A Liège, en Belgique, des médecins vont prescrire de l´héroïne, gratuite, à une centaine de toxicomanes locaux triés sur le volet.
Les locaux – l´emplacement des anciennes rotatives d´un quotidien local – sont prêts. Il ne manque que les patients. Et l´héroïne, commandée à une firme des Pays-Bas. A l´image de ce qui se fait déjà en Suisse, au Canada, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Espagne et en Allemagne, Liège a inauguré ces derniers jours son centre « Tadam », pour « Traitement assisté par diacétylmorphine ». En clair, centre de délivrance d´héroïne. Sous la surveillance d´infirmiers et d´aides-soignants, les toxicomanes pourront s´injecter ou inhaler de l´héroïne avec une prescription maximale de 900 mg par jour. « Ils la fumeront à “la tache”, c´est-à -dire petit à petit », précise Dominique Delhauteur, le coordinateur du projet.”¨
« La tache »
Dans la salle d´inhalation, trois cabines avec extracteurs de fumée. En face, la salle d´injection, avec deux éviers, l´un pour les bras, l´autre pour les jambes, censés faciliter la dilatation des veines. Entre les deux, le comptoir, où un infirmier délivrera l´héroïne, gratuite, conservée à l´abri dans un réfrigérateur. A Liège, où vivraient environ 1.500 toxicomanes, « la tache » se vend dans la rue aux alentours des 10 € le gramme. A Genève, où il existe un centre comparable, « les dealers ont cassé les prix », note Dimitri, un infirmier.
Tout a été prévu pour que le centre fonctionne bien. Exemple avec le coin repos : c´est ici que les toxicomanes devront attendre une vingtaine de minutes après la prise. La salle n´est pas chauffée, pour éviter les overdoses. Et il n´y a pas d´accoudoirs sur les chaises. « Pour qu´ils tombent plus vite en cas de malaise », explique simplement l´équipe soignante. « On ne craint pas l´overdose, mais le surdosage, précise Dimitri. Notre travail sera de déceler ces signes-là . »
« Junk-city »
Quelques mois après la polémique en France sur les salles de shoot, les Belges ont donc décidé de suivre l´exemple néerlandais ou suisse, en lançant cette expérimentation. « Je suis étonné de la frilosité des autorités politiques françaises, dévoile Dominique Delhauteur. Je ne dis pas qu´on n´a plus d´hésitations en Belgique, mais lorsque l´on parle de toxicomanie, on tombe souvent dans les travers moraux. » Au plat pays, cela fait une quinzaine d´années que le projet Tadam existe. Quinze ans qu´il fait polémique aussi. Il y a peu, un journal flamand avait, ironiquement, rebaptisé Liège « Junk-city », la ville des drogués. Il faut dire qu´ici, les toxicomanes ne se sont jamais cachés : injections dans les parkings ou dans les rues, trafic à la vue de tous en centre centre-ville…
Dans cette ville pilote en matière de traitement de la toxicomanie, à deux pas des frontières néerlandaise et allemande, des associations locales avaient fait le constat, dès 1995, que le traitement par
méthadone, un substitut à l´héroïne, « n´était pas la panacée ». « 25 % des toxicomanes ne supportent pas le produit et n´ont pas les mêmes sensations de plaisir », précise Dominique Delhauteur.
« Le but ultime : le
sevrage »
Depuis, l´idée d´une distribution médicale d´héroïne a fait son chemin. Sous haute surveillance, puisque l´expérimentation n´est lancée que pour deux ans, sous le patronage de l´université de Liège. Deux groupes de toxicomanes seront comparés : ceux à qui l´on délivre de l´héroïne gratuite, et ceux qui sont traités sous
méthadone. Etat de santé, suivi du programme de traitement, consommation parallèle ou encore évolution de leur délinquance permettront alors de dire si l´héroïne gratuite peut être une bonne solution pour traiter les toxicomanes. « Le centre Tadam n´est pas ce que l´on pourrait appeler une “salle de shoot” : ici, on ne pourra pas consommer des produits de “rue” », avertit Dominique Delhauter.
D´ici quelques jours, l´héroïne médicale devrait arriver au centre. La « marchandise » sera gardée derrière un local grillagé et sécurisé, le coin « Guantanamo » du centre. Dès réception, ce dernier aura l´obligation de commencer le traitement dans les dix jours. Une cinquantaine de toxicomanes devraient débuter le programme. Agés de plus de vingt ans, résidents liégeois et accros à l´héroïne depuis au moins cinq ans, ils bénéficieront de leur drogue, gratuitement, pendant un an. Au mieux, ils tenteront alors un
sevrage. Au pire, espère le coordinateur, « ils iront vers la
méthadone ».
Source :
http://www.francesoir.fr/faits-divers/h … ance.62800