G8 - Afrique : «Tout le continent est touché par le trafic de drogue»

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mikykeupon homme
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L'Afrique est une plate-forme pour le transit de drogues dures vers l'Europe et les Etats-Unis. Un G8 sur le trafic vient de se tenir à  Paris, avec des ministres africains et latino-américains.

Une réunion du G8 consacrée au trafic de drogue s'est tenue le 10 mai 2011 à  Paris, sous l'égide de la présidence française, en présence de ministres africains et latino-américains. Une première à  la mesure de l'inquiétude que suscite l'importance du trafic de cocaïne entre l'Amérique latine, l'Afrique et l'Europe. Pour Christophe Champin, journaliste à  RFI et auteur d'Afrique noire, poudre blanche (André Versailles éditions/RFI), l'Afrique de l'Ouest n'est pas la seule région du continent concernée par ce phénomène et la cocaïne est loin d'être la seule drogue dure qui transite par cette partie du monde.



SlateAfrique – Le 10 mai 2011, la première réunion d´un «G8 drogue» s´est tenue à  Paris.  Pourquoi cette mobilisation ?

Christophe Champin – Le premier constat, c´est que la consommation de cocaïne en Europe flambe depuis une dizaine d´années. En 1998, selon l´Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), la demande aux Etats-Unis était quatre fois plus importante que sur le Vieux continent. Aujourd´hui, les deux marchés sont équivalents [en 2009, l´ONUDC estimait la production mondiale de cocaïne entre 842 et 1.111 tonnes. 750 tonnes ont été saisies. Environ 123 tonnes sont consommées en Europe et 179 tonnes aux Etats-Unis, ndlr]. Il est donc clair que les organisations criminelles qui produisent de la cocaïne en Amérique latine ont fait de l´Europe leur nouvelle priorité. Le deuxième constat c'est que, même si la majorité des cargaisons qui quittent l´Amérique latine arrivent directement par voie maritime en Europe, l´Afrique a, à  partir du début des années 2000, été perçue par les trafiquants comme une plate-forme idéale pour le stockage et la redistribution de la coke. Or les Occidentaux et ceux des dirigeants africains qui veulent sincèrement lutter contre ce fléau ont compris que la cocaïne et l´argent sale ne peuvent que contribuer à  renforcer la corruption et la criminalisation des Etats de la région. Mais ce qui les inquiète plus encore, ce sont les liens possibles entre Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), qui opère entre l'Afrique du Nord et l'Afrique de l'Ouest, et ce trafic de drogue.

SlateAfrique – A quel point Aqmi a-t-elle partie liée avec les trafiquants ?

Christophe Champin – Différents groupes qui se réclament d´Aqmi –comme d´autres groupes armés d´ailleurs car ils ne sont pas les seuls– opèrent dans la bande sahélo-saharienne, qui s´étend des confins du Tchad et du Soudan jusqu´à  l´Afrique du Nord, et qui est bordée notamment par le Mali, l´Algérie, la Mauritanie et le Niger. Or une partie des combattants d´Aqmi prélèverait une taxe sur les marchandises qui transitent illégalement par les zones qu´ils contrôlent –notamment la cocaïne et le haschich–, voire offriraient leurs services pour transporter et sécuriser les convois. D´autres groupes armés font la même chose, mais, bien évidemment, le fait qu´Aqmi, qui représente une très grave menace pour la sécurité, puisse profiter de ce trafic incite forcément l´Europe et les Etats-Unis à  se mobiliser aux côtés des Etats africains concernés.

SlateAfrique – La bande sahélo-saharienne est-elle en Afrique la principale voie d´acheminement de la cocaïne vers l´Europe ?

Christophe Champin – On ne dispose pas de chiffres, car il n´y a, à  ce jour, pas eu de saisie importante sur place. Mais plusieurs indices montrent que cette zone joue un rôle clé. Tout d'abord, il existe, de longue date, des routes de la contrebande dans cette région. Elles ont été utilisées pour le trafic de cigarettes et de haschich. Elles le sont, depuis quelques années, pour la cocaïne. Il y a eu en novembre 2009 la découverte au nord du Mali de la carcasse d´un Boeing 727-200, venu du Venezuela, importante porte de sortie pour la cocaïne, et en ayant vraisemblablement transporté plusieurs tonnes. Le 25 janvier suivant, selon l´ONUDC, un autre appareil, un Beech Craft BE 300, également en provenance du Venezuela, probablement chargé de poudre blanche, s´est posé au Mali près de la frontière mauritanienne. En octobre 2010, 34 personnes ont été arrêtées au Maroc en lien avec un réseau de trafic de drogue, suspectées d´avoir effectué huit voyages entre le Mali et Tanger pour transporter 600 kg de cocaïne. Et ce ne sont pas les seuls exemples.

Pour autant, la bande sahélo-saharienne n´est pas la seule voie d´acheminement. La coke est aussi transportée par des passeurs sur des vols commerciaux à  partir d'aéroports africains. En 2010, beaucoup d'entre eux sont partis du Cameroun et du Bénin, mais aussi d'autres Etats de la région comme le Sénégal, le Ghana et le Nigeria. La cocaïne emprunte aussi la voie maritime, notamment à  l´intérieur de conteneurs à  partir de ports africains. Selon l'ONUDC, 178.000 conteneurs sont arrivés aux Pays-Bas en provenance d'Afrique en 2009 et 2010. Impossible de les contrôler tous...

SlateAfrique –  L'Afrique de l'Ouest est-elle la seule concernée par ce trafic ?

Christophe Champin –  Loin de là . On parle beaucoup de l'Afrique de l'Ouest. Mais c'est tout le continent qui est concerné par le transit des drogues dures. L'Afrique du Sud et le Mozambique, en particulier, sont aussi de très importantes plaques tournantes de la cocaïne et, de longue date, également pour d'autres drogues.

SlateAfrique  – Quelles sont, justement, les autres drogues dures qui transitent par ces régions ?

Christophe Champin – Bien avant la cocaïne, la première drogue dure qui a transité par le continent africain était l'héroïne. Dès les années 80, des passeurs nigérians ont commencé à  transporter cette drogue de l'Asie du Sud vers les Etats-Unis, via le continent africain, avec comme porte d'entrée la corne de l'Afrique. Petit à  petit, des Nigérians sont devenus des acteurs majeurs de ce trafic, au point d'être implantés aussi bien en Amérique latine, en Amérique du Nord, en Asie et en Europe. Depuis le début des années 2000, ces trafiquants font affaire avec les organisations criminelles colombiennes pour le trafic de cocaïne via l'Afrique. Mais l'héroïne continue à  y transiter, en entrant notamment par l´Ethiopie et le Kenya. Pour exemple, en 2007, les autorités ghanéennes ont arrêté, sur demande des Etats-Unis, des membres éminents d'un réseau disposant de laboratoires de fabrication d'héroïne en Afghanistan. Ils utilisaient l'Afrique de l'Ouest comme plate-forme de redistribution vers l'Europe et les Etats-Unis.

SlateAfrique – La cocaïne ne serait donc qu'une partie seulement du problème ?

Christophe Champin  – Oui. L´héroïne continue à  transiter par le continent. Mais il y aussi le mandrax, une drogue synthétique fabriquée en Asie, qui inonde l'Afrique australe depuis trois décennies, où elle fait des ravages. Il faut, en outre, bien comprendre que nous sommes face à  des organisations criminelles habituées à  déjouer les pièges tendus par les services antidrogues les plus aguerris. Certains tombent dans les filets, grâce aux efforts constants la DEA (Drug Enforcement Administration) américaine et des services antidrogues européens. Mais les trafiquants font preuve d'une impressionnante capacité d'adaptation pour leur échapper. Prenez les réseaux nigérians. Ils ont déjà  renforcé leur diversification en se lançant dans les drogues synthétiques, en particulier les méthamphétamines, très consommées aux Etats-Unis. C'est traditionnellement une spécialité des cartels mexicains qui fournissent le marché américain. Ces derniers mois, les arrestations en Afrique de passeurs, souvent nigérians, porteurs de méthamphétamines augmentent. Une bonne partie de ces «mules» devait se rendre au Japon, où cette drogue est également consommée et commercialisée par les célèbres yakuzas, avec lesquels les groupes criminels nigérians font affaire! On soupçonne même l'existence de laboratoires sur le continent africain.

SlateAfrique – A vous entendre, le combat semble désespéré...

Christophe Champin  – Il est en tous cas extrêmement difficile. Prenez l'exemple de la cocaïne: malgré le nombre impressionnant de saisies chaque année, le marché reste stable en Europe et les prix, qui avaient énormément baissé depuis une décennie, n'ont pas augmenté, même si la pureté des doses vendues dans la rue s'est en revanche détériorée. Depuis quarante ans, les Etats-Unis ont dépensé des milliards de dollars en Amérique latine pour combattre les cartels de la drogue. Ils ont remporté des victoires, mais ils sont loin d'avoir gagné la guerre. Les efforts considérables menés en Colombie, premier producteur de cocaïne au monde, ont poussé les organisations criminelles à  se replier davantage sur les deux autres pays producteurs que sont le Pérou et la Bolivie, dont la production de cocaïne ne cesse d'augmenter.

SlateAfrique – Et en Afrique ? La lutte s´organise-t-elle ?


Christophe Champin  – Les Européens et les Américains ont pris conscience de la gravité du problème. Pour preuve, ce «G8 drogue», auquel participaient plusieurs ministres africains, s'est tenu à  Paris début mai pour élaborer un plan de lutte contre le trafic. Jamais, jusqu'ici, ce thème n'avait été à  l'agenda du club des pays riches. Plusieurs pays européens –dont la France, la Grande-Bretagne, le Portugal et l'Espagne– de même que les Etats-Unis, multiplient déjà  les actions de coopération avec les pays africains. Les Européens coordonnent leurs actions en mer à  travers le MAOC-N, basé à  Lisbonne. Mais la coopération entre pays africains, dont les moyens de lutte au niveau national sont déjà  faibles, n'en est qu'à  ses balbutiements. Or une telle coordination est essentielle. Les Européens, eux, ont compris qu'il ne sert à  rien de se battre tout seul dans son coin contre des organisations criminelles transnationales.

SlateAfrique –  Y-a-t-il des «narco-Etats» en Afrique ?

Christophe Champin  – Si l'on entend par «narco-Etat» un pays dont les dirigeants sont mêlés au trafic et tirent une partie de leurs ressources du trafic, la réponse est non. Ce qui ne veut pas dire que les organisations criminelles n´ont pas réussi à  s´infiltrer dans les institutions politiques de certains pays. Depuis une dizaine d´années, il existe plusieurs cas de personnalités politiques arrêtées pour leur implication avérée ou présumée dans le trafic de drogue. Même s´ils ont depuis été libérés et qu´ils clament leur innocence, deux des fils de l´ancien président guinéen Lansana Conté ont tout de même été arrêtés pour cette raison. Au Maroc, le fils de l´ancien président mauritanien Ould Aidallah croupit en prison dans une affaire de trafic de cocaïne. Le 6 mai, Sheryl Cwele, épouse du ministre sud-africain de la Sécurité, a été condamnée à  douze ans de prison pour trafic de drogue. L´autre volet du problème concerne le blanchiment. Le Groupe intergouvernemental d'action contre le blanchiment d'argent en Afrique de l'Ouest (Giaba) a publié, récemment, un rapport (PDF) qui dresse un constat inquiétant à  propos de l´infiltration de l´argent sale dans les économies de nombreux pays de la région, notamment dans l´immobilier, le tourisme et l´import-export.

Propos recueillis par Pierre Cherruau

Source : http://www.slateafrique.com/2419/toute- … -de-drogue

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