http://www.lemonde.fr/sante/article/201 … 51302.htmlLongtemps positive, l'image de la cocaïne se dégradeLe Monde.fr | 29.03.2012 à 11h01
Par Laetitia Clavreul
Drogue "de la fête", "de la performance", drogue "inoffensive"... Cette réputation a valu à la
cocaïne une hausse ininterrompue de sa consommation depuis quinze ans. Des premiers signes de dégradation de son image auprès des consommateurs apparaissent cependant: c'est l'un des éléments clés de
Cocaïne, Données essentielles, la première monographie sur ce stupéfiant devenu le deuxième produit illicite consommé en France après le
cannabis, que publie l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) jeudi 29 mars. Fini le côté "paillettes"? Aujourd'hui, l'heure est à la prise de conscience des dégâts sanitaires. Un moment charnière.
Une banalisation de l'usage dans tous les milieuxLa dernière décennie a été marquée par la banalisation de la
cocaïne, notamment parce que son prix a baissé: le gramme valait 150 euros en 1990, 80 en 2000 et 60 en 2010. Cette chute des prix a permis une diffusion parmi les catégories intermédiaires. La diffusion de la
cocaïne s'explique aussi par l'image de performance associée à cette drogue qui colle bien avec l'état d'esprit de la société, le mode de consommation - le
sniff est perçu comme peu risqué par rapport à l'injection - et la hausse de la disponibilité sur le territoire.
Au total, 400000 personnes en consomment au moins une fois dans l'année, et 1,5million de Français ont déjà essayé. La progression est frappante: l'usage dans l'année a été multiplié par trois (de 0,3% à 0,9%) de 2000 à 2010, l'expérimentation par près de cinq (de 0,8% à 3,8%) entre1992 et 2010. C'est chez les 18-34 ans que la diffusion est la plus large. Parmi eux, près de 7% ont déjà expérimenté le produit.
Toutes les catégories socioprofessionnelles sont concernées. Le niveau d'expérimentation est particulièrement élevé chez les chômeurs (7,6% d'entre eux). Parmi les actifs occupés, les cadres et professions intellectuelles, les artisans-commerçants et les ouvriers sont surreprésentés.
Les lieux de consommation aussi ont changé. D'abord présente dans le milieu musical techno, la
cocaïne s'est étendue à l'espace festif en général (bars, discothèques). Quand les consommateurs vieillissent, les occasions de sortir se raréfient, mais l'usage se poursuit à domicile ou dans les soirées entre amis.
La
cocaïne n'est plus l'apanage des grandes villes. Elle est tout autant présente dans les communes périurbaines et rurales. Une arrivée qui s'explique par le passage ponctuel d'urbains lors de rassemblements festifs, mais aussi par l'installation de certains dans ces zones pour échapper aux loyers trop chers.
La
cocaïne, causant des ravages sous-estimés, est devenue le deuxième produit illicite le plus consommé en France.
Une altération de la bonne imageChez les consommateurs, l'idée était bien ancrée: la
cocaïne serait moins nocive que les autres drogues illicites et sa consommation serait gérable. Mais nouveauté: l'opinion positive devient plus nuancée avec l'intensification de la consommation. Pour la première fois en 2010, les observateurs du réseau Trend, qui relève les tendances de consommation dans toute la France, rapportent "une nette dégradation de l'image de la
cocaïne" chez les usagers. Cette altération restera à vérifier, mais de nombreux intervenants font état, chez les usagers les plus expérimentés, "d'une prise de conscience relative à la nocivité de la substance".
Si ce n'est pas le cas chez les nouveaux consommateurs, qui découvrent encore le produit, les autres évoquent les conséquences sur la santé, la baisse du plaisir à force d'en consommer, et une baisse du rapport qualité/prix. Autant de critiques qui font émettre l'hypothèse, selon le docteur Maud Pousset, directrice de l'OFDT, d'"une perte de vitesse, peut-être au profit des produits de synthèse". Autrement dit, un ralentissement de la hausse pourrait être observé dans les prochaines années, comme cela a déjà été constaté pour l'
ecstasy.
Des dangers minorés par les usagers et les soignantsLes risques sanitaires engendrés par la
cocaïne sont loin d'être anodins: complications cardio-vasculaires, lésions cutanées, syndromes respiratoires, pathologies mentales... Mais l'image positive véhiculée autour de ce stupéfiant a participé au déni du danger, notamment chez les jeunes qui évoluent dans les milieux festifs et optent pour le free
base - une préparation artisanale moins connotée que le
crack, mais qui en fait est identique.
La bonne réputation du stupéfiant a pu également biaiser le regard des soignants, qui ont pu minorer les risques liés à la consommation par
sniff, de loin la plus courante. Les usagers jugent que les médecins connaissent mal les effets du produit et qu'ils prennent peu en compte leurs demandes, contrairement à celles concernant les
opiacés (héroïne).
L'OFDT relève que les intervenants sanitaires - mais aussi les journalistes - se sont focalisés sur une "vision bipolaire" des consommateurs. D'un côté, ceux des beaux quartiers, très insérés, qui sniffent dans un cadre festif et parviennent à gérer leur consommation. De l'autre côté, des consommateurs très précaires, fumeurs de
crack dans les squats au nord de Paris notamment. Conséquence de cette focalisation: c'est une grande partie des usagers, insérés socialement, qui ne sont pas identifiés alors que leur consommation est problématique.
Plus rentable que le cannabisParallèlement à la diffusion de la
cocaïne dans la population, les réseaux de revente se sont diversifiés, avec l'émergence d'un microtrafic pour une clientèle restreinte. Par ailleurs, certains réseaux de trafiquants de
cannabis se sont reconvertis dans la
cocaïne, notamment dans les cités, parce que ce stupéfiant est plus rentable.
Pour la première fois, le chiffre d'affaires de la
cocaïne a été estimé: 902millions d'euros pour un volume de 15tonnes de poudre dosée à 30%. Un montant proche de celui du
cannabis, mais pour 200 tonnes écoulées. Chaque gramme permettrait de dégager une trentaine d'euros, contre 3 pour le
cannabis.
Le phénomène de reconversion des dealers entre
cannabis et
cocaïne pourrait se développer: le trafic des deux drogues emprunte des routes similaires (Afrique, Maghreb), et le développement de la culture de l'herbe en Europe fait désormais concurrence à la résine marocaine. La France n'en a certainement pas fini avec la
cocaïne.
Laetitia Clavreul