Photos choc anti-tabac : la consommation va augmenter !
LEMONDE.FR | 21.04.11 | 16h58 • Mis à jour le 22.04.11 | 09h19
Ca y est, les paquets de
cigarettes contiennent dès maintenant d'horribles photos destinées à dissuader de fumer, par la peur. L'intention des autorités sanitaires est louable, mais cette stratégie a toutes les chances de produire exactement l'inverse du comportement souhaité.
Les États mènent régulièrement des programmes de santé publique, mais les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des espérances, qu'il s'agisse d'arrêt de la consommation de
tabac, d'incitation à pratiquer la marche à pied ou encore du contrôle des naissances. De nombreuses recherches ont montré que cette démarche aboutit globalement aux effets inverses de ceux désirés. En effet, les campagnes choc n'entraînent généralement pas de diminution du comportement néfaste visé et peuvent même l'augmenter. C'est bien ce qui risque d'arriver dans la situation actuelle.
Une synthèse statistique a rassemblé quatre-vingt-dix-huit études de campagnes basées sur la peur, sur des thèmes très divers (arrêt de la consommation de
tabac, réduction de la consommation d'
alcool, usage du préservatif pour prévenir le sida, usage de crème solaire pour prévenir le cancer de la peau, auto-examen des seins, promotion de l'exercice physique, comportement de sécurité sur les tracteurs et engins divers, etc.).
Elle montre que lorsque l'appel à la peur est faible, la personne n'est pas sensibilisée par le message. En revanche, lorsque l'appel à la peur est fort (par exemple, l'inscription "Fumer tue" ou la présence de poumons noircis), cela entraîne généralement un fort sentiment de gravité et de risque. Fort bien, pensera-t-on spontanément. Eh bien non, car cela n'entraîne pas automatiquement l'arrêt de la consommation de
tabac.
Pour comprendre cela, il faut introduire un autre élément essentiel : le sentiment d'efficacité (faible ou fort) de la personne à pouvoir s'arrêter de fumer). Si la personne manifeste un fort sentiment d'efficacité personnelle, elle va chercher à contrôler le danger et par conséquent modifier son comportement. Mais si elle a un faible sentiment d'efficacité (ce qui est évidemment le cas de la très grande majorité des fumeurs), elle va chercher à contrôler sa peur par divers mécanismes de défense psychologiques :
- le déni : "Je ne risque pas d'attraper un cancer, cela ne m'arrivera pas" ;
- l'évitement défensif : "C'est vraiment horrible, je ne vais pas y penser" ;
- la (pseudo) reconquête de sa liberté : "Ils essaient seulement de me manipuler, je vais les ignorer."
Et plus une personne résiste à une recommandation, moins elle modifie son comportement dans le sens attendu par la campagne. Résultat : la personne a tendance à fumer encore plus qu'avant !
Il est donc essentiel, lors d'une telle campagne, de fournir une information constructive à la population sur les moyens lui permettant de modifier son comportement. Or, sur les 14 avertissements imposés par le gouvernement, un seul va dans ce sens, et encore d'une manière très peu impliquante : "Votre médecin ou votre pharmacien peut vous aider à arrêter de fumer." Le Canada est parfois cité pour affirmer que des campagnes chocs sont efficaces. Or, les paquets de
cigarettes présentent non seulement des messages de peur, mais également des messages concrets visant à augmenter le sentiment d'efficacité personnelle, par exemple : "Voici quatre moyens de combattre l'envie de fumer : attendez 10 minutes, respirez profondément, buvez de l'eau et faites autre chose." Et ça marche ! Rien à voir donc avec la stratégie française.
Par ailleurs, les messages antitabac formulés positivement sont plus efficaces que ceux présentés négativement. Par exemple, "Arrêter de fumer réduit vos risques de mort prématurée et de maladies" obtient plus de résultats que "Fumer augmente vos risques de mort prématurée et de maladies". A nouveau, un seul message sur 14 est positif dans la stratégie actuelle.
Si l'objectif de ces photos choc est la prévention chez les jeunes plutôt que l'arrêt chez les fumeurs, l'effet sera probablement tout aussi problématique, pour des raisons différentes. Les jeunes sont peu sensibles aux messages sanitaires et y réagissent parfois négativement. Il faut savoir que l'industrie du
tabac organise des campagnes de prévention du tabagisme chez les jeunes ! Et que cette stratégie lui est très bénéfique... En 2001, l'entreprise Philip Morris se vantait d'être impliquée dans plus de cent trente programmes de ce type dans plus de soixante-dix pays. Ces programmes se résument à ce type de slogan : "Réfléchissez. Ne fumez pas !" Résultat : cela augmente l'attrait pour le
tabac chez les jeunes. Le goût pour le fruit défendu, en somme. Une analyse de documents internes de ces entreprises a montré que cette stratégie est parfaitement calculée. Il serait certainement bien plus efficace de diffuser des spots télés montrant des stars appréciées des jeunes expliquant les bienfaits ressentis lorsqu'elles se sont arrêtées de fumer.
Jacques Lecomte est aussi chargé de cours à l'université Paris Ouest Nanterre la Défense Président de l'Association française et francophone de psychologie positive. Prochain ouvrage : La bonté humaine, Odile Jacob (parution à l'automne). Lien vers le site de Psychologie positive.