Dans l’imaginaire collectif, les pays du Nord sont restés coincés à l’époque des Vikings. On se représente leurs habitants aux mains gelés par le froid, emmitouflés jusqu’aux oreilles dans des manteaux en peau de bêtes, se pressant dans des pubs jusque tard dans la nuit pour se réchauffer un peu le cœur et le foie. Mais derrière cette image d’Epinal, quel rapport à l’alcool cachent les habitants de Scandinavie ? Enquête en Suède, où l’alcool, bien loin de couler à flots, est soumis à un monopole d’Etat.
De passage en Suède, l’étranger non averti risque d’être surpris. Ici, impossible de faire une
descente au supermarché du coin un samedi soir pour faire le plein de boissons alcoolisées. Vous trouverez au mieux de la bière à 3%, au pire un cidre à la poire faiblement alcoolisé (mais par ailleurs délicieux). Les
alcools forts ne se vendent que dans des magasins spécialisés, les Sytembolaget. Propriétés de l’Etat, ceux-ci ouvrent leurs portes à des horaires stricts (10h-18h), refusent de vendre aux jeunes de moins de vingt ans et pratiquent des tarifs exorbitants. La bouteille de 700 ml de vodka Absolut, la marque nationale, se vend environ 240 couronnes suédoises à Göteborg par exemple, l’équivalent… de vingt-cinq euros. La vodka suédoise a d’ailleurs la particularité de se vendre à plus petit prix à l’étranger qu’au sein des frontières, un comble ! Le vin le moins cher est imbuvable et coûte environ six euros la bouteille, vendu dans des briques en carton qui évoquent plus le jus de fruits du goûter des enfants que la boisson préférée de papa et maman. Tout est vendu au détail, et plus le taux d’alcool contenu dans la boisson est élevé, plus les taxes augmentent. A ce rythme-là, le calcul est vite fait : vous êtes condamnés à boire des litres de bière toute la soirée.
Pourquoi diable une telle restriction ?
L’existence des magasins d’Etat pour la vente d’alcool ne date pas d’hier. L’histoire commence au milieu du XIXème siècle, quand le gouvernement suédois interdit la distillation privée de spiritueux. En 1917, le pays échappe de peu à une prohibition totale telle que l’ont connu les Etats-Unis. A la place, le « système Bratt », du nom de son inventeur, est instauré : il permet de rationner la vente d’alcool selon la capacité estimée des personnes à « boire raisonnablement ». Certains sont donc tous simplement interdits d’acheter de l’alcool. Ce système a été aboli en 1955, mais le strict contrôle de la vente d’alcool s’est maintenu. La même année en effet, les Systembolaget sont créés et l’entreprise d’Etat Vin & Spirit se voit accorder le monopole sur l’importation, la production, l’exportation et la vente d’alcool. Avec l’entrée dans l’UE de la Suède en 1995, une nouvelle loi sur l’alcool est entrée en vigueur. Le monopole du contrôle sur la production, l’importation, l’exportation et la vente de gros a été aboli, mais les Suédois ont fermement négocié le maintien du monopole de la vente au détail d’alcool exercé par les Systembolaget.
Cependant, certains petits malins ont trouvé la parade pour échapper à ce système très restrictif. D’abord, en mettant la main à la pâte : la fabrication d’alcool maison (le plus souvent dans la baignoire familiale) n’est pas anecdotique dans le pays. Ensuite, en prenant la « route de la soif » : les allers-retours dans les pays voisins, notamment le Danemark, permettent aux Suédois de faire le plein d’alcool à moindre frais. Les voyages en ferrys, moyen de transport bien plus utilisé dans ces pays que chez nous, permettent aussi de ravir les passagers, tout étant vendu hors taxes à bord. D’ailleurs, les associations étudiantes organisent régulièrement des voyages courts d’une journée en bateau, dont le seul intérêt plus ou moins avoué semble être de remplir son frigo à moindre frais pour les prochaines soirées. Enfin, la contrebande se développe : Ninorta, jeune suédoise, nous confie : « C’est un peu glauque, mais on peut appeler certains contacts le week-end quand les Systembolaget sont fermés, et les payer discrètement à l’arrière de leur camionnette. »
Qu’en pensent les Suédois ?
Pour les étrangers, passer au Systembolaget se révèle souvent une expérience déroutante. Déambuler dans des rayons où l’alcool est le seul produit vendu, ou faire la queue son panier rempli laisse une impression de malaise quelque peu culpabilisante. Le matin avant l’ouverture, les sans-abris se pressent devant les portes closes pour acheter leur maigre ration du jour. Le vendredi après-midi juste avant la fermeture, de longues files d’attente se forment dans les rues qui ont la chance d’abriter un des fameux magasins d’Etat. Car – et c’est un détail important – on ne trouve pas de Systembolaget partout. Göteborg, deuxième plus grande ville, n’en compte par exemple qu’une douzaine, et on n’en trouve que 431 à l’échelle du pays tout entier. Autant dire qu’il faut se lever de bonne heure pour acheter de l’alcool en Suède ! Mais pour la plupart des autochtones, l’existence des Systembolaget n’est jamais remise en question, ou si peu. Habitués à voir ces enseignes vertes et jaunes depuis leur tendre enfance, ils se satisfont de ce système qui permet selon eux de réguler la consommation d’alcool dans le pays. Jenny, une jeune Suédoise de 23 ans, témoigne : « Je pense que si les Systembolaget venaient à disparaître, les gens se mettraient vraiment à boire beaucoup. La cherté des produits empêche une consommation excessive. » C’est bien le but affiché par l’Etat suédois : réguler la consommation pour limiter les problèmes d’alcoolisme et ainsi veiller à la santé publique. D’ailleurs, le médecin qui a introduit au XIXème siècle la notion d’alcoolisme en tant que maladie s’appelait Magnus Huss et était… suédois.
Un rapport publié par le site officiel du Systembolaget a conclu que si la vente d’alcool venait à être privatisée, la consommation par habitant augmenterait de 14 à 30% sur le long terme. Ceci dit, nous avons aussi rencontré des Suédois qui trouvaient le système du monopole d’Etat obsolète et beaucoup trop contraignant. Ils ne sont pas les seuls à râler : récemment, la Cour européenne a condamné les limitations imposées par l’Etat suédois à la vente d’alcool sur internet, notamment importé depuis l’étranger.
Une culture de l’alcool particulière
L’existence d’un monopole d’Etat sur l’alcool en Suède a contribué à forger une culture de l’alcool singulière dans le pays. Alors que traditionnellement le Français, comme l’écrivait avec goût Roland Barthes dans ses célèbres Mythologies, aime déguster son verre de vin rouge quotidien pendant le repas, le Suédois boit moins régulièrement, mais toujours avec excès. Jenny témoigne : « Ici, l’alcool est tellement rare et cher que lorsqu’on en boit, on en boit énormément. Rares sont les week-ends où tout le monde ne finit pas complètement saoul, et pas seulement entre jeunes. » L’Etat cherche d’ailleurs à limiter ces beuveries, c’est pourquoi les Systembolaget sont fermés le dimanche, et ouverts le samedi uniquement entre 10h et 14h… Boire dans les lieux publics est également interdit, tout comme la publicité pour des produits alcoolisés et les promotions. Autre particularité, dans ce pays chacun ramène et consomme son propre
alcool, posé sur le coin d’une table ou dans un petit sac prévu à cet effet et jalousement surveillé. Pas de partage, et tant pis pour celui qui se retrouve à sec !
Marie-Jeanne Delepaul
Sources:
https://antipodes3a.wordpress.com/2015/ … e-dernier/Un des effets pervers de ce système que j'observe de mes propres yeux chaque année : Des cars et des avions entiers de suédois débarquent aux sports d'hiver. Beaucoup n'ont pas 20 ans. Résultat: Ici c'est l'orgie alcoolique dès le 1er soir, les comas éthyliques sont légions et il n'est pas rare de même ramasser des égarés avec des gelures trés graves (s'étant endormis ivres, en tee shirt par moins 25°) et même parfois des morts (de froid)...