10 août 2010 M. Apaire, président de la Mildt...
Drogues : cacophonie à droite sur les salles d'injection
Dans les locaux de l'association Autosupport des usagers de drogues, rue de Belleville, à Paris. LAURENT SAZY/FEDEPHOTO
Les avis divergent au sein du gouvernement et de la majorité sur l'ouverture de ces centres d'aide aux oxicomanes
Y aura-t-il un jour des salles de consommation de drogue à moindre risque en France ? Depuis plusieurs mois, le débat fait rage entre associations et politiques sur la question des centres d'injection supervisés (CIS) où les toxicomanes peuvent consommer proprement des stupéfiants en se voyant offrir un accompagnement sanitaire et
social. L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) s'est prononcé positivement pour ce dispositif de
réduction des risques, qui existe déjà dans huit pays. Mais la polémique grandit, à droite, sur l'opportunité de se lancer dans l'expérience.
Sans se prononcer explicitement en faveur des CIS, l'expertise de l'Inserm, rendue publique le 30 juin, soulignait leurs effets positifs : ces centres permettent d'attirer un public très vulnérable (SDF, très dépendants, porteurs des virus de l'hépatite C et du VIH). Ils ont fait leur preuve en matière de
réduction des risques d'overdose et de contamination. Ils permettent " d'orienter les usagers vers des structures de soins généraux ou de traitement de la dépendance, ainsi que vers l'aide sociale ".
Après réception des conclusions de l'Inserm, Roselyne Bachelot s'est montrée prudente, mais ouverte, le 19 juillet à Vienne lors de la Conférence internationale sur le sida. Prônant une " action renouvelée " pour limiter les dommages des drogues, la ministre de la santé a annoncé vouloir " engager une concertation avec tous les partenaires concernés et, notamment, les collectivités locales " sur les " centres de consommation supervisés ". " Ces dispositifs n'ont pas pour but de dépénaliser l'usage de la drogue ", a-t-elle insisté.
Cependant, de la concertation à l'expérimentation, la route risque d'être longue. Le président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), Etienne Apaire, a vite douché les espoirs en contredisant la ministre de la santé et en affirmant l'hostilité du gouvernement à de telles structures. Début juillet, le ministre de l'intérieur, Brice Hortefeux, avait lui aussi dit son opposition : " Lorsque j'entends des responsables politiques défendre la
dépénalisation du
cannabis et l'implantation des salles de shoot, je me demande : jusqu'où ira-t-on dans l'irresponsabilité ? "
La cacophonie gouvernementale est déplorée par le milieu associatif. " Tout cela devient incompréhensible ", regrette Jean-Pierre Couteron, président de l'Association nationale des intervenants en toxicomanie et en addictologie (Anitea), reprochant au gouvernement d'être " déconnecté du terrain ".
Du côté des élus de droite, les points de vue s'opposent aussi. Treize députés UMP du Collectif droite populaire (Lionnel Luca, Thierry Mariani...) viennent de signer un appel contre les " salles de shoot ". Sont également signataires les élus parisiens Jean-François Lamour et Philippe Goujon. qui s'alarment de l'intérêt que porte la Ville de Paris, et surtout l'adjoint à la santé, Jean-Marie Le Guen (PS), aux centres d'injection. " Ces salles reviennent à accompagner les usagers, et vont à l'encontre de la politique menée par le gouvernement ", juge M. Goujon, président de la Fédération UMP de Paris. " Si on supprime l'idée d'interdiction et d'illégalité, l'étape suivante sera la
dépénalisation ", avance-t-il.
La capitale est à l'initiative du lancement d'une réflexion sur les salles de consommation dans le cadre de l'association Elus, santé publique et territoires. Au total, huit villes, de gauche et de droite, toutes confrontées à des toxicomanes en grande précarité et à la consommation sur voie publique, participent à ce groupe de travail : Paris donc, mais aussi Marseille, Le Havre, Lille, Annemasse et Saint-Denis, ainsi que dans une moindre mesure
Bordeaux et Mulhouse. Les élus ont auditionné différents acteurs pour aborder les questions sanitaires, d'ordre public ou éthique, que les centres d'injection soulèvent. Ils ont visité celui de Bilbao, en Espagne. En septembre, ils iront à Genève en voir un autre.
Marseille, pionnière il y a quinze ans dans l'installation d'échangeurs de seringues, se montre favorable. A la suite de l'annonce de Mme Bachelot, son maire, Jean-Claude Gaudin (UMP), a publié un communiqué de soutien. " Il n'est pas question de fournir de la drogue, mais de faire une action de santé publique. Il est important de pouvoir rétablir le lien social et le lien médical auprès d'un public de SDF ou de vieux toxicomanes ", explique le docteur Patrick Padovani, adjoint au maire (UMP). Pour lui, tous les outils existants doivent être utilisés, car la politique de
réduction des risques - échanges de seringues, produits de
substitution aux
opiacés - a atteint ses limites.
Le Havre a souhaité participer au groupe de travail pour y voir plus clair. " Ces lieux ne sont pas destinés à améliorer le confort des toxicomanes, mais peuvent servir de refuges aux plus précaires. Si nous ne faisions rien, nous serions dans un déni d'humanité ", juge Olivier Jougla, adjoint à la santé (UMP) et avocat. Pour lui, la lutte contre le trafic de drogue ne doit pas exclure un soutien aux plus vulnérables. " Il y a sans doute un problème de pédagogie et de sémantique ", reconnaît M. Jougla, préférant une formule comme " salle de prise en charge médicalisée des toxicomanes les plus atteints ".
Le 24 septembre, ces élus présenteront leurs conclusions. Il n'est pas certain que leur vision, pragmatique, mette fin à un débat encore très idéologique.
Laetitia Clavreul
© Le Monde