drastiques. Les seringues ne peuvent être cédées au public que sur ordonnance et aux personnes majeures pouvant justifier leur identité. Face à ces mesures dissuasives, les toxicomanes ont alors pris l'habitude de s'échanger les seringues en leur possession.

Claude Olievenstein est l'un des premiers spécialistes à envisager la vente libre des seringues. Il propose une réforme le 1er avril 1985 qu'il défend à travers la presse. Il obtient une certaine écoute de la classe politique française qui ne s'ensuit toutefois pas de conséquences notables. Le président de la Commission sur les stupéfiants écrit en octobre 1986 dans une note qu'il n'est pas « en mesure d'avancer un avis sur le plan scientifique et technique » et qu'il apparaît que « la solution est une décision d'opportunité politique ».

Le milieu professionnel de la toxicomanie est globalement hostile à la mise en vente des seringues, elle est perçue comme une fausse solution voire comme une incitation à l'usage de stupéfiants. En 1987, Michèle Barzach, ministre de la Santé, décide de libéraliser la vente de seringues dans les pharmacies. Le décret ne sera signé par le ministère de l'Intérieur et le ministère des Finances qu'après l'intervention de Michèle Barzach auprès du Premier ministre. L'année 1987 inaugure, selon Anne Coppel, par la mise en vente libre des seringues, la politique de réduction des risques en France.

Le décret de mise en vente libre des seringues n'est tout d'abord adopté qu'à titre provisoire pour une durée de un an. La mesure est prolongée en 1988 puis pérennisée en 1989. L'INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et l'IREP (Institut de recherche en épidémiologie de la pharmacodépendance) soulignent l'efficacité de la mesure ce qui permet son adoption définitive. Le taux de contamination à VIH s'est sensiblement modifié : au sein des centres spécialisés, 33,8% des toxicomanes s'ayant injecté de la drogue pour la première fois en 1983 étaient séropositifs contre seulement 1,3% pour ceux dont la première injection est postérieure à 1992.

Le retard français de mise à disposition des seringues a toutefois été à l'origine d'une première catastrophe sanitaire. Entre le 1er avril 1985, date à laquelle Claude Olivienstein demande au gouvernement l'abrogation du décret de 1972 en raison des risques de propagation du VIH qu'il implique, et le 13 mai 1987, date du « décret Barzach », le partage des seringues aurait causé la contamination directe de 16 800 personnes. Pour répondre aux responsabilités politiques, deux associations (l'Association Auto-support et prévention du VIH parmi les usagers de drogue (ASUD) et le Mouvement de la légalisation contrôlée (MLC) et quatre toxicomanes contaminés pendant cette période saisissent en 1995 la Cour de justice de la République d'une « plainte sans constitution de partie civile pour coups et blessures involontaires » contre sept ministres. Les plaignants reprochent aux dirigeants politiques leur retard ou leur refus à signer le décret rendant les seringues accessibles. La plainte est cependant classée sans suites et le recours devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) est rejeté. (.../...)

Dernière modification par Gilda (27 août 2017 à  02:21)

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