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Le journaliste Alexandre Kaffmann a suivi pour Surdose (ÉD. Gouttes d'or) pendant un an la brigade "overdose" des Stup. Ce livre est un polar et pourtant, tout est vrai. Quelle est l'attitude de la police vis à vis des gays toxicomanes ? Ce roman décrit parfaitement la réalité. Interview relatif notamment à la communauté gay et trois extraits. Nos amis de la bande à Zarca continuent l'exploration des bas-fonds de la ville.
La police parle de 20 morts par overdoses en 2017 à Paris….Heuuu ! Ne sommes-nous pas très éloignés de la réalité ?
Oui, la réalité dépasse sûrement ces ordres de grandeur. Difficile, toutefois, de savoir dans quelle proportion. Beaucoup de décès par overdose surviennent à l’hôpital. Normalement, les urgentistes doivent faire une déclaration administrative. L’un d’entre eux m’a confié qu’il y avait déjà tellement de paperasses à abattre que ces déclarations, bien souvent, n’étaient pas remplies. Par ailleurs, au regard de l’Angleterre ou des pays scandinaves, nous sommes très en retard dans l’analyse toxicologique des nouveaux produits de synthèse (NPS). En France, les seuls laboratoires efficaces pour déterminer leur composition appartiennent au secteur privé. Il faut reconnaître que le Royaume-Uni est autrement affecté par le phénomène des overdoses, qui représentent à elles seules un tiers des cas de l’Union européenne ! Les comportements à risque y sont plus nombreux et les intoxications mortelles mieux recensées.
Je pense notamment à ces fameuses crises cardiaques du mercredi après un week-end débridé ?
Ces morts, en effet, ne sont pas comptabilisées comme overdoses. Il y a des décès liés à un épuisement toxicologique, sans que les taux de stupéfiants détectés dans le sang des victimes soient suffisamment élevés pour établir un lien de cause à effet. Votre question est un curieux hasard, car je me suis penché au cours de mon immersion sur une « mort du mercredi », selon votre expression… Je vous raconte. La personne décédée était un journaliste qui assurait une chronique culture sur une chaîne du câble. Mission hebdomadaire dont il s’acquittait avec un zèle compulsif. Après son passage à l’écran, il ressentait le besoin de se détendre. Il retrouvait son petit ami, infirmier dans une clinique privée. Le couple commençait les festivités par des injections de 3-MMC. Ils se rendaient ensuite sur Grindr et invitaient des hommes dans leur appartement du xve arrondissement, où ils faisaient l’amour à plusieurs. Presque tous les visiteurs apportaient des psychotropes. Le couple n’a pas dormi ni mangé pendant quarante-huit heures. Le journaliste est mort d’épuisement le surlendemain. Autrement dit, un « décès du mercredi »… Dans son sang, le laboratoire a relevé la présence d’alcool, de 3-MMC, de crack, de GHB, de méthamphétamines, de méthadone et de MDMA ! Mais les taux n’étaient pas assez élevés pour attribuer le décès à ces substances… L’unité que je suivais s’est vue retirer le dossier.
Quelles spécificités as-tu remarqué quant au milieu gay ?
Des spécificités surtout liées aux pratiques et aux produits. Au sein de l’unité Surdose, à partir de la substance à l’origine d’un décès, les enquêteurs peuvent presque deviner le profil de la victime. Par exemple, s’ils sont appelés pour une overdose à la 3-MMC, ils savent déjà à 99 % qu’ils vont découvrir une victime gay et une scène de « chemsex ». Pour les nouveaux produits de synthèse (NPS), j’ai eu l’impression que les gays se trouvaient en première ligne, avec une plus grande curiosité pour ces nouvelles substances.
Est ce que la police cible la communauté gay en particulier ?
L’unité Surdoses ne cible aucunement les milieux gays en particulier. Ce n’est pas elle qui choisit ses enquêtes : ce sont les victimes d’overdoses – quelle que soit leur orientation sexuelle – qui « choisissent » le groupe Surdose. En revanche, si on a parfois l’impression que plus rien n’étonne les enquêteurs, plusieurs d’entre eux reconnaissent que certaines pratiques gays continuent de les surprendre. L’un des policiers a ainsi été perturbé par la réaction du petit ami d’un homme mort d’une OD en pleine sodomie… Après le décès de son compagnon, il s’est attaché le pénis à un lacet qu’il a noué au balcon de son appartement – 7ème étage –, avant de s’enfoncer un godemichet dans l’anus et de sauter dans le vide… L’enquêteur s’interrogeait encore sur le sens d’une telle dramaturgie… Au cours des auditions, les membres de l’unité Surdoses ont souvent plus de facilités à échanger avec des suspects gays qu’avec des « lascars de cité », quant à eux surnommés les « crapauds », parce qu’ils répètent sans cesse : « Quoi, quoi, quoi ? ».
Comment se comporte la police avec les gays en particulier ? Que tu sois victime ou dealer ?
Il n’y a pas de traitement particulier des gays. Les suspects homos sont généralement interpellés pour des trafics de nouveaux produits de synthèse, commerce beaucoup moins violent que celui des réseaux structurés de cocaïne et de haschisch. Comme je le disais, en audition, les relations avec les trafiquants gays sont souvent beaucoup moins conflictuelles qu’avec les autres dealers, qui appartiennent le plus souvent à un environnement de voyous.
Tu as dit que la juridiction française était schizophrène. Peux-tu t’expliquer ?
La loi de 1970 dispose que « toute personne usant de produits classés comme stupéfiants soit placée sous la surveillance de l’autorité sanitaire ». Donc le consommateur est à la fois défini comme un coupable et un malade. Compromis entre impératifs sanitaires et répressifs. En France l’addiction est la seule maladie punie par la loi. La jurisprudence qui s’est installée dans le sillage du groupe Surdoses pousse cette ambivalence à son paroxysme. L’usager qui décède n’est plus seulement un coupable et un malade, il acquiert un troisième titre, celui de victime. Statut aussi hybride qu’incohérent… D’un point de vue personnel, je pense qu’il est urgent que la législation française, l’une des plus répressives d’Europe, évolue radicalement face aux réalités et réforme son état d’esprit archaïque.
Trois paragraphes représentatifs du livre :
La misère lexicale de certains suspects en audition :
- Qui donne des instructions à tes hommes ?
Le chef de l’unité Surdose a une voix sourde et lente. […] Nabil (extrait de la prison de Fresnes, suspecté de gérer un cocaïne call-center depuis sa cellule), lève des yeux vitreux sur l’enquêteur.
- Des « instructions » ? C’est quoi ça ? Je fais pas ça, moi… « Instruction », c’est un truc à vous, un truc dans les entreprises ou la police…
- Tu ne connais pas le sens du mot « instruction » ?
- Si, je connais, mais je fais pas ça, c’est tout…
- Tu as donné des instructions à tes soldats. Quand tu achètes un frigidaire ou un grille-pain, il y a une notice avec, pas vrai ?
Nabil répond du bout des lèvres :
- Ouais, y a une notice, et alors ?
- Qu’est-ce qu’il y a marqué sur cette notice ? Des instructions…
- Y a une notice, c’est tout. C’est quoi ce lavage de cerveau ? Les instructions, c’est non !
- D’accord, t’es un vrai prix Nobel !
- Un quoi… ?
- Rien, laisse tomber.
La découverte d’un jeune Chilien, mort d’une overdose de cocaïne à 20 numéros de chez moi, rue du Transvaal, dans le 20ème arrondissement de Paris :
L’agent s’engage dans l’escalier infesté de mouches. Un fil électrique dénudé se balade sur les marches, rejoignant un néon sur le carrelage de la cave. Par-dessus la tête du Chimiste, j’aperçois le corps, allongé sur le dos, au pied d’un lit où s’entassent des couvertures, des vêtements chiffonnés et des billets de cinq euros. Les bras en croix, l’homme porte un débardeur blanc qui jure avec sa peau noire. Une alvéole jaune s’étend autour de son nombril. Le bout de ses doigts touche une bouteille de 1664 qui a roulé sur le sol. Un liquide verdâtre s’est écoulé en étoile sous le cadavre. Près du lit, Mika et Thierry (deux enquêteurs de l’unité) repèrent une seringue et un pochon de poudre blanche. Pressant mon t-shirt contre mes narines, je me penche pour apercevoir le visage du mort. Le néon ne fonctionne que par intermittence. Je ne parviens pas à distinguer ses traits. Sa tête est renversée. Plus j’approche, plus la figure semble se dérober. Je finis par comprendre : l’homme n’a plus de visage. Il ne reste qu’un amas de chairs brunes où gesticulent des asticots blancs.
L’audition au 36 quai des Orfèvres d’un revendeur gay de 3-MMC dont un client a succombé à une OD :
- Depuis combien de temps tu proposes des prestations sexuelles sur Internet ?
- Sept ans. Je fais ça en toute légalité. Il doit y avoir erreur. Le procès verbal que j’ai signé hier parle d’homicide… Je ne suis pas la personne que vous cherchez. Je n’ai rien à voir avec un homicide…
La voix de Gabriel D. (le suspect) est très grave. Une corde de basse. Elle semble encore vibrer une fois qu’il s’est tu.
- Tu proposes des produits stups à côté des prestations sexuelles ?
(...)
- Avec Christophe, la 3-MMC faisait partie de la prestation. S’il restait quelque chose sur le gramme, il l’emportait. L’ensemble coûtait cent-cinquante euros.
- Tu savais qu’il était menacé d’expulsion ?
- Il m’en a parlé. Ça l’inquiétait, à cause de la fin de la trêve hivernale… Je lui ai proposé de me payer plus tard. Il ne voulait pas, il a insisté. Je crois que c’était important pour lui…
Mika (l’enquêteur) lève les yeux de son écran. Les néons jettent des aplats luisants sur son crâne chauve.
- Bon, comme tu ne fais pas de difficultés, je vais t’expliquer ce qu’il en est. Christophe Crozier est décédé d’une intoxication aigüe à la 3-MMC. C’est toi qui lui as fourni le produit. Apparemment, tu n’as fait aucun versement sur les sites qui en vendent, on a pu le vérifier sur ton compte…
- Vous avez consulté mon compte ?
C’est la première fois qu’il paraît vraiment surpris.
- Bien sûr, on a le droit… J’ai passé tes relevés bancaires au peigne fin, comme je l’ai fait pour Christophe. Aucun paiement ne correspond à un achat de 3-MMC. Tu te l’es procuré autrement. C’est dans ton intérêt de nous dire comment, si tu ne veux pas porter seul les charges de trafic de stupéfiants et d’homicide involontaire…
Suirdose d’Alexandre Kauffmann, Éd Gouttes d’or
Alexandre Kauffmann est né en 1975 à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). Il passe son enfance dans le 14e arrondissement de Paris. À la fin des années 1980, il se passionne pour le mouvement des graffitis qui envahit la capitale. Il suit des études de philosophie à la Sorbonne, puis rejoint l’Institut d’Études Politiques de Paris.
En 1999, dans la continuité de ses études, il se rend à Madagascar pour apprendre la langue de l’Île Rouge. Sur les hauts-plateaux, il rédige un recueil de nouvelles retraçant le destin brisé de cinq Malgaches, Mauvais Numéro (Prix Alexandre Vialatte 2001).
En 2003, à la recherche des racines africaines de Madagascar, il gagne le Mozambique. Ce voyage sera à l’origine d’un premier roman, Le faux-fuyant. En 2004, il part à Bangkok pour enquêter sur les backpackers, routards du nouveau millénaire. Cette enquête fera l’objet d’un récit, Travellers.
Il vit aujourd’hui dans le 20e arrondissement de Paris et travaille comme reporter freelance dans le domaine du voyage et du tourisme.
Source : http://gaytapant.blogs.liberation.fr/20 … -surdoses/
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psychic a écrit
bonjour,
kaufmann raconte que les crapauds qui utilisent des puces " merguez" se font quand même choper parce que , bien qu'anonymes elles sont geolocalisables
Je sais pas si tu dit ça en mode il raconte des conneries ou pas mais si tu pense que c'est des conneries, comme il le raconte les téléphones doive ce concter a une antenne donc la police peut savoir à peut prêt savoir la location du téléphone et quand, il peut aussi savoir où était le téléphone dans le passé.
Sinon je vouler juste dire que j'ai adoré surdose et jai lu du même auteur le 3me indic qui et super intéressant et très instructif.
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