Le test de dépistage de cannabis devient fréquent à l'embaucheYOHAN DOUCET
04/01/2013, 06 h 00 | Mis à jour le 04/01/2013, 10 h 58
Réalisé systématiquement pour les professions dites à risque, le test cannabis est de plus en plus “désiré” par les entreprises, à l’embauche. Sans cadre juridique clairement défini.Théophile (1) ne s’y attendait pas. Lorsque la secrétaire médicale lui a demandé s’il acceptait de passer le test urinaire, sa réponse, empreinte de surprise, fut brève : "Non." Pour deux raisons : "D’abord, je me suis demandé si c’était légal. Puis, je me suis aussi rappelé que, l’avant-veille, un
joint avait tourné lors de la soirée célébrant mon contrat..."
Ce contrat, la secrétaire le met justement en suspens : "Si vous refusez, vous serez déclaré inapte." Le ciel sur la tête, Théophile aborde décontenancé cette visite médicale d’embauche. Décide de revenir sur son refus et se prête au test urinaire. Positif.
Le médecin veut alors un test sanguin que Théophile devra effectuer le lendemain matin. Désabusé, ce dernier se dit que le poste d’ingénieur en recherche et développement dans le domaine viticole à Montpellier - un poste pas vraiment à risque - vient de lui passer sous le nez. Heureusement pour lui, le test sanguin est négatif. Il est déclaré apte. Ouf !
Le test cannabis commence à être redouté des consommateurs Moins “populaire” que l’alcootest, le test
cannabis commence donc à être redouté des consommateurs - réguliers ou pas - de cette drogue douce, auxquels les autorités ont décidé de mener la vie dure. Et pas seulement à ceux qui prennent le volant (2) .
Le test
cannabis pourrait bien être institutionnalisé dans le monde du travail. "Comme ça, en cas de problème, cela m’évite d’en porter la responsabilité", confie anonymement un directeur de société spécialisée dans les travaux publics. Sauf qu’il dispose déjà , dans le code du travail, d’un arsenal de sanctions face aux différents troubles du comportement. Pas besoin de test.
"Les consommations excessives ponctuelles ont tendance à augmenter au travail" selon Marie-Laure Hémery, médecin du travail
Restent donc les postes à risques, dont la définition juridique est floue, voire les postes à responsabilité, dont la définition juridique est carrément nébuleuse. Si le test fait l’unanimité lorsqu’on évoque le transport de personnes ou les risques technologiques, il surprend quand il est question de fonctions administratives.
En fait, il faut y voir une approche plus globale que la consommation de
cannabis. Dans le secteur tertiaire, si développé dans le Languedoc-Roussillon, voire dans le primaire, prégnant en Aveyron, ce sont surtout "les consommations excessives ponctuelles" qui sont dans le viseur, assure Marie-Laure Hémery, médecin du travail.
Les médecins du travail ont constaté une hausse "des problématiques psychosociales"Les ivresses d’une consommation festive de drogue, d’alcool ou autres
psychotropes "ont tendance à augmenter" : "La
caféine, la
cocaïne stimulent, le
cannabis déstresse." Même si les données chiffrées manquent, les médecins du travail ont constaté une hausse "des problématiques psychosociales" : "Il faut que les gens prennent conscience du danger."
La nécessité d’une prévention collectiveOr, qui n’a pas entendu un de ses proches dire "ça va, je gère" avec le large sourire de celui qui ne gère pas ? "Mais, là , on empiète sur le champ personnel", d’où la nécessité d’une prévention collective, d’une discussion de fond avec les partenaires sociaux, concernant les procédures à suivre.
Sur Montpellier, les trente-cinq médecins de l’Ametra gèrent 100 000 salariés dans 10 000 entreprises. Une tâche suffisamment ardue pour ne pas l’encombrer d’une défiance des salariés. Des campagnes d’information devraient donc logiquement se substituer à cette peur naissante de... travailler.
(1) Le prénom a été changé.
(2) La loi du 3 février 2003 punit de 2 ans d’emprisonnement et 4 500 € d’amende toute personne ayant conduit sous influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants. Récemment, à Pérols (Hérault), un accident causé par un conducteur sous l’empire de stupéfiants a provoqué la mort d’un bébé et un vif émoi dans la région.QUESTIONS À MARIE-LAURE HÉMERY ET AYMERIC DIVIÈS, MÉDECINS DU TRAVAILLa récente réforme de la médecine du travail inclut un volet sur les addictologies. Sous quelle forme ?A. D. : L’addictologie n’était jusqu’à présent pas apparente dans les textes. La visée est préventive. Nous ne sommes pas dans une logique de sélection de salariés. Notre rôle est toujours de les encadrer, de les conseiller, de les protéger.
M.-L. H : Il s’agit aussi d’informer les employeurs, de former les CHSCT. Quels sont les symptômes, les risques de la consommation ?
Quelle place occupe le test cannabis dans cette prévention ?A. D. : Pour nous, ce test n’est pas fonctionnel. Si un employeur veut mettre en place un dépistage, il ne peut pas le faire dans n’importe quelle condition. Cela doit apparaître dans son règlement intérieur, être validé par le CHSCT et, surtout, doit concerner les postes à risque. Ensuite, un test laisse la possibilité d’une contre-expertise car on peut avoir des faux-positifs dus, notamment, à des traitements médicamenteux. Il y a une problématique d’interprétation. C’est pourquoi je pense que nous, médecins du travail, ne sommes pas les mieux placés pour réaliser ces tests.
Qui choisit de faire passer le test ?A. D. : Ce n’est jamais à l’initiative du médecin du travail. En fonction de l’entreprise qu’il suit, le médecin vérifiera si le test est pertinent.
M.-L.H : Des médecins le font dans les entreprises, comme à la RATP, à la SNCF, dans les centrales nucléaires. Mais toujours sous le sceau du secret médical, ils ne divulguent pas les résultats. Ils se prononcent juste sur l’aptitude.
Alors, ce test est-il nécessaire ?A. D. : Selon moi, le plus rentable, c’est faire de la prévention. Le test va créer plus de problèmes qu’il n’apportera de solutions.
M.-L. H. : Même si son existence a le mérite d’ouvrir les débats.
CE QUE DIT LE CODE DU TRAVAILL’article R 241-52 du Code du travail prévoit la possibilité pour un chef d’entreprise de pratiquer un test de dépistage de stupéfiant sur un salarié ou sur un candidat à l’embauche afin d’occuper certains postes.
Mais le test doit être prévu dans le règlement intérieur de la société ; les personnes concernées doivent être informées de l’objectif et des conséquences que peuvent avoir les résultats. Cet examen, effectué dans le cadre de la médecine du travail, est soumis au secret médical (seule une inaptitude est prononcée) ; pour des postes à risque, l’employeur peut exiger des tests périodiques. À noter qu’il n’existe aucun emploi pour lequel un dépistage régulier est autorisé.
source :
http://www.midilibre.fr/