Entre 2010 et 2011, le gouvernement grec a réduit ses dépenses de santé de 13 %, resserrant son budget de 16 à 13,8 millions d'euros. Certains évaluent la baisse des dépenses dans l'ensemble du secteur à 36 %, et de plus amples économies sont aujourd'hui débattues. Les hôpitaux, en attente de financements, réduisent leurs commandes de médicaments, comme le nombre de leurs opérations, qu'ils sélectionnent selon leur urgence. Et dans les rues, les toxicomanes, victimes discrètes de la crise, sont en première ligne face à cette réduction de l'aide publique.
Le taux de chômage s'élevait à 21,9 % en mars selon les derniers chiffres d'Eurostat, et plus de la moitié des moins de 25 ans étaient sans emploi (52,1 %). Avec pour horizon une infinie rigueur, les ONG craignent de voir la consommation de drogue exploser parmi les plus vulnérables et, avec celle-ci, les infections par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH).
En 2010, l'année du déclenchement de la crise de la dette, le nombre d'utilisateurs d'
héroïne aurait augmenté de près de 20 %, passant de 20 200 à 24 100 personnes, selon une estimation du Centre grec pour l'étude et la surveillance des drogues. Dans le même temps, les structures permettant d'aider ces toxicomanes ont vu leurs crédits fondre.
HAUSSE DE 57 % DU NOMBRE D'INFECTIONS AU VIHDans une lettre adressée au magazine The Lancet à l'automne, une équipe de chercheurs britanniques s'alarmait de voir "les
coupes budgétaires en 2009 et 2010 [aboutir] à la disparition d'un tiers des programmes d'aide dans les rues ; une étude menée auprès de 275 toxicomanes à Athènes en octobre 2010 a montré que 85 % d'entre eux n'étaient pas inscrits dans un programme de réinsertion. De nombreuses nouvelles infections au VIH sont également liées à une hausse de la prostitution (et aux pratiques sexuelles à risque qui lui sont associées)".
Les distributions de seringues et de préservatifs ont été réduites, fragilisant un peu plus les populations à risque. Alors que l'Organisation mondiale de la santé recommande la distribution de 200 seringues propres par toxicomane et par an pour limiter les infections par le VIH, la Grèce n'en a distribué que trois l'an dernier, selon le Centre héllenique pour le contrôle des maladies infectieuses.
Le nombre d'infections par le virus du sida a augmenté de 57 % par rapport à 2010, selon le Centre. Ce taux de contamination est particulièrement élevé parmi les toxicomanes utilisant des seringues de seconde main. L'an dernier, il était 15 fois supérieur à celui de 2010.
Il y a trois ans encore, le système de santé grec était considéré comme "relativement efficace", malgré la pratique des pots-de-vin versés aux médecins et une bureaucratie excessive, selon le rapport 2009 de l'OCDE. Mais il s'est révélé incapable de résister à l'aggravation de la crise.
L'Union européenne et le FMI, qui ont accordé 130 millions d'euros à la Grèce en mars, ont exigé des
coupes claires dans la santé, dans le cadre d'un plus vaste plan d'austérité. Mais des groupes de pression et les syndicats s'y sont opposés, et l'instabilité politique a rendu toute réforme impossible.
CHASSE AUX MALADES ILLÉGAUXA la mi-juin, la directrice de Médecins sans frontières à Athènes, Reveka Papadopoulou, affirmait que le nombre de malades du sida dans le centre-ville avait bondi l'an dernier de 1 450 % par rapport à 2010. Selon MSF, cette hausse était largement due à la suspension des programmes d'échange de seringues dans la capitale.
Mme Papadopoulou associait cette décision à une vague de répression contre les immigrés illégaux et d'autres populations à risque. "Ça n'a rien à voir avec un manque de ressources", affirmait Mme Papadopoulou, dénonçant une forme de "police sanitaire" visant en priorité les immigrés illégaux. "C'est une idée fausse, une mauvaise et dangereuse approche du problème."
En avril, l'ONG Amnesty international s'était ainsi indignée de voir le gouvernement grec se préparer à détenir sans limite de temps des migrants illégaux considérés comme présentant un risque pour la santé publique, pour les soumettre à des tests de santé et à des traitements contre les maladies infectieuses.
Le mois suivant, la publication dans la presse de photographies de femmes porteuses du VIH arrêtées par la police et accusées de se prostituer en répandant la maladie avait également fait scandale. Dans ce climat violent, les ONG craignent de voir les toxicomanes s'éloigner des centres de soin.
Source : Le Monde