À la mi-août, Roselyne Bachelot s´est fait taper sur les doigts par François Fillon au sujet des SIS, les salles d´injection supervisées, qu´on appelle parfois les salles de shoot. Le Premier ministre déclarait que l´expérimentation de ces salles n´était, «ni utile, ni souhaitable». La discussion est close, merci bonsoir.
On a pu lire à cette occasion que le Canada faisait parti des huit pays au monde à autoriser les SIS. En fait, il n´en existe qu´une en Amérique du Nord, elle a ouvert à
Vancouver en 2003 sous le nom d´InSite, au titre d´expérimentation.
En deux mots, une salle d´injection supervisée est un établissement de santé où les toxicomanes peuvent s´injecter de la drogue dans de bonnes conditions sanitaires, disposer de seringues propres et bénéficier des conseils du personnel pour pratiquer de façon sécuritaire. A minima, les SIS diminuent les risques de contamination de virus comme le VIH ou l´hépatite C, des maladies qui se diffusent à cause de conditions sanitaires médiocres ou du partage de seringue. Au mieux, ils peuvent être un marchepied vers la désintoxication. Mais il est difficile de mesurer l´impact concret d´une salle de ce type (le travail social ne pouvant pas toujours être traduit par des chiffres) et d´aucuns y voient un endroit où se droguer avec la bénédiction de l´État.
En 2008, un comité d´experts mandaté par Santé Canada a tiré un premier bilan largement positif de l´expérimentation
InSite, un bilan que ses auteurs pondèrent toutefois par un problème de méthodologie le manque de données sur certains points et l´impossibilité de vérifier la modification des pratiques (si ce n´est sur la
base des déclarations des usagers).
Mais les observations n´en restent pas moins positives. En cinq ans, 220 000 injections propres ont été faites à
InSite par 8000 personnes. 87% d´entre eux sont porteurs du virus de l´hépatite C. Le comité a constaté une augmentation de l'utilisation des services de désintoxication et de traitement ainsi que la diminution du partage des seringues à mesure qu´augmentait la fréquentation d´InSite.
L´une des craintes généralement relayées contre l´ouverture d´un SIS est la peur de l´augmentation de la petite délinquance dans le voisinage. Les experts de Santé Canada notent qu´«aucun élément ne prouve qu'il y ait eu augmentation du flânage[1] en rapport avec la drogue, du trafic de stupéfiants ou de la petite délinquance à l'entour d'
InSite.» Autre observation : «Aucun élément ne prouve que les SIS influent sur le taux d'utilisation de stupéfiants dans la collectivité ou qu'ils augmentent le taux de rechute chez les consommateurs de drogues injectables.»
Une question au cœur d'une bataille judiciaire entre l'État fédéral et les provinces
Malgré ce bilan positif, l´enjeu d´InSite reste aujourd´hui sa pérennisation. Le gouvernement conservateur d´Ottawa tente de faire fermer l´établissement, estimant qu´il ne représente pas un traitement pour soigner la dépendance. Portée en justice, l´affaire est arrivée devant la Cour suprême de Colombie-Britannique, qui a décidé de faire perdurer le site. Le gouvernement fédéral a interjeté appel de cette décision et la Cour d´appel de la Colombie-Britannique a statué le 15 janvier dernier: les soins de santé, y compris les SIS, sont de compétence provinciale. Autrement dit, Ottawa n´a pas son mot à dire. Mais pour renverser ce jugement, le gouvernement fédéral s´est maintenant tourné vers la plus haute instance, la Cour suprême du Canada. En juin, elle a reconnu que la requête du gouvernement était légitime et a accepté de se pencher sur la question. Elle n´a pas encore rendu son jugement.
Dans la Belle Province, on s´est également posé la question de l´instauration de SIS. A Montréal, l´association Cactus a édité un rapport en avril 2008 intitulé «La pertinence des salles de consommations supervisées à Montréal». L´idée a du faire son chemin puisque le ministre de la Santé, Philippe Couillard, déclarait en juin 2008 qu´il étudiait sérieusement cette possibilité. Mais quelques jours plus tard, il annonçait son retrait de la vie politique et son successeur, Yves Bolduc, refermait aussitôt la porte en estimant qu´il n´y avait pas, à l´heure actuelle, assez de preuves concluantes sur l´utilité des SIS. En décembre dernier, le débat s´est de nouveau ouvert avec la publication d´un rapport de l´Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Il estime que les SIS sont un moyen utile pour lutter contre la transmission du VIH et de l´hépatite. Aujourd´hui, le débat semble être au point mort. On peut gager ici que le jugement de la Cour suprême du Canada, quel qu´il soit, le fera repartir de plus belle. Réponse attendue le 12 mai 2011.
[1] « Comportement d'une personne qui erre sans but, notamment d'un salarié qui, au travail, perd son temps, s'attarde ou s'absente sans raison de son poste » selon la définition de l´OQLF (Office Québécois de la Langue Française).
Source :
http://quebec.blogs.liberation.fr/montr … ursis.html