[Et il n'y a pas que l'Europe de l'Est qui soit touchée...]http://www.liberation.fr/monde/01016482 … es-du-sidaToxicomanes, les damnés du sidaSelon «The Lancet», la politique répressive en place dans plusieurs pays accentue la pandémie.
© liberation.fr | Eric Favereau | 22.07.10
Aux abonnés absents. Ils ne sont pas venus. Aucun dirigeant ni ministre de la Santé des pays de l´Est, pas plus que d´Asie orientale, n´a fait le déplacement.
Pourtant, la dix-huitième conférence internationale sur le sida avait expressément choisi la capitale autrichienne pour focaliser le débat sur la situation de ces pays. Et pour cause, la situation y est catastrophique : ainsi, de Kiev, en Ukraine, à Tachkent, en Ouzbékistan, durant les six jours de la conférence, 3 000 personnes auront contracté le virus. Cette région compte déjà 1,5 million de malades - soit le double en dix ans -, et le premier facteur de contamination est l´injection de drogues.
Les dirigeants ne sont donc pas venus, mais les faits ont été longuement disséqués à Vienne, en particulier lors d´une session sur la situation des toxicomanes dans cinq des pays les plus touchés : l´Ukraine, la Russie, la Chine, la Malaisie et le Vietnam.
Dans ces pays, près de 3 millions de personnes sont touchées par le sida, dont la moitié sont des toxicomanes par intraveineuse.
Terrifiant Constat. A entendre les orateurs, les toxicomanes séropositifs sont devenus les véritables damnés de la médecine dans ces pays. De tous côtés, ils sont délaissés, exclus, emprisonnés, non traités, voire violentés.
«Or on sait, de façon scientifique, comment arrêter une épidémie de sida chez les toxicomanes», explique avec force une des auteurs du rapport paru ce mois-ci dans The Lancet (1), Patricia Carrieri (de l´Inserm Marseille). «Les programmes d´échanges de seringues, la mise à disposition de produits de
substitution comme la
méthadone, et enfin le traitement du VIH, tout cela permet de bloquer toute nouvelle infection.»
Dans ces pays, c´est l´inverse qui est fait. Certes, la situation des cinq Etats en question n´est pas identique : la Chine vient de se lancer dans de vastes programmes et, en Ukraine, le milieu associatif est très actif. Mais, partout, le constat reste terrifiant. Dans chacun de ces pays, les toxicomanes ont trois fois moins de chances que les autres séropositifs de bénéficier de trithérapies. En Chine, si 94 000 patients bénéficient de
méthadone, cela représente moins de 5% des toxicomanes. Quant à ceux qui ont accès à des soins, ils sont pris en charge par des personnes sans qualification. En Russie, une étude sur 18 villes montre que les usagers de drogues doivent, avant toute prise en charge, passer par le filtre d´une commission spéciale, sans compétence médicale.
Plus généralement, en Russie et en Ukraine, la prise en charge médicale est incohérente : «Les centres sida sont différents de ceux qui prennent en charge la tuberculose, qui sont eux aussi différents de ceux qui prennent en charge la toxicomanie», note l´étude. Pour l´usager de drogues, c´est un parcours du combattant sans fin. Plus grave, ces cinq pays imposent «des amendes indirectes aux drogués». Les examens dans les laboratoires sont systématiquement facturés aux toxicomanes. En outre, «les toxicomanes qui demandent des informations sur les traitements voient leur identité relevée, puis inscrite dans des fichiers gouvernementaux… Le fait d´être enregistré dans les registres de la police va les priver de droits fondamentaux, comme un travail ou la garde de leurs enfants.»
«Prison». Tous vivent dans un contexte de harcèlement policier. «Fréquemment, les usagers de drogues qui viennent chercher leurs médicaments sont arrêtés par la police à l´extérieur du centre. En Ukraine, ils peuvent être détenus soixante-douze heures sans justification. En Malaisie, la simple suspicion peut vous envoyer en prison pour deux semaines.» En Malaise encore, mais aussi en Chine et au Vietnam, cette suspicion peut les conduire dans un centre de rétention ou de désintoxication, où ils ne reçoivent plus leur traitement antisida. Et lorsqu´ils en sortent, le succès est mitigé : entre 75 et 95% des patients retombent dans la drogue.
D´autres données ? «En Malaisie, en 2009, à peine un détenu séropositif sur 15 a reçu un traitement antisida.» Ou encore : «Très fréquemment, des médecins qui s´occupent des usagers de drogues reçoivent des amendes. En Ukraine, des enquêtes policières ont été lancées pour trouver ceux qui délivraient des seringues ou des produits de
substitution.» Autre aberration : à Saint-Pétersbourg, le toxicomane qui fait une overdose a peu de chances de s´en sortir : «En 2008, deux des 190 ambulances d´urgence étaient munies des produits pour y répondre», selon l´étude.
Pour les auteurs, il n´y a aucun doute : ces politiques sont responsables de l´expansion de l´épidémie de VIH.
(1) «HIV in People Who Use Drugs», The Lancet, juillet 2010.