Au Portugal, la drogue est une affaire de santé

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mikykeupon homme
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Le pays affiche aujourd´hui l´une des plus faibles consommations de drogues de l´Union européenne après la vote, il y a dix ans, d´une loi décriminalisant l´usage de stupéfiants.

Il est entré avec la mine déconfite et le regard fuyant de celui qui a été pris en faute. Joao - appelons-le Joao - est jardinier municipal. La veille, des policiers l´ont surpris dans les toilettes du square qu´il bichonne, en flagrant délit de chinesa - l´équivalent portugais de la «chasse au dragon» qui consiste à  inhaler des vapeurs d´héroïne. Comme dans n´importe quel pays, Joao a dû passer au commissariat pour y faire une déposition. Mais ensuite, au lieu d´avoir à  faire au ministère de la Justice, on lui a donné «rendez-vous» avec le ministère de la Santé : les flics l´ont dirigé vers une commission dite «de dissuasion» où l´accueilleront une équipe de psychologues, un juriste, un sociologue et des assistants sociaux. Joao disposait de soixante-douze heures pour s´y rendre. Il n´a laissé passer qu´une journée. Ce matin, le voici donc qui déboule, de lui-même, dans les locaux de la commission, au centre de Lisbonne. Il passe trois entretiens successifs. On conclut bientôt qu´il est toxicomane.
Le trafiquant reste un criminel

«Dans un autre pays, on le considérerait comme un délinquant, passible d´une peine de prison. Au Portugal, c´est un patient. Les policiers et les juges n´ont pas leur mot à  dire. C´est nous qui sommes en charge de son cas. Nous, les professionnels de la santé.» Vasco Gomes, psychologue, la trentaine avenante, n´est pas peu fier de diriger la commission de dissuasion de la rue José-Estevao, à  Lisbonne. C´est la plus importante des 20 commissions que compte le Portugal (il y en une par province) : elle traite 2 000 dossiers par an. Dont 70 % de consommateurs de haschisch, 10 % de cocaïnomanes, 8 % d´héroïnomanes, les autres prenant de l´ecstasy et autres drogues synthétiques.

Le cas de Joao n´est pas des plus faciles. Père de famille, jardinier, il avoue se shooter à  l´héroïne dans des toilettes publiques depuis environ huit ans, deux à  trois fois par jour, en cachette bien sûr. «Avant de l´envoyer dans un de nos centres de désintoxication, on va l´intégrer dans un groupe de motivation : tant qu´il n´aura pas la volonté d´arrêter, cela ne sert à  rien de le traiter»,dit Vasco Gomes.

Au chapitre de la lutte contre la toxicomanie,le Portugal est un cas unique en Europe. Depuis la loi votée il y a dix ans, en novembre 2000, et entrée en vigueur un an plus tard, l´achat, la possession et l´usage de stupéfiants pour une consommation individuelle ont été décriminalisés. Toutes les drogues sont concernées : du haschisch à  la coke en passant par l´héroïne. Cette législation ne doit rien à  l´exemple néerlandais, pourtant célèbre. Là -bas, point de décriminalisation de l´usage des drogues, seulement une tolérance, qui ne concerne d´ailleurs que la marijuana : on peut en consommer, certes, mais seulement dans les coffee-shops titulaires d´une licence. «Notre révolution au Portugal a consisté à  changer le regard porté sur le drogué : il n´est plus un salaud qu´il faut envoyer au tribunal puis en prison, dit le psychiatre Nuno Miguel, un des instigateurs de la loi, mais un malade. Et en supprimant la différence entre consommation de drogues douces et dures, nous disons que le problème n´est pas la substance en elle-même, mais la relation à  la substance.» En clair, le toxicomane est un patient qui doit être soigné. Le trafiquant est un criminel passible de sanctions pénales qui restent inchangées.

Encore faut-il distinguer le trafiquant de l´usager lors d´une arrestation… Celui qui est pris en possession de plus de dix jours de consommation (1 gramme d´héroïne, 2 grammes de cocaïne, 5 grammes de haschisch ou 2 grammes de morphine) est considéré a priori comme un trafiquant. Et, en-deçà , comme un usager qui sera dirigé vers une commission de dissuasion. Commission bien nommée, puisque l´essentiel de sa mission est de dissuader les consommateurs occasionnels, les plus nombreux, de récidiver. Par un entretien, ou alors, s´il y a récidive, en sanctionnant l´infraction par une amende, voire un travail d´intérêt collectif. Quant au toxicomane, qui n´a plus aucun moyen d´entendre raison et de contrôler sa consommation, il sera dirigé vers un des 63 centres de désintoxication mis en place au Portugal au fil des vingt dernières années.

Là , il sera pris en charge par des psychologues et des médecins. Gratuitement.

Bilan de cette politique ? En avril 2009, huit ans après l´implémentation de la loi, un rapport du Cato Institute, l´un des plus influents think tanks américains, décrit la réalité portugaise comme «un succès retentissant». Analysant les données européennes et portugaises, il fait apparaître que le pourcentage d´adultes prenant des drogues au Portugal est devenu l´un des plus faibles de l´Union européenne : 11,7 % consommateurs de cannabis contre 30 % au Royaume-Uni, 1,9 % prennent de la coke contre 8,3 % chez le voisin espagnol. Les 100 000 héroïnomanes d´avant la loi ne sont plus que 40 000. Et la proportion des 15-19 ans qui se droguent est passée de 10,8 % à  8,6 %. A la fin des années 90, la drogue était la première préoccupation des Portugais, elle se situe désormais à  la 13e place…

Certes, le Cato Institute est proche des «libertarians», ces Américains hostiles à  toute intervention de l´Etat, y compris dans le domaine des drogues. Mais il fait l´effet d´une bombe. Le Portugal est devenu le laboratoire de la lutte contre la toxicomanie en ce début du XXIe siècle où des sommités (dont l´Espagnol Felipe Gonzà¡lez) proposent de décriminaliser le commerce des drogues afin d´affaiblir les mafias qui vivent - et tuent - pour en maîtriser le trafic.
«Tout n´est pas parfait»

«Et alors, ça marche vraiment votre système » Cette question, Joao Goulao, directeur de l´Institut des drogues et de la toxicomanie (IDT), chargé de la mise en œuvre de la réforme, ne cesse de l´entendre ces temps-ci. Elle lui est posée par des parlementaires, des experts, des médecins de toute l´Europe. La décriminalisation «à  la portugaise» est abordée au Parlement britannique, les Norvégiens parlent de voter une loi similaire… Héraut de la réforme, Joao Goulao modère les enthousiasmes : «La consommation de hasch reste importante, la coke suit le boom en Europe, les morts par overdose sont toujours nombreuses. Et, surtout, notre système n´est pas exportable car il est le fruit d´un long processus. Mais notre réussite, c´est d´avoir changé l´image de la toxicomanie : c´était une fatalité, banalisée au point de faire partie du paysage portugais. Elle est devenue une pathologie.»

L´autre réussite, c´est l´absence de remise en cause de la loi depuis son vote. Même la droite dure de Paulo Portas qui prophétisait, en 2001, «des biberons remplis d´héroïne» et «des hordes de jeunes drogués européens venant se piquer au Portugal» se tait aujourd´hui. La catastrophe annoncée n´a pas eu lieu, le narcotourisme n´a pas déferlé. Et puis, la loi a permis de faire des économies. «L´effort sanitaire induit par la réforme - unités thérapeutiques, centres de désintoxication, commissions de dissuasion, internats pour toxicos, etc. - coûte 75 millions d´euros par an, dit Joao Goulao. Ce n´est rien dans le budget du ministère. Et sans doute très inférieur à  ce que coûterait l´activité judiciaire et pénitentiaire que la loi a supprimée. On est en train de faire les calculs pour le vérifier.»

Le Portugal n´est pas pour autant un éden ignorant l´enfer de la drogue. Dans de nombreux quartiers de Lisbonne, à  Quinta do Mocho, Chelas ou Cova da Moura, les trafiquants besognent activement. C´est même le cas à  Casal Ventoso, en face du parc Monsanto (le poumon vert lisboète), l´ancien «supermarché de la drogue» rasé par les autorités. Ce dimanche après-midi, des dizaines d´acheteurs y défilent en voiture, les dealers vendent sans se cacher, et pas l´ombre d´un flic ou d´une unité de soins mobile à  l´horizon ; en contrebas, dans une décharge jonchée de seringues usagées, on se pique à  l´héroïne…

Luis Patricio fulmine : «Malgré tout le mal qu´on s´est donné, voilà  que Casal Ventoso reprend du service !» Luis Patricio est psychiatre, un autre «père» de la loi, venu à  Casal Ventoso faire du «terrain». «La vérité, c´est qu´on a relâché l´effort. Aujourd´hui, dans les centres, des médecins distribuent de la méthadone à  l´aveuglette en se fichant pas mal du suivi psychologique des patients. Ça me rend fou de rage !» A côté de lui, un de ses patients, Venâncio, ancien héroïnomane traité au Subutex depuis douze ans, témoigne : «Je vis ici, et il en faut de la volonté pour ne pas retomber.»

Dans le quartier d´Intendente, tout le long de la rua dos Anjos, les dealers se mêlent aux prostituées. Ici, un car de police fait le guet, et le trafic est plus discret. Dans une ruelle adjacente, Sandra, 47 ans, fume une pipe de cocaïne. Prostituée, «accro à  la coke depuis toute jeune», elle se fiche de la loi, et des centres de désintoxication : en 2002, elle a été interpellée comme trafiquante, elle a passé huit ans dans la prison de femmes de Tires, près de Sintra : «C´est en taule que j´ai pris la meilleure héro», rigole-t-elle.

Dans une autre de ces ruelles, Antonio reconnaît avoir souvent vendu de la drogue pour pouvoir acheter celle dont il a besoin : «Dans les années 80, j´ai pris des années de taule pour 3 grammes de hachich. Aujourd´hui, avec la loi, ça ne m´arriverait pas.» Antonio est sous Subutex, tout en consommant de la coke. «Je sais pas si je m´en sortirai, mais au moins je suis traité dans un centre, je suis reçu par des psychologues. Je ne suis plus invisible.»

Les policiers, eux, se moquent de la décriminalisation de la consommation. Ils ne voient que son impact sur le trafic, nul. Beaucoup de petits dealers jouent avec la loi, se promenant avec la quantité maximale pour éviter le tribunal, et se réapprovisionnent plusieurs fois par jour. «En réalité, on ne donne pas souvent suite aux petites affaires de drogue, dit un commissaire de police. C´est de la paperasse pour rien, et on voit repasser souvent les mêmes dealers. Et puis, on a des problèmes autrement importants, les vols à  la tire et les cambriolages.» Vasco Gomes, le psychologue qui dirige la commission de dissuasion de Lisbonne, n´est pas dupe : «Je sais bien que des dealers passent par chez nous, et aussi des usagers occasionnels qui se moquent de nos conseils. Mais croyez-moi, on parvient à  en dissuader plus d´un, en discutant, en imposant des petits travaux communautaires : nettoyer des graffitis, ramasser des seringues usées, faire du bénévolat dans un centre de désintoxication…»

«Tout n´est pas parfait, loin de là , convient le psychiatre Nuno Miguel. C´est vrai que les trafiquants rusent avec le système. Mais, les toxicomanes sont mieux pris en charge. Ce n´est pas seulement grâce à  la loi, mais à  ce formidable arsenal sanitaire qu´on a mis en place depuis vingt ans et sur lequel la loi a pu s´appuyer. Il est là , le succès portugais.»

Source : http://www.liberation.fr/monde/01012303 … e-de-sante

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mikykeupon homme
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Décriminalisation de la drogue: une question de santé au Portugal




Qu'ils soient accros à  l'héroïne, à  la cocaïne ou au haschich, les toxicomanes portugais ne sont pas traités comme des criminels, mais comme des malades. Alors que la Cour suprême vient d'ouvrir la voie à  de nouveaux sites d'injection au Canada, voici le bilan d'une approche unique au monde.

Quand la police lui a demandé s'il avait de la drogue en sa possession, Nuno Barbosa a commencé par nier avec aplomb. Mais le sachet coincé derrière la ceinture de son pantalon est tombé sur le trottoir.

La preuve était là : 4,5 grammes de haschich, un demi-gramme en deçà  de la limite qui, selon la loi portugaise, sépare les simples consommateurs des trafiquants.

Il y a une décennie, ce délit aurait coûté cher au jeune enseignant d'une école primaire de Lisbonne. Il aurait pu être jugé et écoper d'un dossier criminel. La consommation de narcotiques était alors considérée comme un crime passible d'emprisonnement.

Mais en 2001, le Portugal a changé de cap. Aujourd'hui, les consommateurs de drogues relèvent du ministère de la Santé. L'usage des narcotiques est traité comme une infraction, tel un excès de vitesse. Et ce n'est pas un juge, mais un sociologue ou un psychologue qui impose les sanctions.

Au pire, le contrevenant paie une amende. La sentence peut être levée s'il accepte de suivre un traitement. Et dans la majorité des cas, la procédure est simplement suspendue.

Visiblement nerveux, Nuno Barbosa s'est pointé à  la Commission de dissuasion des toxicomanies de Lisbonne un jeudi matin d'octobre. Il a assuré la travailleuse sociale que le «haschich ne jouait pas un rôle important» dans sa vie. Puis il sa comparu devant le sociologue Nuno Portugal. Avec son veston de velours côtelé et sa barbe de quelques jours, celui-ci n'avait rien pour intimider. Comme Nuno Barbosa en était à  sa première infraction, il s'en est tiré sans la moindre sanction.

«J'ai trouvé la Commission très professionnelle, ils ne m'ont pas traité en criminel», dit Nuno Barbosa quand nous le rencontrons plus tard dans un café de Bairro Alto, haut lieu du night life lisboète.

«C'est bien qu'ils proposent du soutien psychologique. Moi, je n'en ai pas besoin. Mais le but du système, ce n'est pas vraiment de rejoindre des gens comme moi.»

La machine à  suspendre

Les deux tiers des gens qui défilent devant la Commission de dissuasion sont pourtant des gens comme Nuno Barbosa: des amateurs de cannabis tombés sur des policiers zélés. «C'est vrai qu'on pourrait nous reprocher d'être une grosse machine à  suspendre des procédures», convient Nuno Portugal.

Sauf qu'il y a aussi les autres cas, ceux des consommateurs problématiques. Quelques jours avant la comparution de Nuno Barbosa, la Commission a reçu un sans-abri retrouvé au bord du fleuve Tage avec de l'héroïne et de la cocaïne. Toxicomane en rechute, il avait perdu son travail et son appartement. La Commission l'a aidé à  reprendre sa cure de désintoxication, elle lui a trouvé un toit temporaire. Le filet social a rattrapé ce junkie qui avait glissé entre ses mailles.

C'est un peu par désespoir que le Portugal s'est résolu à  lancer sa réforme, il y a 10 ans. Le pays revenait de loin. Après la chute de la dictature, il s'était soudainement ouvert au monde. Et le choc a été brutal.

«Nous avons connu un boom d'expérimentation dans une société complètement naïve face aux drogues, dans les années 80 et 90», dit Joao Goulao, directeur de l'Institut portugais des drogues et des toxicomanies (IDT).

À l'époque, les Portugais tâtaient indistinctement de tout. La traînée de poudre blanche a atteint toutes les couches de la société. «Il y avait un toxicomane dans chaque famille», dit Joao Figuiera, chef de l'unité nationale de lutte contre le trafic des stupéfiants - lequel relève toujours du droit criminel.

À l'entrée de son bureau, une étagère exhibe des objets saisis pendant ces années folles: cuillères, balances métalliques. Un pour cent des Portugais étaient alors accros à  l'héroïne. Les prisons débordaient. Le taux de transmission du VIH fracassait des records. Et la répression n'y changeait rien.

En voyant leurs proches dépérir, «les Portugais ont compris que les toxicomanes avaient besoin d'aide, et non de répression», dit Joao Figuiera.

Le projet de décriminalisation n'en a pas moins soulevé un gros débat. Les critiques voyaient déjà  Lisbonne attirer tous les toxicomanes de la planète. Dix ans plus tard, l'apocalypse n'a pas eu lieu. La consommation d'héroïne a même reculé, tandis que l'usage de drogues a légèrement augmenté chez les adultes. Sur la carte dressée par l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, établi à  Lisbonne, la courbe du Portugal est relativement stable.

Il n'y a pas eu de miracle. Mais pas de catastrophe non plus.

Devant ces résultats mitigés, les experts sont modestes. «Il est très difficile d'attribuer quelque changement de consommation de narcotiques que ce soit à  des changements législatifs», résume Brendan Hughes, de l'Observatoire européen. En d'autres mots: un pays qui change ses lois dans le but de freiner la consommation de drogues se trompe de cible. Il faut chercher autre chose. Mais quoi ?

Loin du paradis

Un homme s'approche de la camionnette blanche garée sur un boulevard longeant le Tage. Il a des anneaux dorés dans les narines et tient par la main une fillette de 4 ou 5 ans. L'homme donne son numéro de patient à  l'infirmier qui lui tend son gobelet de méthadone. Il boit d'un trait avant de repartir avec l'enfant.

Il y a deux ans, ce même homme était rachitique et vivait dans la rue, coupé de ses proches. Depuis qu'il reçoit gratuitement sa dose quotidienne de substitut d'héroïne, il habite chez ses parents, travaille comme gardien de sécurité et prend soin de sa fille, dit la psychologue Claudia Pereira.

Les programmes de méthadone existaient au Portugal avant la réforme. Mais ils étaient rarissimes et axés surtout sur le sevrage. Aujourd'hui, l'ONG de Claudia Pereira rejoint 1200héroïnomanes là  où ils se trouvent: dans la rue.

Financé par les fonds publics, ce programme ne refuse presque personne et n'impose aucune limite de durée. «La plupart de nos patients sont complètement désorganisés. La chose la plus structurée dont ils soient capables, c'est de venir ici chaque jour», dit Claudia Pereira.

Et quand ils viennent, ils mettent un doigt dans le système médical. Le soir où nous avons assisté à  la distribution de méthadone, une femme au visage ravagé tremblotait sur un banc de la camionnette. Un test sanguin fait lors de la distribution de méthadone lui a permis d'apprendre qu'elle souffrait de sida.

Située au coeur d'un vaste complexe hospitalier de Lisbonne, la clinique Taipas veille sur 1800 toxicomanes. Certains y suivent un traitement de sevrage contrôlé. D'autres se contentent de prendre leur dose de méthadone quotidienne. «Sans méthadone, ces gens sont un danger pour eux-mêmes et pour la société», dit le psychiatre Miguel Vasconcelos. À défaut de les faire décrocher, on essaie de réduire les risques. Et rapidement: le temps d'attente pour être admis à  Tapias n'est que de deux semaines.

Il n'y a pas si longtemps, le quartier Casal Ventoso, accroché à  une paroi abrupte près d'un croisement d'autoroutes, servait de marché aux narcotiques. Les gens y faisaient la queue pour acheter la poudre qu'ils s'injectaient sur place. Parfois, ils en mouraient. On trouvait des cadavres dans les rues, dans les tunnels.

Puis, la ville a rasé le bidonville. Ses habitants ont été déplacés vers des HLM en bas de la côte. Les drogues y sévissent toujours, mais plus discrètement. Et Casal Ventoso a droit aux visites quotidiennes de la camionnette blanche.

«Avant, dans Casal Ven ­toso, le taux de transmission du sida chez les toxicomanes était de 50%. Il est tombé à  25%», dit Claudia Pereira. Ceux qui sont infectés se font plus facilement soigner: ils n'ont plus peur d'être dénoncés à  la police.

La maison de la sorcière

Dans un quartier paumé de Porto, deuxième ville du Portugal, une ferme en ruines sert de site d'injection improvisé aux irréductibles. L'endroit est appelé «la maison de la sorcière». Des montagnes de sacs de seringues et de sachets de condoms jonchent le sol.

Plus loin, des sans-abri nettoient le portique d'une chapelle où ils passeront la nuit. Balai à  la main, Jorge, regard vert, peau striée de cicatrices, fait le ménage.

Jorge reçoit chaque jour sa méthadone gratuite. Il se défonce aussi à  la cocaïne. Il gagne son argent en garant des voitures. Et en revendant les trousses de seringues distribués par les équipes de rue.

Jorge est séropositif. Quand il va chercher sa méthadone, il reçoit aussi ses médicaments pour le sida.

Jorge est la preuve vivante que la réforme portugaise n'a pas transformé le Portugal en un paradis sans drogues. Mais pour le travailleur social José Pinto, son plus grand succès, c'est d'avoir produit une «nouvelle sensibilité» face aux toxicomanes.

«Nous ne nous attendons plus à  ce qu'ils viennent nous demander de l'aide. Nous allons les retrouver pour les aider. Et nous sauvons ainsi des centaines de vie.» ??

Une réforme en péril

Les opposants du «modèle portugais» ne courent pas les rues de Lisbonne. Manuel Coelho en est un. Médecin dans une clinique d'amaigrissement, adepte du sevrage sans méthadone, il dirige l'Association pour un Portugal sans drogues. Selon lui, l'approche adoptée par son pays équivaut à  baisser les bras devant les toxicomanies et à  ne plus croire à  la réhabilitation. Mais son association ne compte que 21 membres. Et dans l'ensemble, l'opinion publique est satisfaite de la réforme. À preuve: dans les années 90, les toxicomanies constituaient la première préoccupation des Portugais. Elles figurent aujourd'hui au 13e rang. Loin derrière la crise économique qui frappe durement le pays. Cette crise risque en revanche d'écorcher le «modèle portugais». Le gouvernement a déjà  annoncé que l'Institut des drogues et des toxicomanies sera démantelé et que les services aux toxicomanes seraient administrés directement par le ministère de la Santé... qui doit subir d'importantes réductions budgétaires.

«Nao» aux sites d'injections

La réforme portugaise autorise les sites d'injection supervisée, comme Insite, récemment approuvé par la Cour suprême canadienne. Pourtant, il n'y a pas de sites d'injection au Portugal. Pourquoi? «Par manque de courage politique», dénonce le psychologue José Luis Fernandes. Selon lui, le concept des sites d'injection dépasse le seuil de tolérance des Portugais. Pas grave, répond Joao Goulao, directeur de l'Institut des drogues et toxicomanies: «La réforme nous a permis de rejoindre les mêmes groupes cibles d'une autre façon.» ?

LA «RÉVOLUTION» EN BREF

Selon une recherche publiée dans le Journal of Criminology, la réforme portugaise a été suivie par...

> De légères augmentations dans l'usage des drogues illicites chez les adultes.

> D'une baisse de consommation de drogues problématiques chez les jeunes.

> D'une diminution des détenus condamnés

pour des crimes relatifs aux drogues.

> D'une baisse de mortalité liée à  l'injection d'opiacés

et aux maladies infectieuses.

> D'une augmentation des saisies de drogues.

> D'une réduction du prix de vente au détail ?

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sativa67 homme
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