"La cigarette était ma béquille, la seule chose qui ne m'ait pas abandonnée"LE MONDE | 13.12.2012 à 14h42
Par Pascale Santi
Difficile d'arrêter de fumer, tous les fumeurs en conviennent. Pourtant, plus de la moitié des 15 millions de fumeurs en France le souhaiteraient. Les consultations de tabacologie sont plus nombreuses - près de 700 contre 400 en 2008 -, mais ce n'est pas suffisant. Les listes d'attente sont longues, comme à la consultation de tabacologie de l'hôpital européen Georges-Pompidou, dirigée par le docteur Anne-Laurence Le Faou.
"La
cigarette me servait de béquille, c'était la seule chose qui ne m'avait pas abandonnée", confie Evelyne, 60 ans, qui arrive le sourire aux lèvres car elle a eu "trois jours sans
tabac". Elle a commencé à l'âge de 15 ans et fumait de 25 à 30
cigarettes chaque jour, même des mégots.
Elle prend le médicament Champix et semble bien le supporter. "C'est plus facile, je me sens beaucoup moins dépendante", confie-t-elle. Aujourd'hui, elle en fume 2 à 3 par jour, "celles qui restent quand je ne supporte plus de ne plus fumer !"
Une béquille, une compagne... nombre de personnes précaires n'ont plus que le
tabac. "La
cigarette est pour moi une amie et une ennemie. Il faut retrouver une plus grande joie que celle de fumer", explique Anne, âgée de 59 ans.
Ce sont les chômeurs qui fument le plus, selon les chiffres du baromètre santé de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) : 50 % des demandeurs d'emploi sont fumeurs quotidiens en 2010, 32,8 % des non-diplômés fument contre 18,5 % des titulaires d'un bac + 5.
"Il y a 5 à 6 fois plus de fumeurs chez les personnes en situation sociale difficile et le taux d'arrêt est deux fois plus faible, constate le docteur Le Faou. Certains préfèrent fumer que manger. Grâce à des aides, nous proposons aux bénéficiaires des minimas sociaux des traitements de
substitution nicotinique." Mais le manque de moyens est patent. Pourtant, le fait de venir en consultation chaque semaine donne une chance sur trois d'arrêter alors que sur la seule volonté, les chances d'arrêt sont d'environ 3 %.
Nadira vient de fêter un an d'arrêt de
tabac à l'aide de patchs et... de volonté. Elle a fumé vingt-cinq ans. Son père, atteint d'un cancer du poumon, vient d'être hospitalisé. Mais cette jeune femme est volontaire. Son seul "souci" : elle a grossi de 6 kg.
Souvent, les personnes qui viennent à cette consultation présentent des pathologies liées au
tabac. Beaucoup sont envoyées par d'autres services hospitaliers. Comme Eric, 54 ans, adressé par un pneumologue. Il lui reste 30 % de capacité respiratoire. Eric a d'abord arrêté le
cannabis, pour des raisons financières et veut maintenant stopper le
tabac. Il a commencé à l'âge de 14 ans - plus on démarre tôt, plus on est dépendant - et a fumé jusqu'à trois paquets par jour. Jusqu'ici, aucune tentative d'arrêt n'a fonctionné. Mais grâce aux patchs, Eric fume 4 à 5
cigarettes : "Le besoin physique n'existe plus, je suis plutôt dans le rituel, la gestion du stress". Ce n'est pas facile.
Le docteur Le Faou refuse de culpabiliser ses patients. De toute façon, les messages de prévention ne fonctionnent pas. Les effets du
tabac sont méconnus et minimisés. D'une voix douce, elle sait être ferme et directive. "Je ne les lâche pas", dit-elle en souriant. En règle générale, elle les voit au moins six fois pour parvenir à un
sevrage, parfois plus. Elle cite l'adage du professeur Gilbert Lagrue, pionnier de la tabacologie : "Il faut faire du sur-mesure, pas du prêt-à -porter."
A l'instar de la Cour des comptes, les tabacologues préconisent la prise en charge du
sevrage tabagique par l'Assurance-maladie. Celui-ci ne coûterait que 600 euros par année de vie gagnée ! Les expériences à l'étranger montrent que cela marche.
Source : LeMonde